Pour la protection des libertés académiques et du droit d’étudier

Pour la protection des libertés académiques et du droit d’étudier

Suite aux propos indignes de M. le Ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer quant à l’Université, les sciences sociales françaises et leur supposée « complicité intellectuelle » avec le terrorisme, le Comité exécutif de l’AFS soutient les motions de la Conférence des présidents des universités et du collectif « Sauvons l’université« .

Il est également est cosignataire du texte ci-dessous – initialement publié sur le carnet Académia:


Enseignement supérieur et recherche :

Appel solennel pour la protection des libertés académiques et du droit d’étudier

Nous, membres des universités et des établissements publics à caractère scientifique et technologique, syndicats, sociétés savantes, revues et collectifs de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), sonnons l’alerte contre la dégradation générale de l’état des libertés académiques et du droit d’étudier en France, dont le projet de loi de programmation de la recherche, qui sera examiné cette semaine au Sénat, n’est qu’une des facettes.

Ces derniers jours, cette dégradation s’est exprimée de manière patente.

Elle s’est explicitement manifestée dans les propos du ministre de l’Éducation nationale qui, dans la lignée des soi-disant « analyses » du président de la République du 10 juin 2020, a accusé les universitaires de « complicité intellectuelle du terrorisme« , fruit d’un « islamo-gauchisme » qui « ravage » l’enseignement supérieur. Que voulait dire M. Blanquer lorsque, ce jeudi 22 octobre 2020 devant la commission des lois du Sénat, il envisageait de définir « une matrice initiale, parfaite, impeccablement réglée » pour les enseignements délivrés à l’université, considérant qu’ »il s’agit de voir ce qui se passe, pour de vrai, dans les enseignements qui sont donnés » ?

Cette dégradation découle aussi du projet du président de la République de nommer l’un de ses plus proches conseillers à la tête du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, au terme d’une procédure entachée de graves conflits d’intérêts, et alors même que cette autorité est appelée à jouer, dans les années à venir, un rôle de premier plan, dans la mesure où une part toujours plus importante des ressources de l’ESR sera corrélée aux évaluations faites, précisément, par ce Haut Conseil.

Cette dégradation découle également, bien sûr, de la loi de programmation de la recherche en passe d’être adoptée par le Parlement, qui démultiplie les mécanismes de dépendance et d’emprise à l’intérieur des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, à la fois par l’affaiblissement des protections statutaires et la généralisation des primes et des financements orientés.

Cette dégradation découle, enfin, de la précarisation générale des conditions de travail dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, que la crise sanitaire et sa gestion chaotique par le ministère rendent tout particulièrement manifestes. Sans doute cette précarisation représente-t-elle même la plus directe de toutes les attaques contre nos libertés académiques, dans la mesure où celles-ci supposent, comme le rappelle l’article L. 123-9 du code de l’éducation, des « conditions de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle ».

Voilà quelques-uns des signaux convergents de l’érosion accélérée des libertés académiques en France.

Qu’on ne s’y trompe pas : ce ne sont pas seulement les enseignant·es et les chercheur·ses qui se trouvent ici attaqué·es, mais les modes mêmes d’élaboration des savoirs, dans leur nécessaire pluralité, et en particulier des savoirs critiques dont les élu·es, les associations et les citoyen·nes se saisissent parfois ― c’est vrai et la diffusion élargie des résultats de nos recherches fait partie de nos missions les plus gratifiantes ― pour contrer, par des discours argumentés, les fractures que font naître, dans le corps social, les simplifications en tous genres, racistes notamment, et, plus généralement, pour contribuer à la formulation des réponses ― y compris politiques ― aux problèmes contemporains.

Mais il est temps, maintenant, de contrer collectivement ces évolutions. Non pas contrer chacun de ces signaux pris isolément, mais contrer le faisceau qu’ils forment tous ensemble. Il est urgent, même, de le faire maintenant, car ces derniers jours d’octobre 2020 représentent un moment charnière.

Jeudi 29 et vendredi 30 octobre se tiendront les ultimes débats au Sénat sur le projet de loi de programmation de la recherche. C’est donc maintenant ou jamais que les libertés académiques doivent être remises au cœur du projet de loi.

C’est cette semaine aussi que le président de la République peut encore renoncer à son projet de nommer son propre conseiller à la tête du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

C’est cette semaine, enfin, que Madame Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, doit se résoudre à assumer pleinement la Déclaration de Bonn sur la liberté de la recherche scientifique que les ministres européens de la recherche ont adoptée le 20 octobre 2020 et qui rappelle que la liberté de la recherche scientifique suppose « le droit de définir librement les questions de recherche » et le droit « de choisir et de développer toute théorie […] pour interroger les idées reçues ».

C’est maintenant que ces décisions doivent être prises, car la suite s’annonce pire encore. Nous sommes très inquiètes et inquiets des atteintes aux libertés académiques susceptibles d’être inscrites dans le projet de loi sur les séparatismes, dont l’examen en Conseil des ministres est programmé pour le 9 décembre prochain. Quelle signification accorder, en effet, aux dernières « sorties » de M.  Blanquer, encore confirmées dans le Journal du Dimanche du 25 octobre, sinon d’être des « ballons d’essai » pour ce projet de loi ? Nous savons d’ores et déjà aussi qu’à l’occasion de ces mêmes débats, le droit des hommes et des femmes à étudier – indépendamment de toute considération vestimentaire – dans les universités françaises risque d’être remis en question par des mesures discriminatoires.

En dépit de la fatigue des collègues mobilisé·es depuis des mois pour la défense du service public de la recherche et de l’enseignement supérieur ; en dépit d’un semestre universitaire qu’il nous faut gérer dans des conditions dantesques ; en dépit des autres initiatives en cours, que nous appelons à rejoindre, (cf: comme la pétition collective « Suspendons la loi de programmation de la recherche : notre société exige beaucoup mieux ! » (https://rogueesr.fr/une_autre_lpr/) que nous appelons à signer de toute urgence), nous sonnons l’alerte générale sur l’état des libertés académiques et du droit d’étudier en France. 

Nous avons encore espoir que cette alerte sera entendue.

Premiers signataires : https://academia.hypotheses.org/27287#Soutiens

Communiqué de presse : https://academia.hypotheses.org/27418

Contact academia_redaction@groupes.renater.fr













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