Les “médias”, agents conservateurs de l’ordre social ? AAC RT37 Congrès AFS 2021

Les “médias”, agents conservateurs de l’ordre social ? AAC RT37 Congrès AFS 2021

IXe congrès de l’Association Française de Sociologie

Université de Lille | Campus scientifique de Villeneuve-d’Ascq

Lille | 6-9 juillet 2021

Appel à communication pour les sessions du réseau thématique

« Sociologie des médias » (RT37)

Les “médias”, agents conservateurs de l’ordre social ?

Dans le cadre du IXe Congrès de l’AFS qui portera sur le thème « Changer ? », le réseau thématique « Sociologie des médias » (RT37) retiendra des propositions de communication relevant de trois axes principaux. Il s’agira tout d’abord d’analyser, dans une perspective socio-historique et/ou comparative, la place et le rôle des organisations médiatiques et des journalistes dans la transformation et/ou la reproduction de l’ordre social et politique (axe 1). Il s’agira ensuite d’interroger les entreprises – corporatistes, politiques, juridiques, bureaucratiques, militantes ou “citoyennes” – qui affichent publiquement leur volonté de réformer les médias et/ou de construire en problèmes publics des enjeux propres au champ journalistique (axe 2). On cherchera enfin à saisir à quelles conditions la socialisation hors travail des agents participant à la production et à la consommation des contenus médiatiques est susceptible d’exercer des effets sur la structuration de leurs espaces professionnels, et dans quelle mesure les industries médiatiques peuvent contribuer à renforcer ou à modifier les dispositions incorporées des professionnels et des publics (axe 3).

Axe 1. Les organisations médiatiques et la transformation/reproduction de l’ordre social et politique

Ce premier axe interroge, dans une perspective sociohistorique et/ou comparative, la place et le rôle des organisations médiatiques et des journalistes dans la transformation et/ou la reproduction de l’ordre social et politique.

Le premier volet portera sur la dimension socio-historique de cette problématique. Dans un récit longtemps dominant des luttes pour la liberté de la presse, un front uni de journaux et de journalistes épris de démocratie aurait, au XIXe siècle en France, fait plier des gouvernements autoritaires et voter la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Des historiens ont montré que cette interprétation historique relevait largement d’une lecture rétrospective propre aux courants libéraux et républicains : en-dehors de conjonctures révolutionnaires (1830, 1848, 1871) qui peuvent aboutir à de fragiles avancées politiques et législatives grâce à l’action de quelques avant-gardes loin d’être toutes acquises aux idées propres à ces courants, la presse n’a-t-elle pas plutôt joué, historiquement, un rôle d’agent conservateur de l’ordre social et politique et des rapports de domination – de classe, de genre, de race – qui le structurent ? La facilité avec laquelle les grands journaux commerciaux se plient à la censure et à la propagande officielle quand une guerre éclate (1914) ou qu’un gouvernement autoritaire prend le pouvoir (1940) ne remet-elle pas en question le récit politique et historiographique dominant ? Le mythe d’une presse naturellement portée à défendre la liberté et la « démocratie », est rituellement réactivé et diffusé au-delà des seuls professionnels de l’information, dans le champ politique, le droit, le système d’enseignement, la recherche, la culture et les arts. C’est également un schème interprétatif que l’on retrouve dans d’autres espaces nationaux. Comment cette doxa est-elle parvenue à s’imposer, quelles luttes et rapports de force cristallise-t-elle ? Et, au final, quels ordres sociaux et politiques ce récit libéral participe-t-il lui-même à naturaliser ? Les contributions de ce premier volet pourront donc porter sur des études de cas historiques ciblées et/ou sur les luttes plus contemporaines pour l’imposition d’une lecture légitime de l’histoire de la presse et du journalisme, en France ou dans d’autres espaces nationaux.

Un second volet portera sur les luttes d’interprétation du rôle « progressiste » ou « conservateur » des médias aujourd’hui, à travers des études de cas en France, à l’étranger et/ou adoptant une approche comparative. Il s’agira d’une part de s’interroger sur la manière dont les médias mettent en scène le « changement » et les ressorts qui contribuent à la qualification de certaines dynamiques sociales comme « progressistes », « conservatrices » ou « réactionnaires ». A quelles conditions et à partir de quels normes, indicateurs ou seuils un « changement » est-il identifié comme tel par les professionnels des médias, en particulier les journalistes ? En quoi et de quelles manières participent-ils de la création « d’évènements » supposés fondateurs ou moteurs de changement ? Cette dimension pourra permettre d’interroger le rôle des différents médias et des processus de médiatisation dans la reproduction de l’ordre politique. Si le champ journalistique tend à naturaliser l’ordre interne des organisations et, plus généralement, les rapports de force qui structurent le champ politique national, comment le processus d’assignation et de reconnaissance auquel participent les agents du champ journalistique exerce-t-il des effets sur les agents du champ politique ? Dans quelles conditions la médiatisation devient-elle une ressource distinctive ?

Il s’agira d’autre part de questionner les pratiques et représentations collectives des « changements » (développements, progrès, crises, retards, etc.) dans les entreprises de presse et le champ professionnel du journalisme, en lien avec les temporalités propres à ces univers sociaux. L’industrialisation de la presse écrite, les développements de la radio, de la télévision et d’Internet au XXe siècle ont institutionnalisé les “médias de masse” et contribué à transformer les conditions de production et de réception des informations. Le champ journalistique s’est professionnalisé et autonomisé en se dotant de statuts spécifiques, de codes et chartes déontologiques, d’écoles de formation spécialisées, de syndicats et d’associations professionnelles, d’un marché du travail tendant à exclure les non-professionnels. Tandis que les médias sont érigés en « pilier de la démocratie représentative » et célébrés pour leur rôle de « contre-pouvoir », leurs activités sont, depuis les ordonnances de 1944-1945 sur la presse, encadrées par la loi et soutenues par l’Etat afin de favoriser le pluralisme et d’éviter la mainmise des « puissances d’argent ». Au début du XXIe siècle, le marché des médias a pourtant atteint, en France, un niveau élevé de concentration des entreprises de presse, au sein de grands groupes possédés par un patronat de moins en moins issu du monde du journalisme, contribuant à imposer des rythmes de production de l’information toujours plus intenses. L’écart croissant entre une petite fraction privilégiée de journalistes « faiseurs d’opinion », souvent hommes, blancs, urbains et diplômés, cumulant tous les avantages financiers et symboliques associés à leur fonction, et une masse de journalistes précaires – plus d’un tiers de la profession, souvent femmes et jeunes -, conduit beaucoup de ces derniers notamment à une forme de désenchantement professionnel et à ne voir plus dans leur métier, de plus en plus technique, répétitif et dépolitisé, qu’un gagne-pain comme un autre. Un tel constat pose des questionnements aussi complexes que stimulants : parmi quels segments professionnels et de la population, la doxa du rôle « progressiste » des médias se maintient-elle et inversement, est-elle battue en brèche ? Comment la sociologie est-elle volontairement ou involontairement, mise à contribution dans ces luttes ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles les contributions à ce second volet pourront proposer des éléments de réponse en se basant sur des enquêtes empiriquement étayées pouvant associer des retours sur expérience.

Axe 2. Changer les médias ? Entreprises réformatrices et construction des problèmes publics

Le second axe propose de s’intéresser aux entreprises collectives qui se donnent pour objectif de « changer » les médias, érigeant ainsi des enjeux sectoriels, journalistiques, au rang de problèmes publics.

Le premier volet de cet axe cherchera à saisir les conditions de transformation des « médias » (les organes de presse, leur fonctionnement, leurs agents, leur cadre juridico-institutionnel) en des enjeux de mobilisations, de controverses politiques et d’action publique. La sociologie des problèmes publics s’est attachée à analyser le rôle des « médias » dans le travail de catégorisation du monde social. La question de leur contribution à la construction sociale de la réalité a été rapidement érigée en un objet d’étude à part entière. Des travaux ont montré le rôle d’intermédiaires joué par les organes de presse écrite ou audiovisuelle entre différents entrepreneurs de cause en lutte pour l’obtention d’un traitement médiatique ample, durable et favorable. Ces entrepreneurs de cause se sont ainsi ajustés au nouveau jeu politique en incorporant les routines professionnelles instituées des journalistes et en anticipant la force de frappe symbolique des médias de grande diffusion, capables de peser fortement sur la définition et la problématisation des enjeux des débats publics. Les « médias de masse » sont ainsi souvent appréhendés dans la littérature scientifique internationale comme occupant une position doublement médiatrice entre la « société civile » et l’Etat et entre les différentes fractions des élites au pouvoir. Une telle approche tend toutefois à reprendre dans l’analyse la doxa du « rôle démocratique » des médias et à occulter l’existence de luttes pour la définition du périmètre légitime des institutions médiatiques et la caractérisation de leur rôle social et politique, y compris en contexte autoritaire. Quelles sont les conditions structurelles et les conjonctures qui contribuent à ce déplacement de problématique à travers lequel les médias d’information passent du statut d’intermédiaires dans la construction des problèmes publics à celui d’objets de débats publics pouvant déboucher sur des mobilisations institutionnelles ou protestataires et la transformation du cadre légal et institutionnel qui définit leur place et leur rôle dans l’espace social global ? Les contributions mettant cette problématique en lien avec la montée de la contestation organisée des médias dominants (actions collectives les ciblant de manière spécifique, montée d’un sentiment de rejet de la part de certains journalistes) et l’essor de médias citoyens, militants, locaux ou en ligne proposant des contre-discours ou des narrations dites alternatives (comme les médias liés aux groupes « complotistes » ou qui se réclament de la « réinformation »), seront les bienvenues.

Le deuxième volet interrogera plus spécifiquement la manière dont se constitue comme problème public le « pouvoir » des médias, y compris dans des espaces peu légitimes de débat. Les critiques du « pouvoir des médias » s’inscrivent dans une controverse ancienne (que l’on pense aux travaux critiques de l’école de Francfort), qui furent souvent adossées à un ethnocentrisme lettré, et ont été réactualisées avec l’avènement du numérique (par exemple autour de l’usage des « écrans »). Les communications réflexives prêtant attention aux rapports (souvent) ambivalents entre professionnels des médias et sociologues/politistes et relatifs à la concurrence entre ces producteurs de vision du monde social sont encouragées. Les propositions pourront également s’intéresser aux entreprises de moralisation, comme la mise en place de classes d’éducation aux médias en réponse à la menace supposée des « fake news » : quel est le travail politique et symbolique sous-jacent ? Par qui et au nom de quoi est-il mené ? Au-delà des missions attribuées, les intervenants professionnels parviennent-ils à transformer, en partie et sous certaines conditions, le rapport aux médias des élèves dont ils ont la charge ? Si non, quelles résistances rencontrent-ils ? Ce volet pourra également être l’occasion de questionner les contestations « profanes » des médias – qu’elles soient explicites ou implicites (comme l’attention oblique des classes populaires décrite par R. Hoggart) – en rapportant, autant que faire se peut, ces (prises de) positions critiques au contexte social, familial, scolaire, politique, donc aux dispositions et aux dispositifs qui les ont rendues possibles. En effet, si d’ordinaire il semble qu’il soit plutôt rare de mobiliser une « vision alternative » des médias, de nombreux dispositifs notamment d’autopublication – chaînes Youtube, blogs, réseaux sociaux, etc. – tendent à fonctionner comme des espaces infrapolitiques d’expression dans lesquels de telles visions, socialement peu légitimes, peuvent se donner à lire, à voir et à entendre.

Axe 3. Socialisation et formation des habitus chez les professionnels et les publics des médias

Le troisième axe porte sur la socialisation « hors travail » des journalistes et sur la dimension socialisatrice des « médias ». De quelle façon contribuent-ils à la (trans)formation des façons d’être, de penser, de se tenir ?

Un premier volet de réflexion portera sur la socialisation hors travail des journalistes, c’est-à-dire en dehors des heures de travail et des espaces professionnels (e.g. espaces de sociabilité festifs, relations aux anciens camarades de promotion, etc.). Les communications proposées devront interroger les socialisations secondaires des journalistes dans d’autres contextes et aux contacts d’autres catégories d’agents (e.g. espace d’habitation, vie familiale, pratiques culturelles, en tant que parents d’élèves…). Ceci permettra de comprendre les éventuels déplacements dans l’espace social pour les rares transfuges de classes, ou les formes d’ascensions sociales pour les enfants des classes moyennes qui accèdent à des fractions supérieures et voient leur structure en capitaux évoluer (quartiers d’habitations, responsabilités exercées qui les confrontent aux représentants des classes dominantes) mais, aussi, les (risques de) déclassements et efforts de maintien dans leurs positions sociales d’autant plus forts dans un contexte réputé difficile pour l’emploi dans les médias. Cette perspective incite à faire un pas de côté par rapport aux enquêtes classiques relatives à la socialisation professionnelle des journalistes en s’intéressant à leur temps libre et à ce qui ne se livre « pas d’emblée ». Toutefois, cela n’induit pas de dissocier artificiellement le travail du hors-travail mais, au contraire, d’observer ce que le travail engendre dans la sociabilité hors travail et les dispositions « amenées » au travail et les changements que cela produit.

Un second volet de réflexion portera, dans le cadre d’une session croisée avec le RT50 “Socialisations”, sur les « médias » considérés en tant qu’agents de socialisation. Souvent mentionnés parmi les instances centrales de socialisation, les « médias » souffrent pourtant d’un relatif désintérêt en sociologie de la socialisation. Hormis quelques enquêtes de réception, souvent consacrées aux classes populaires, la socialisation « par les médias » et la socialisation « aux médias » restent des dimensions rarement étudiées pour elles-mêmes. Cette session croisée invite à ne pas inférer la socialisation d’analyses de contenus, et d’aller au-delà des schèmes inscrits dans les contenus médiatiques. Les communications proposées devront insister sur la dimension socialisatrice des « médias » et la manière dont ils contribuent à la formation et/ou à la transformation des dispositions individuelles (i.e. manières de penser, de sentir et d’agir). La plupart des recherches sur les consommations médiatiques juvéniles s’intéressent à « l’influence des médias » sur les « comportements ». Or, saisie sous cet angle, l’administration de la preuve reste relativement fragile. Si les analyses en termes d’influence sont possibles et encore trop peu menées, il vaut la peine également de dépasser le postulat d’un face-à-face entre un individu et un contenu pour observer les pratiques en situation et les contextes d’usage des médias. Il convient en outre de rompre à la fois avec une vision homogénéisante des publics, et avec une vision monolithique des « médias » (en évitant d’utiliser des catégories aussi abstraites que « les écrans »). La sélection des communications valorisera par conséquent la production de matériaux empiriques permettant d’éclairer les conditions sociales de réception des produits médiatiques.

Construire l’objet – et le regard – de manière à considérer les « médias » comme agents de socialisation nécessite de ne pas les isoler des autres instances de socialisation et de les penser relationnellement. Ainsi, la consommation des médias est en partie déterminée par la socialisation familiale, ne serait-ce que par l’exposition sélective à laquelle contribuent les parents. C’est le cas, par exemple, de la télévision, qui donne lieu à des pratiques éducatives socialement différenciées selon les classes et les fractions de classes considérées. Certaines consommations médiatiques échappent pourtant au regard parental, et les usages contemporains des écrans individuels pourront être interrogés. Les communications devront donc s’appuyer sur des études précises qui saisissent la socialisation au concret, fût-elle saisie a posteriori par une exploitation secondaire des données empiriques visant à saisir l’objet « médias » et les appropriations différenciées du côté des publics. Une attention particulière devra être portée aux cadres de socialisation et, autant que faire se peut, aux effets (distinguant le court du moyen terme). Cette session fournira en outre l’occasion de mettre à l’épreuve empirique les « grands modèles » de la réception des contenus médiatiques mais, aussi, de poser des questions d’ordre méthodologique sur les manières de faire de la recherche pour rendre compte de ces processus.

Modalités de soumission

Les propositions de communication (environ 5000 signes, espaces compris) devront comporter :

– une présentation de la thématique proposée, de son lien avec la problématique sociologique de l’appel à communication, et de l’axe auquel elle se rapporte ;

– une présentation du terrain et de la démarche empirique mise en œuvre ainsi que du cadre théorique d’analyse mobilisé ;

– quelques références bibliographiques.

Elles devront être déposées sur le site Web de l’AFS (https://afs-socio.fr/rt/rt37/) entre le 15 novembre 2020 et le 15 février 2021.

Les propositions de communication feront l’objet d’une évaluation en double aveugle par les membres du comité scientifique. Les auteurs seront notifiés des résultats de la sélection des propositions le 20 mars 2021. Des conseils pourront alors leur être transmis quant à l’intégration de leur communication dans la problématique des sessions.

Pour les propositions retenues, les textes définitifs (45 000 signes, espaces compris) devront être remis au plus tard le 31 mai 2021.

Comité d’organisation :

Berthaut, S. Dahani, B. Ferron, C. Gousset, P. Mayance

Comité scientifique

Hadj Belgacem, F. Brisset-Foucault, J. Berthaut, I. Chupin, S. Dahani, B. Ferron, C. Gousset, N. Hubé, N. Kaciaf, P. Mayance, J. Sedel; K. Souanef


@ rt37afs.sociologiedesmedias@gmail.com

Retrouvez l’actualité du RT37 « Sociologie des médias » sur :  https://sociomedias.hypotheses.org/ et le groupe Facebook Sociologie des médias RT37-AFS Public Group













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