Environnement(s), inégalités sociales et déviances

Environnement(s), inégalités sociales et déviances

11ème Congrès de l’Association Française de Sociologie

Toulouse (8-11 juillet 2025)

Appel à communication du Réseau Thématique 3 « Normes, déviances et réactions sociales »

Environnement(s), inégalités sociales et déviances

Dans le cadre du 11ᵉ congrès de l’AFS « Environnement(s) et inégalités », le RT3 invite à interroger les imbrications entre l’« environnement » – entendu comme le cadre global des interactions sociales, et non strictement écologique – les inégalités et les réactions sociales face à la déviance.

Dans un premier temps, on s’intéressera aux liens entre « environnements », déviances et réactions sociales, en nous inspirant des premiers travaux de l’École Chicago, qui ont posé les bases d’une approche des phénomènes sociaux particulièrement centrée sur leur dimension et leur configuration environnementales. Pour ses précurseurs, tels que Robert Park, Ernest Burgess ou Roderick Mackenzie (1967), comprendre les comportements humains, les multiples formes d’organisation sociale et leur évolution nécessite une analyse approfondie des rapports et des relations que les individus établissement avec l’espace dans lequel ils évoluent (Grafmeyer et Joseph, 2019). Dans ce cadre, la sociologie devait s’intéresser à la manière dont les groupes sociaux – à l’image des espèces non humaines dans un habitat naturel – entrent en compétition constante pour des ressources limitées et inégalement réparties, tout en les façonnant à leurs environnements immédiats et en s’y adaptant. Malgré les critiques adressées à leur perspective naturaliste et parfois déterministe des communautés humaines, ces travaux fondateurs ainsi que leurs féconds prolongements théoriques et empiriques révèlent encore aujourd’hui à quel point la prise en considération de l’environnement, sous ses multiples facettes, demeure essentielle pour saisir les dynamiques sociales et les multiples inégalités qui les constituent.

 

Si, d’une part, les recherches menées par ces pionniers et leurs successeurs ont joué un rôle fondamental dans la compréhension des milieux humains et leurs particularités environnementales, d’autre part, elles ont aussi ouvert la voie à une solide tradition sociologique axée sur la déviance, la délinquance et le contrôle social dans les sociétés modernes. En analysant comment les contextes environnementaux influencent les comportements individuels et collectifs, ces travaux ont permis de mieux comprendre les processus par lesquels certaines pratiques sont définies comme déviantes, ainsi que les réponses sociales, souvent ancrées dans des dynamiques spatiales, qui s’y déploient (Anderson, 1923 ; Whyte, 1955 ; Goffman, 1968 ; Becker, 1985 ; Le Breton, 2012). Mais comment, aujourd’hui, au prisme des enjeux sociétaux contemporains et de nombreuses « crises » (Heurtaux, Renault et Taragoni, 2023) qui traversent les échelles globales et locales, appréhender la dimension environnementale des normes, des déviances et du contrôle social ? Comment articuler ces dimensions sans céder à une « tentation géographiste » (Renahy, 2009) mais aussi aux risques d’expliquer « le social par le spatial » et ainsi de réduire la complexité des dynamiques sociales à leurs seuls ancrages spatiaux (Grafmeyer et Joseph, 2019) ? 

Dans un deuxième temps, nous proposons d’examiner les liens entre « inégalités, déviances et réactions sociales ». Il convient de souligner que la notion d’inégalité implique nécessairement une comparaison entre différentes situations sociales, qu’il s’agisse de groupes sociaux, d’espaces géographiques, d’ensembles politiques, d’individus, etc. Du point de vue sociologique, bien que les évolutions des inégalités sociales mesurées soient significatives, il apparaît comme davantage pertinent de s’intéresser à l’expérience des inégalités, c’est-à-dire les façons dont elles sont vécues et perçues par les groupes sociaux et les individus. En effet, il n’y a pas de lien évident entre la mesure des inégalités, de revenu par exemple, et la tolérance à ces inégalités. Par exemple, bien que les Etats-Unis présentent des inégalités de revenus plus marquées qu’en France, cette différence y est mieux tolérée. Il y a donc un hiatus entre l’amplitude des inégalités sociales et la manière dont elles sont perçues socialement. Pour François Dubet, le nouveau « régime des inégalités » qui s’impose à partir des années 1990 marque un tournant : la centralité des représentations des inégalités propres à une société de classe cède la place à une perception des inégalités « en tant que », c’est-à-dire selon des critères de comparaison multiples dépendant de la situation, de l’identité, du parcours, etc., et qui ne se recoupent plus nécessairement. L’inégalité devient alors de plus en plus une expérience vécue de manière singulière. Dans ce contexte, où l’inégalité est perçue et vécue de façon de plus en plus personnelle, on assiste alors à un changement du modèle de justice. A la recherche d’une égalisation des conditions sociales d’existence propres aux sociétés industrielles nationales, succède la valorisation du principe de l’égalité des chances méritocratique. Ce changement marque un déplacement de l’économie morale de l’injustice vers les individus et leur responsabilité. Les critères de comparaison se font désormais « au plus près de soi » : les individus tendent à se comparer de plus en plus avec ceux qui leur sont proches, immédiatement au-dessus ou en dessous. Dans ces conditions, la peur du déclassement devient un sentiment largement partagé. Les victimes d’inégalités évidentes sont susceptibles d’être perçues, au moins en partie, comme responsables de leur propre sort. 

La perception des inégalités, vécues de manière de plus en plus personnelle et liée à des critères de comparaison immédiats, influence directement les réactions sociales vis-à-vis de la déviance. Lorsque l’inégalité est perçue comme une responsabilité individuelle, les comportements déviants peuvent être interprétés non seulement comme des écarts par rapport aux normes sociales, mais aussi comme des signes d’échec personnel. Les individus sont jugés en fonction de leur capacité à naviguer dans un environnement perçu comme égalitaire, mais où les écarts sont néanmoins profonds. Dans ce contexte, la stigmatisation des personnes déviantes peut alors s’accentuer, en les assignant à une position de marginalité dont elles seraient responsables.

 

Ces réflexions soulèvent des questions importantes concernant les effets de ces transformations des inégalités sur les représentations de la déviance, ainsi que sur les pratiques déviantes et les réactions sociales qu’elles suscitent. Quelles sont les effets de ces mutations sur la dimension symbolique des inégalités, c’est-à-dire sur les effets de catégorisation (assignations, discriminations, etc.) des groupes désignés comme déviants ? Dans quelle mesure les politiques et dispositifs de lutte contre les inégalités ont-ils des effets sur la production de la déviance ? En effet, ces dispositifs, bien que intentionnés pour réduire les inégalités, peuvent parfois conduire paradoxalement à une production ou une reproduction de formes de déviance, en stigmatisant davantage certaines populations. Existe-t-il des mobilisations sociales de contestation des inégalités revendiquant un changement de normes sociales susceptibles d’être perçus, traités comme déviants ou user de répertoires d’actions illégalisés, etc. ? Les principales théories de la déviance et du contrôle social (socialisation déviante, frustration relative, interactionnisme, …) peuvent-elles rendre compte des transformations de l’expérience des inégalités ?

Enfin, on pourra également s’interroger sur les interactions complexes entre les dimensions sociales et écologiques, qui soulignent la manière dont  choix sociaux et environnement sont inextricablement liés. Les questions environnementales, telles que le changement climatique, ne peuvent être dissociées des inégalités sociales qu’elles exacerbent, tout comme les mobilisations écologiques, parfois perçues comme déviantes, peuvent être vues comme des réponses radicales aux injustices sociales et environnementales. En ce sens, les mouvements sociaux contemporains cherchent non seulement à réconcilier les dimensions sociales et écologiques, mais aussi à repenser les normes sociales elles-mêmes, ce qui soulève des interrogations sur la manière dont les pratiques déviantes peuvent être interprétées et, en retour, influencer les rapports sociaux et les politiques publiques. Comment soutenir les comportements déviants lorsqu’ils sont porteurs de vraies propositions sociétales ?

 

Anderson N., The Hobo: the Sociology of the Homeless Man, Chicago, University of Chicago Press, 1923.

Becker H., Outsiders, New York, Free Press, 1963, tr. fr. Outsiders. Études de sociologie de la déviance, préface de J.-M. Chapoulie, Paris, A.-M. Métailié, 1985.

Dubet F., Le temps des passions tristes. Inégalités et populisme, Seuil, La Républiques des idées, 2019.

Dubet, F., Tous inégaux, tous singuliers. Repenser la solidarité, Seuil, 2022.

Grafmeyer Y. et Joseph I., L’École de Chicago, naissance de l’écologie urbaine, textes traduits et présentés, Paris, Flammarion, Collection « Champs Essais », 2009.

Goffman, Erving, Asiles, Paris, Editions de Minuit, 1968.

Heurtaux J., Renault R. et Tarragoni F. (Dir.), « Etats de crise », Tracés. Revue de Sciences humaines, numéro 44, 2023.

Le Breton D., L’interactionnisme symbolique, Paris, Presses Universitaires de France, 2012.

Park R., Burgess E. et McKenzie R., The City. Suggestions for Investigation of Human Behavior in the Urban Environment, Chicago, University of Chicago Press, 1967.

Renahy, N., « “Les problèmes, ils restent pas où ils sont, ils viennent avec toi” : Appartenance ouvrière et migration de précarité ». Agora débats/jeunesses, 2009, numéro 3, p.135-147.

Whyte W. F., Street Corner Society: the Social Structure of an Italian Slum, Chicago, University of Chicago Press, 1955, 2e éd.

 

Modalités de soumission 

 

Cet appel s’adresse aux chercheurs et chercheuses en sciences sociales qui s’intéressent aux questions d’environnements, d’inégalités, de déviances et de réactions sociales. Les communications d’une longueur de 3000 signes maximum (espaces compris), devront être, d’une part, proposées sur le site de l’AFS dans la rubrique du congrès qui correspond aux propositions de communications des RT et d’autre part, envoyées à cette adresse : rt3@irtsnormandie.ids.fr, au plus tard le 15 janvier 2025. Ces propositions comporteront un titre précis. Elles préciseront l’objet de la recherche, de l’expérience collaborative, la problématique, les terrains d’enquête et les méthodes mobilisées ainsi que les principaux résultats qui seront présentés (y compris lorsqu’ils sont encore à l’état provisoire). Les auteurs indiqueront dans leur proposition une adresse électronique à laquelle ils et elles peuvent être contactés. Les avis du comité de sélection leur seront transmis le 17 février 2025. À noter que des axes thématiques seront construits à partir des propositions de communication sélectionnées.













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