19 Déc Vieillissement des personnes âgées marginalisées et réactions sociales
Appel à contributions
Revue Sciences & Actions Sociales
Coordination : Thibaut BESOZZI, responsable de la préfiguration de l’Observatoire du sans-abrisme et de la précarité résidentielle (OSAPR) – IRTS de Lorraine, chercheur au LIR3S (Université de Bourgogne) ; et Anne-Bérénice SIMZAC, responsable du pôle Recherche, Generacio, chercheure associée au LHAC, ENSA Nancy.
Vieillissement des personnes âgées marginalisées et réactions sociales
Ce numéro de la revue Sciences et Actions Sociales entend questionner les problématiques que pose le vieillissement des personnes précaires marginalisées[1], vulnérables et/ou délinquantes – et plus particulièrement de celles qui connaissent (ou ont connu) l’expérience du sans-abrisme et/ou de l’hébergement (médico-)social. Ces problématiques, ces difficultés ou encore ces spécificités peuvent s’analyser sur deux plans : elles se posent à la fois pour les personnes elles-mêmes, au niveau individuel (du point de vue de leur trajectoire biographique, de l’usure de leur corps et de leurs pratiques quotidiennes) et pour les institutions qui sont en contact avec ces publics marginalisés, à un niveau plus politique et social.
Bien qu’elles se concentrent majoritairement sur l’expérience du sans-abrisme et le secteur d’intervention qui y correspond (dit « Accueil-Hébergement-Insertion »), les réflexions menées dans le cadre de ce numéro ambitionnent de questionner les enjeux du vieillissement au croisement de multiples formes de déviance et situations de marginalité (usages de drogue, prostitution, délinquance, sortie de prison et suivi judiciaire, migration illégale…), dans la mesure où elles engendrent des formes de réaction sociale (sanitaire, sociale, médico-sociale, judiciaire…) qu’il s’agit d’analyser dans leurs spécificités, tant sur le plan des politiques sociales et des dispositifs mis en œuvre qu’au niveau des modalités concrètes d’intervention sociale.
- AXE 1. Le vieillissement des personnes sans-domicile : vécu et expérience
Le vieillissement des personnes sans-domicile[2], ou qui ont connu le sans-abrisme, est aujourd’hui un enjeu important pour les travailleurs sociaux, les professionnels de l’accompagnement médico-social et de santé et surtout pour les personnes concernées elles-mêmes : le vieillissement interroge les conditions d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement apportées aux personnes qui avancent en âge tout en connaissant une précarité plus ou moins prononcée. En revanche, en France, cette question reste aujourd’hui peu traitée (Association Aurore, 2016 ; Besozzi & Marchal, 2021) par la recherche scientifique et par l’innovation sociale, là où des travaux plus conséquents sont menés sur le sujet outre-Atlantique (Grenier, 2022). Pourtant, la question se pose avec de plus en plus d’acuité pour les collectivités et institutions confrontées à l’accompagnement de ce public spécifique faisant face au « vieillissement prématuré » (Rouay-Lambert, 2006) engendrant une vulnérabilité « qui se nourrit des fragilités inhérentes à l’absence de domicile et au vieillissement » (Eynard, 2019). En effet, dans la rue, on meurt autour de 50 ans, moyenne stable depuis plusieurs années selon le Collectif les Morts de la Rue (2020) : toute personne ayant dépassé cet âge pourrait donc être considérée comme « âgée » (relativement à la situation de rue), alors même qu’elles sont encore trop jeunes pour être admises dans les institutions de droits communs dédiées aux personnes âgées dépendantes. De plus, les représentations de la vieillesse dans la rue sont marquées par des inégalités et suggèrent un vieillissement spécifique à ce public (Doubovetzky, 2020).
On sait que l’usure du corps et de la santé engendre une expérience particulière de la survie chez les personnes vieillissantes, expérience qui se structure par une routinisation extrême du quotidien (Besozzi, 2021), la négociation d’épreuves identitaires faites de revalorisation et d’assignation (Maurin, 2021) et l’épreuve d’une stigmatisation renforcée par le cumule de l’âge avancé et de la précarité (Grenier, 2021). Parallèlement, le vécu des centres d’hébergement semble également conditionné par le vieillissement, quand la question de la fin de vie se pose aux résidents comme aux professionnels (Uribelarrea, 2021), et que l’environnement – spatial et relationnel – détermine les possibilités du maintien des capacités (Gilbert & Overney, 2021).
Aussi, cet axe de réflexion entend approfondir la connaissance de l’expérience du vieillissement en situation de sans-abrisme ou de sans-domicilisme (Loison, 2023), notamment en se concentrant sur les modalités de survie dans la rue et ses extensions, et sur les modalités d’usage, d’appropriation ou de non-recours aux services sociaux et médico-sociaux.
- AXE 2. Réactions sociales : des dispositifs adaptés aux personnes vieillissantes marginalisées ?
En France, les institutions destinées aux personnes âgées sont ouvertes aux individus ayant au minimum 60 ans. De plus, même si les EHPAD ou les résidences autonomie peuvent accueillir sous certaines conditions des personnes de moins de 60 ans, ces établissements ne sont pas spécifiquement conçus pour accueillir des personnes ayant de forts besoins sociaux. Sont-ils adaptés à l’accueil d’un public âgé précarisé et ayant eu des habitudes de vie marginalisées (rythmes quotidiens, troubles du comportement, addictions, etc.) ? En parallèle, les institutions pensées pour l’accompagnement des personnes sans-domicile ne prévoient pas non plus l’accueil de personnes pouvant être fragilisées par l’avancée en âge de façon durable. En effet, les structures d’hébergement comme les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou encore les Centres d’Hébergement d’Urgence (CHU) sont des solutions transitoires à plus ou moins long terme, et qui, de surcroit, ne proposent pas de soins médicaux en interne. De même, des lieux de soins comme les LAM (Lits d’Accueil Médicalisés) et les LHSS (Lits Halte Soins Santé) existent pour l’hébergement de personnes sans-domicile ayant des besoins médicaux, mais ils ne sont pas considérés comme des lieux de vie durables et ne concernent pas spécifiquement les personnes vieillissantes. Tandis que les pensions de famille et autres résidences sociales relèvent du logement accompagné, sans limite de durée d’habitation, mais ne ciblent pas les personnes vieillissantes et ne proposent pas non plus de suivi médical renforcé en interne.
En outre, les solutions d’action sociale et médico-sociale sont pensées par des politiques publiques en silo (Damon, 2021) qui permettent mal de répondre durablement et adéquatement aux situations individuelles nécessitant plusieurs secteurs d’intervention (hébergement, accompagnement social, soins médicaux…). L’ensemble de ces constats est souligné par divers travaux de recherche sur la marginalité, la grande précarité et les problématiques sanitaires qui en émergent (Benoist, 2016 ; Coulomb, 2018) : cela tend à confirmer le fait que les hébergements d’urgence et d’insertion soient incapables de prendre en charge les aînés, et que les hébergements pour personnes âgées ne sont pas adaptés aux personnes les plus vulnérables (Coulomb, 2021). Dans un plaidoyer récent, la FEHAP (Fédération des Établissements Hospitaliers et d’Aide à la Personne privés solidaires) et la Fédération des Acteurs de la Solidarité affirment même qu’il y a une inadéquation des politiques publiques sur ce sujet et qu’il est urgent de penser des solutions pour ces problématiques spécifiques (Fédération des acteurs de la solidarité Ile de France & FEHAP, 2022). Cependant, des politiques publiques existent pour accompagner les personnes marginalisées vers un retour à un logement ordinaire, dès lors qu’elles ne présentent pas de lourds besoins médicaux (comme le Logement d’abord). Les dispositifs qui s’en réclament sont néanmoins eux aussi confrontés à l’hétérogénéité de ce public et présentent des expériences d’habiter diverses (Lévy & Uribelarrea, 2023). Ainsi, au-delà de la question de l’hébergement-logement durable, c’est bien celle des soins médicaux nécessaires qui se dessinent derrière les enjeux de l’accompagnement médico-social des personnes marginalisées vieillissantes.
Cet axe de réflexion envisage donc d’interroger la possibilité de nouvelles solutions permettant de prendre en charge ces publics spécifiques, soit dans le cadre des dispositifs d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement social existants (en adaptant les formes d’intervention), soit dans le cadre de nouveaux dispositifs visant précisément à répondre aux problématiques spécifiques posées par la marginalité vieillissante. A cet égard, les contributions émanant de professionnels témoignant de leurs expériences d’intervention seront les bienvenues.
- AXE 3. Regards sur d’autres formes de marginalité et de réactions sociales
Plus généralement, ce numéro de Sciences et Actions Sociales ouvrira la réflexion sur d’autres formes de marginalité que le sans-domicilisme à proprement parler, et sur d’autres formes de réactions sociales que le seul travail social et médico-social. En effet, la marginalité urbaine concerne également des personnes vieillissantes qui témoignent (ou ont témoigné) de pratiques déviantes (usage de drogue, délinquance et criminalité, prostitution…) donnant lieu à différentes formes de réaction sociale (répression policière, judiciarisation, injonction à la médicalisation…) qu’il convient d’analyser dans ce qu’elles ont de spécifique par rapport à ces publics « avancés en âge ». Ainsi, il pourra également s’agir d’interroger le vieillissement en situation carcérale, où la vieillesse reste un « impensé » (Hummel, 2017 ; Touraut, 2019) et les inflexions judiciaires dues à l’âge avancé des personnes judiciarisées. Il pourrait enfin être question des personnes vieillissantes immigrées marginalisées du point de vue de leur situation administrative et culturelle, puisque ces personnes sont bien souvent invisibilisées et en situation de vulnérabilité (Mezzouj & Jovelin, 2022).
À cet égard, ce troisième axe de réflexion viendra élargir les interrogations précédentes concernant l’expérience du vieillissement des personnes marginalisées, l’expérience des institutions auxquels se confrontent les publics vieillissants et marginalisés, mais aussi les formes particulières de prise en charge institutionnelle de ces personnes.
Partant de ces constats, ce numéro de Sciences et Actions Sociales vise à croiser les travaux de recherche traitant des questions de marginalité et de vieillissement, tout en s’intéressant aux modalités de réactions sociales et d’intervention qu’engendrent ces problématiques. Le numéro souhaite à la fois recenser et faire dialoguer les recherches en sciences humaines et sociales portant sur cette thématique encore peu traitée.
Les contributions attendues pourront traiter des parcours individuels des personnes vieillissantes et marginalisées :
- Qui sont-elles d’un point de vue sociologique ?
- Quelle est leur expérience du vieillissement ?
- Comment le vieillissement impacte leurs pratiques quotidiennes ?
- Quelles sont leurs attentes envers les services d’assistance ?
- Quels sont leurs parcours résidentiels et institutionnels ?
- Dans quelle mesure le vieillissement accentue ou atténue leur marginalité ?
Nous souhaitons également interroger les réactions sociales occasionnées par le « vieillissement marginalisé », c’est-à-dire les dispositifs existants et les solutions innovantes qui sont proposées à ces personnes et les rôles des différents acteurs des secteurs social et médico-social, mais aussi judiciaire et policier :
- Quels sont les dispositifs existants et leurs limites ?
- Quelles sont les politiques publiques mises en œuvre sur ce champ ?
- Quelles solutions innovantes sont imaginées par les acteurs locaux ?
- Quels sont les rôles des collectivités, des institutions publiques, des acteurs locaux associatifs ou privés ?
- Comment la police et la justice infléchissent leur intervention au regard de l’âge avancé des justiciables ?
- Quel(s) sens donne(nt) les acteurs aux notions de « dépendance » et d’« autonomie » ?
Ces questionnements ne sont pas exhaustifs et d’autres thématiques pourront être abordées, notamment dans une perspective internationale.
Enfin, ce numéro ambitionne également de faire dialoguer les travaux de recherche avec le vécu et les expériences des professionnels de terrain et les points de vue des acteurs institutionnels. Cet appel à contributions est donc ouvert au recueil d’expériences de terrain et aux témoignages des acteurs concernés par la thématique du vieillissement des personnes marginalisées et de la marginalité des personnes vieillissantes.
[1] Ici, la marginalité est entendue à la fois dans son acception « institutionnelle » (par l’usage de l’action sociale qu’elle occasionne potentiellement), et dans son acception « normative » (par l’écart aux normes dominantes que présentent les publics marginalisés).
[2] Ici, nous faisons la distinction entre l’expression de « sans-abri » quand il s’agit de parler précisément des personnes qui dorment régulièrement dans les lieux non-prévus pour l’habitation (tente, métro, parking, interstice urbain, etc.) et l’expression « sans-domicile » qui englobe d’autres réalités que celles de la rue (hôtel, CHRS, hébergement durable chez un tiers, etc.). Nous avons choisi de privilégier l’expression « sans-domicile » puisque la grande majorité des personnes comptabilisées comme « sans-domicile » dans les enquêtes de l’Insee, de l’Ined ou de la Fondation Abbé Pierre sont hébergées dans le parc d’hébergement social, si bien qu’on estime que seules 10% à 15% d’entre elles peuvent être considérées comme sans-abri au sens propre.
Procédure d’évaluation des propositions de contributions
En lien avec la ligne éditoriale de la revue (voir présentation de la revue [http://www.sas-revue.org/]), les textes proposés doivent être originaux et ne pas avoir déjà fait l’objet d’une publication dans des revues. Néanmoins, à la condition qu’il demande l’accord préalable à la revue Sciences & Actions Sociales, l’auteur d’un article dans la revue SAS peut publier son article dans un ouvrage ou des actes de colloque à la condition de citer la source de première publication, c’est-à-dire la revue SAS.
Les propositions de contribution doivent respecter les recommandations aux auteurs présentées dans la rubrique : « recommandation aux auteurs » (https://journals.openedition.org/sas/375). Les articles proposés en français ou en anglais ne doivent pas dépasser 80 000 signes et comprendront de préférence entre 30 000 et 50 000 signes, espaces compris, notes et bibliographie incluses. Chaque article doit être accompagné d’un résumé en français et en anglais n’excédant pas 700 signes ainsi que d’une liste de 5 mots-clés dans les deux langues.
Ces propositions doivent être envoyées par courrier électronique au format .doc ou .rtf à l’adresse suivante : redaction@sas-revue.org au plus tard le 31 mars 2025. Un accusé de réception est alors adressé en retour. Les textes font l’objet d’une évaluation anonyme par deux lecteurs désignés au sein des comités de rédaction et scientifique de la revue. Sur la base de leurs évaluations, après une discussion de l’article au sein du comité de rédaction, une décision collective est prise : accepté en l’état, accepté avec modifications mineures, accepté sous réserve de modifications majeures, refusé. Cette décision est transmise à l’auteur par la revue SAS au maximum trois mois après la réception de la proposition de l’article.
Calendrier de l’appel à contributions
Les propositions d’articles sont à envoyer à redaction@sas-revue.org au plus tard le 31 mars 2025.
Les retours aux auteurs sont prévus pour le 31 mai 2025 dans l’optique d’une publication à l’automne 2025.
Bibliographie
Association Aurore. (2016). Les angles morts de la solidarité : Les enjeux du vieillissement. Synthèse du colloque, 25.
Benoist, Y. (2016). Tant qu’on a la santé… c’est pire ! L’amélioration paradoxale des conditions de vie de personnes sans-abri. Anthropologie & Santé, 13, 21.
Besozzi, T. (2021). Quand « l’avenir est derrière soi » : Routinisation et formes d’adaptation de sans-abri vieillissants. Retraite et société, 85(1), 83‑105.
Besozzi, T., & Marchal, H. (2021). Avant-propos. Retraite et société, 85(1), 9‑16.
Collectif les Morts de la Rue. (2020). Mortalité des personnes sans-domicile 2019 (p. 9).
Coulomb, L. (2018). Le soin des personnes sans domicile. Entre malentendus et négociations. PUR.
Damon, J. (2021). La question SDF. PUF.
Doubovetzky, C. (2020). Vieillissement et précarité : Des inégalités au regard des représentations. Gérontologie et société, 42 / 162(2), 71‑82.
Eynard, C. (2019). Vieillir dans la rue : Une forme de vulnérabilité spécifique ? In Les vieux sont-ils forcément fragiles et vulnérables ? (p. 105‑131). Érès.
Fédération des acteurs de la solidarité Ile de France, & FEHAP. (2022). Plaidoyer : Vieillissement et précarité.
Gilbert, R., & Overney, L. (2021). Vieillir pauvre dans ses meubles. Enquête dans un foyer-logement. Retraite et société, 85(1), 17‑41.
Grenier, A. (2022). Late-Life Homelessness. Experiences of Disadvantage and Unequal Aging, Montreal, QC: McGill-Queen’s Press.
Grenier, A., & Sussman, T. (2021). Le sans-abrisme à l’âge de la vieillesse. « C’est vraiment une surcharge de ségrégation sociale ». Retraite et société, 85(1), 123‑147.
Hummel, C. (2017). Étudier le vieillissement en prison. SociologieS.
Lévy, J., & Uribelarrea, G. (2023). Le logement d’abord saisi par ses destinataires (p. 112).
Loison, M. (2023). Le sans-domicilisme. Réflexion sur les catégories de l’exclusion du logement. Revue française des affaires sociales, 1, 29‑50.
Maurin, M. (2021). Les épreuves identitaires des femmes âgées à la rue. Retraite et société, 85(1), 107‑122.
Mezzouj, F., & Jovelin, E. (2022). Entre ici et là-bas. Les personnes âgées immigrées issues du Maghreb : Des invisibles doublement vulnérabilisés. Sociétés, 158(4), 29‑44.
Rouay-Lambert, S. (2006). La retraite des anciens SDF. Trop vieux pour la rue, trop jeunes pour la maison de retraite. Les Annales de la recherche urbaine, 100, 136‑143.
Touraut, C. (2019). Vieillir en prison. Punition et compassion. Champ social Editions.
Uribelarrea, G. (2021). La dernière demeure. Accompagner les personnes sans abri en fin de vie dans un hébergement médicalisé. Retraite et société, 85(1), 43‑59.