08 Avr Vieillissement des personnes âgées marginalisées et réactions sociales
Vieillissement des personnes âgées marginalisées et réactions sociales
Journée d’étude inter RT (3 et 7) – le mercredi 9 octobre 2024, à l’IRTS de Lorraine (Site de Nancy)
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Argumentaire
Cette journée d’étude entend questionner les problématiques que pose le vieillissement des personnes marginalisées1 , vulnérables et/ou délinquantes – et plus particulièrement de celles qui connaissent (ou ont connu) l’expérience du sans-abrisme dans le contexte français. Ces problématiques, ces difficultés ou encore ces spécificités peuvent s’analyser sur deux plans : elles se posent à la fois pour les personnes elles-mêmes, au niveau individuel (du point de vue de leur trajectoire biographique, de l’usure de leur corps et de leurs pratiques quotidiennes) et pour les institutions qui sont en contact avec ces publics marginalisés, à un niveau plus politique et social.
Bien qu’elles se concentrent majoritairement sur l’expérience du sans-abrisme et le secteur d’intervention qui y correspond (dit « Accueil-Hébergement-Insertion »), les réflexions menées lors de cette journée ambitionnent également de questionner les enjeux du vieillissement au croisement d’autres formes de déviance et situations de marginalité (usages de drogue, prostitution, délinquance, sortie de prison et suivi judiciaire, migration illégale…), et qu’elles engendrent des formes de réaction sociale (sanitaire, sociale, médico-sociale, judiciaire…) qu’il s’agit d’analyser dans leurs spécificités, tant sur le plan des politiques sociales et des dispositifs mis en œuvre qu’au niveau des modalités concrètes d’intervention sociale.
- AXE 1. Le vieillissement des personnes sans-domicile : vécu et expérience
Le vieillissement des personnes sans-domicile2, ou qui ont connu le sans-abrisme, est aujourd’hui un enjeu important pour les travailleurs sociaux, les professionnels de l’accompagnement médico-social et de santé et surtout pour les personnes concernées elles-mêmes : le vieillissement interroge les conditions d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement apportées aux personnes qui avancent en âge tout en connaissant une précarité plus ou moins prononcée. En revanche, en France, cette question reste aujourd’hui peu traitée (Association Aurore, 2016 ; Besozzi & Marchal, 2021) par la recherche scientifique et par l’innovation sociale, là où des travaux plus conséquents sont menés sur le sujet outre-Atlantique (Grenier, 2022). Pourtant, la question se pose avec de plus en plus d’acuité pour les collectivités et institutions confrontées à l’accompagnement de ce public spécifique faisant face au « vieillissement prématuré » (Rouay-Lambert, 2006) engendrant une vulnérabilité « qui se nourrit des fragilités inhérentes à l’absence de domicile et au vieillissement » (Eynard, 2019). En effet, dans la rue, l’espérance de vie est de 50 ans, moyenne stable depuis plusieurs années selon le Collectif les Morts de la Rue (2020) : toute personne ayant dépassé cet âge peut donc être considérée comme « âgée », alors même qu’elles sont encore trop jeunes pour être admises dans les institutions de droits communs dédiées aux personnes âgées dépendantes. De plus, les représentations de la vieillesse dans la rue sont marquées par des inégalités et suggèrent un vieillissement spécifique à ce public (Doubovetzky, 2020).
On sait que l’usure du corps et de la santé engendre une expérience particulière de la survie chez les personnes vieillissantes, expérience qui se structure par une routinisation extrême du quotidien (Besozzi, 2021), la négociation d’épreuves identitaires faites de revalorisation et d’assignation (Maurin, 2021) et l’épreuve d’une stigmatisation renforcée par le cumule de l’âge avancé et de la précarité (Grenier, 2021). Parallèlement, le vécu des centres d’hébergement semble également conditionné par
le vieillissement, quand la question de la fin de vie se pose aux résidents comme aux professionnels (Uribelarrea, 2021), et que l’environnement – spatial et relationnel – détermine les possibilités du maintien des capacités (Gilbert & Overney, 2021).
Aussi, cet axe de réflexion entend approfondir notre connaissance de l’expérience du vieillissement en situation de sans-abrisme ou de sans-domicilisme (Loison, 2023), notamment en se concentrant sur les modalités de survie dans la rue et ses extensions, et sur les modalités d’usage, d’appropriation ou de non-recours aux services sociaux et médico-sociaux.
- AXE 2. Réactions sociales : des dispositifs adaptés aux personnes vieillissantes marginalisées ?
En France, les institutions destinées aux personnes âgées sont ouvertes aux individus ayant au minimum 60 ans. De plus, même si les EHPAD ou les résidences autonomie peuvent accueillir sous certaines conditions des personnes de moins de 60 ans, ces établissements ne sont pas spécifiquement conçus pour accueillir des personnes ayant de forts besoins sociaux. Sont-ils adaptés à l’accueil d’un public âgé précarisé et ayant eu des habitudes de vie marginalisées (rythmes quotidiens, troubles du comportement, addictions, etc.) ? En parallèle, les institutions pensées pour l’accompagnement des personnes sans-domicile ne prévoient pas non plus l’accueil de personnes pouvant être fragilisées par l’avancée en âge de façon durable. En effet, les structures d’hébergement comme les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou encore les Centres d’Hébergement d’Urgence (CHU) sont des solutions transitoires à plus ou moins long terme, et qui, de surcroit, ne proposent pas de soins médicaux en interne. De même, des lieux de soins comme les LAM (Lits d’Accueil Médicalisés) et les LHSS (Lits Halte Soins Santé) existent pour l’hébergement de personnes sans-domicile ayant des besoins médicaux, mais ils ne sont pas considérés comme des lieux de vie durables et ne concernent pas spécifiquement les personnes vieillissantes. Tandis que les pensions de famille et autres résidences sociales relèvent du logement accompagné et sans limite de durée d’habitation, mais ne ciblent pas les personnes vieillissantes et ne proposent pas non plus de suivi médical renforcé en interne.
En outre, les solutions d’action sociale et médico-sociale sont pensées par des politiques publiques en silo (Damon, 2021) qui permettent mal de répondre durablement et adéquatement aux situations individuelles nécessitant plusieurs secteurs d’intervention (hébergement, accompagnement social, soins médicaux…). L’ensemble de ces constats est souligné par divers chercheurs ayant consacrés leurs travaux de recherche à la marginalité, à la grande précarité et aux problématiques sanitaires qui en émergent (Benoist, 2016 ; Coulomb, 2018) : cela tend à confirmer le fait que les hébergements d’urgence et d’insertion soient incapables de prendre en charge les aînés, et que les hébergements pour personnes âgées ne sont pas adaptés aux personnes les plus vulnérables (Coulomb, 2021). Dans un plaidoyer récent, la FEHAP (Fédération des Établissements Hospitaliers et d’Aide à la Personne privés solidaires) affirme même qu’il y a une inadéquation des politiques publiques sur ce sujet et qu’il est urgent de penser des solutions pour ces problématiques spécifiques (Fédération des acteurs de la
solidarité Ile de France & FEHAP, 2022). Cependant, des dispositifs d’action publique existent pour accompagner les personnes marginalisées vers un retour à un logement ordinaire, comme le dispositif un logement d’abord. Ce dispositif est pourtant lui aussi confronté à l’hétérogénéité de ce public et présente des expériences d’habiter diverses (Lévy & Uribelarrea, 2023).
Cet axe de réflexion envisage donc d’interroger la possibilité de nouvelles solutions permettant de prendre en charge ces publics spécifiques, soit dans le cadre des dispositifs d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement social existants (en adaptant les formes d’intervention), soit dans le cadre de nouveaux dispositifs visant précisément à répondre aux problématiques spécifiques posées par la marginalité vieillissante. A cet égard, les communications émanant de professionnels témoignant de leurs expériences d’intervention seront les bienvenues.
- AXE 3. Regards sur d’autres formes de marginalité et de réactions sociales
Plus généralement, cette journée d’étude ouvrira la réflexion sur d’autres formes de marginalité que le sans-domicilisme à proprement parler, et sur d’autres formes de réactions sociales que le seul travail social et médico-social. En effet, la marginalité urbaine concerne également des personnes vieillissantes qui témoignent (ou ont témoigné) de pratiques déviantes (usage de drogue, délinquance et criminalité, prostitution…) donnant lieu à différentes formes de réaction sociale (répression policière, judiciarisation, injonction à la médicalisation…) qu’il convient d’analyser dans ce qu’elles ont de spécifique par rapport à ces publics. Il pourra également s’agir d’interroger le vieillissement en situation carcérale, où la vieillesse reste un « impensé » (Hummel, 2017 ; Touraut, 2019) et les inflexions judiciaires dues à l’âge avancé des personnes judiciarisées. Il pourrait enfin être question des personnes vieillissantes immigrées marginalisées du point de vue de leur situation administrative et culturelle, puisque ces personnes sont bien souvent invisibilisées et en situation de vulnérabilité (Mezzouj & Jovelin, 2022).
A cet égard, ce troisième axe de réflexion viendra élargir les interrogations précédentes concernant l’expérience du vieillissement des personnes marginalisées, l’expérience des institutions auxquels se confrontent les publics vieillissants et marginalisés, mais aussi les formes particulières de prise en charge institutionnelle de ces personnes.
1 Ici, la marginalité est entendue à la fois dans son acception « institutionnelle » (par l’usage de l’action sociale qu’elle occasionne potentiellement), et dans son acception « normative » (par l’écart aux normes dominantes que présentent les publics marginalisés).
2 Ici, nous faisons la distinction entre l’expression de « sans-abri » (ou de « gens de la rue ») quand il s’agit de parler précisément des personnes qui dorment régulièrement dans les lieux non-prévus pour l’habitations (tente, métro, parking, interstice urbain, etc.) et l’expression « sans-domicile » qui englobe d’autres réalités que celles
de la rue (hôtel, CHRS, hébergement durable chez un tiers, etc.). Nous avons choisi de privilégier l’expression « sans-domicile » puisque la grande majorité des personnes comptabilisées dans les enquêtes de l’Insee, de l’Ined ou de la Fondation Abbé Pierre comme « sans-domicile » sont hébergées dans le parc d’hébergement social, si bien qu’on estime que seules 10% d’entre elles peuvent être considérées comme sans-abri au sens propre.
- Objectifs de la journée d’étude
Partant de ces constats, cette journée d’étude vise à croiser les travaux de recherche traitant des questions de marginalité et de vieillissement, tout en s’intéressant aux modalités de réactions sociales et d’intervention qu’engendrent ces problématiques. Cette journée souhaite à la fois recenser et faire dialoguer les recherches en sciences humaines et sociales portant sur cette thématique encore peu traitée.
Les interventions attendues lors de cette journée pourront traiter des parcours individuels des personnes vieillissantes et marginalisées :
– Qui sont-elles d’un point de vue sociologique ?
– Quelle est leur expérience du vieillissement ?
– Comment le vieillissement impacte leurs pratiques quotidiennes ?
– Quelles sont leurs attentes envers les services d’assistance ?
– Quelles sont leurs parcours résidentiels et institutionnels ?
– Dans quelle mesure le vieillissement accentue ou atténue leur marginalité ?
Nous souhaitons également interroger les réactions sociales occasionnées par le « vieillissement marginalisé », c’est-à-dire les dispositifs existants et les solutions innovantes qui sont proposées à ces personnes et les rôles des différents acteurs des secteurs social et médico-social, mais aussi judicaire, et policier :
– Quels sont les dispositifs existants et leurs limites ?
– Quelles sont les politiques publiques mises en œuvre sur ce champ ?
– Quelles solutions innovantes sont imaginées par les acteurs locaux ?
– Quels sont les rôles des collectivités, des institutions publiques, des acteurs locaux associatifs ou privés ?
– Comment la police et la justice infléchissent leur intervention au regard de l’âge avancé des justiciables ?
– Quel(s) sens donnent les acteurs aux notions de « dépendance » et d’« autonomie » ?
Ces questionnements ne sont pas exhaustifs et d’autres thématiques pourront être abordées, notamment dans une perspective internationale.
Cette journée ambitionne également de faire dialoguer les travaux de chercheurs avec le vécu et les expériences des professionnels de terrain et les points de vue des acteurs institutionnels. La journée sera donc ouverte au recueil d’expériences de terrain et aux témoignages des acteurs concernés par cette thématique du vieillissement des personnes marginalisées et de la marginalité des personnes vieillissante.
- Comité scientifique
– Christelle Achard (CERREV, Université de Caen)
– Julie Alev Dilmac (Université de Galatasaray)
– Emilie Auger (Centre Emile Durkheim, Université de Bordeaux)
– Irem Balci (Triangle, ENS de Lyon)
– Thibaut Besozzi (LIR3S, Université de Bourgogne)
– Manuel Boucher (CRESEM, Université de Perpignan)
– Aurélien Carotenuto-Garot (Cresppa-GTM, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis)
– Aline Chamahian (Mesopholhis, Université Aix-Marseille / CeRIES, Université de Lille)
– Julie Costa (CERREV, Université de Caen)
– Laura Delcourt (CeRIES, Université de Lille)
– Lucile Franz (Institut de travail social, Haute Ecole de Travail social Valais/Wallis)
– Manon Labarchède (Laboratoire Passages, UMR CNRS 5319)
– Hervé Marchal (LIR3S – Université de Bourgogne)
– Thibauld Moulaert (Pacte, Université Grenoble Alpes)
– Sophie Rouay-Lambert (FASSED, Institut Catholique de Paris)
– Anne-Bérénice Simzac (LHAC, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy)
– Jean-Philippe Viriot Dural (Chaire internationale SIAGE, Université de Lorraine)
- Organisateurs de la journée
Cette journée est organisée conjointement par :
– Le RT 3 « Normes, déviances et réactions sociales » de l’AFS, représenté par Thibaut Besozzi, docteur en sociologie, spécialiste de la marginalité urbaine et du sans-abrisme, membre du LIR3S (Université de Bourgogne).
– Le RT 7 « Vieillesses, vieillissement et parcours de vie », représenté par Anne-Bérénice Simzac, sociologue, docteur en science politique, spécialiste des questions liées au vieillissement, responsable du pôle recherche au sein du cabinet Generacio et membre du LHAC (Ecole Nationale d’Architecture de Nancy).
- Modalités de réponse à l’Appel à communication :
Les propositions de communication (500 mots maximum) doivent être envoyées par courrier électronique au format .doc aux adresses suivantes : anne-berenice.simzac@generacio.fr et thibaut.besozzi@u-bourgogne.fr , au plus tard 14 juin 2024. Un accusé de réception est alors adressé en retour. Les textes font l’objet d’une évaluation anonyme par deux lecteurs.trices désigné.e.s au sein du comité scientifique de la journée d’étude. Sur la base de leurs évaluations, après une discussion de
la proposition au sein du comité scientifique, une décision collective est prise. Les retours aux auteurs sont prévus à la date du 5 juillet 2024. La journée d’étude se tiendra à Nancy, sur le site de l’IRTS de Lorraine, 201 Av. Raymond Pinchard.
Bibliographie :
Association Aurore. (2016). Les angles morts de la solidarité : Les enjeux du vieillissement. Synthèse du colloque, 25.
Benoist, Y. (2016). Tant qu’on a la santé… c’est pire ! L’amélioration paradoxale des conditions de vie de personnes sans-abri. Anthropologie & Santé, 13, 21.
Besozzi, T. (2021). Quand « l’avenir est derrière soi » : Routinisation et formes d’adaptation de sansabri vieillissants. Retraite et société, 85(1), 83‑105.
Besozzi, T., & Marchal, H. (2021). Avant-propos. Retraite et société, 85(1), 9‑16.
Collectif les Morts de la Rue. (2020). Mortalité des personnes sans-domicile 2019 (p. 9).
Coulomb, L. (2018). Le soin des personnes sans domicile Entre malentendus et négociations. PUR.
Damon, J. (2021). La question SDF. PUF.
Doubovetzky, C. (2020). Vieillissement et précarité : Des inégalités au regard des représentations. Gérontologie et société, 42 / 162(2), 71‑82.
Eynard, C. (2019). Vieillir dans la rue : Une forme de vulnérabilité spécifique ? In Les vieux sont-ils forcément fragiles et vulnérables ? (p. 105‑131). Érès.
Fédération des acteurs de la solidarité Ile de France, & FEHAP. (2022). Plaidoyer : Vieillissement et précarité.
Gilbert, R., & Overney, L. (2021). Vieillir pauvre dans ses meubles. Enquête dans un foyer-logement. Retraite et société, 85(1), 17‑41.
Grenier, A. (2022). Late-Life Homelessness. Experiences of Disadvantage and Unequal Aging, Montreal, QC: McGill-Queen’s Press.
Grenier, A., & Sussman, T. (2021). Le sans-abrisme à l’âge de la vieillesse. « C’est vraiment une surcharge de ségrégation sociale ». Retraite et société, 85(1), 123‑147.
Hummel, C. (2017). Étudier le vieillissement en prison. SociologieS.
Lévy, J., & Uribelarrea, G. (2023). Le logement d’abord saisi par ses destinataires (p. 112).
Loison, M. (2023). Le sans-domicilisme. Réflexion sur les catégories de l’exclusion du logement. Revue française des affaires sociales, 1, 29‑50.
Maurin, M. (2021). Les épreuves identitaires des femmes âgées à la rue. Retraite et société, 85(1), 107‑122.
Mezzouj, F., & Jovelin, E. (2022). Entre ici et là-bas. Les personnes âgées immigrées issues du Maghreb : Des invisibles doublement vulnérabilisés. Sociétés, 158(4), 29‑44.
Rouay-Lambert, S. (2006). La retraite des anciens SDF. Trop vieux pour la rue, trop jeunes pour la maison de retraite. Les Annales de la recherche urbaine, 100, 136‑143.
Touraut, C. (2019). Vieillir en prison. Punition et compassion. Champ social Editions.
Uribelarrea, G. (2021). La dernière demeure. Accompagner les personnes sans abri en fin de vie dans un hébergement médicalisé. Retraite et société, 85(1), 43‑59.