03 Déc Dan Ferrand-Bechmann, présidente de 2006 à 2009
Pour des raisons indépendantes de ma volonté, je n’ai pas suivi en direct les premiers pas de l’AFS à Cachan, mais je me suis fortement mobilisée pour le congrès de Villetaneuse en février 2004, d’autant que j’étais professeure dans le 93 à l’Université de Paris 8, voisine géographiquement. Il y eut beaucoup plus de monde que nous ne le prévoyions et l’organisation était assez improvisée, mais fit face à une foule inattendue et enthousiaste. Daniel Bertaux, qui avait été élu président en 2002, fut réélu. J’entrais alors au comité exécutif. Parallèlement, j’avais monté un comité de recherche sur la sociologie du bénévolat et de l’engagement, qui était mon thème de travail depuis ma thèse d’État, mais je n’étais jamais loin de travaux de sociologie urbaine.
Pendant ce mandat 2004-2006, l’AFS s’était fortement consolidée sur de nombreux chantiers et avait jeté des fondations solides. J’y fus surtout chargée avec d’autres de la préparation du congrès de Bordeaux, dont je connaissais l’Université pour y avoir été élue comme membre extérieure de certains conseils, et parce que j’avais des contacts nombreux avec l’administration de programmes éducatifs européens qui est située sur les quais de la Garonne (agence européenne Socrates- Leonardo da Vinci). Pour cela, je devins vice-présidente chargée du congrès. Le thème girondin était « Dire le monde social : les sociologues face aux discours politiques, économiques et médiatiques ». Le comité local d’organisation du congrès était très actif et l’organisation des séances de 40 réseaux, des sessions et des réunions plénières et semi-plénières, des tables rondes, mais aussi des réceptions se déroula très bien, bien que la mairie nous ait fait déménager de lieu à la dernière minute pour le pot d’accueil. Le livre du congrès, véritable défi en informatique, était très complet grâce à Philippe Cibois et Louis Chauvel. Il y avait dans les tables rondes la présence de « vedettes » comme Edwy Plenel et François Dubet. La venue de nombreux sociologues étrangers marqua cette étape de l’histoire de l’AFS. L’internationalisation était à l’ordre du jour, tout comme la parité de genre, la décentralisation, le soutien des doctorants et bientôt celui des sociologues professionnels. Je développais ces points dans ma déclaration de nouvelle élue. Louis Chauvel se présenta contre moi, mais en toute amitié et par souci de démocratie. Pendant une soirée j’ai imaginé que je n’aurais pas cette charge de présidente à assumer. Je fus élue.
Mon mandat à l’AFS me sembla aisé, car j’avais une longue expérience de responsabilités administratives plus lourdes dans des cadres universitaires, de missions dans des cabinets ministériels, dans la recherche y compris sur des contrats européens et j’avais été pendant longtemps élue dans des comités de recherche de l’association internationale de sociologie (AIS). J’avais terminé quelques années auparavant une recherche sur l’inégalité entre les hommes et les femmes dans les associations, en particulier pour la Ligue de l’Enseignement et pour la mission du centenaire de la loi de 1901, et il m’a semblé que je continuais à faire de l’observation in vivo. Succéder à Daniel Bertaux, pour qui j’avais une grande admiration, fut un challenge. Il était de la vieille école et pensait probablement que je continuerais à travailler sous sa houlette. Il n’en fut rien. Il me donna des conseils et fit des remarques sur les nouveaux membres du CE, surtout les anciens, et leur envoya malencontreusement un mail à tous en faisant une fausse manœuvre : « réponse à tous ». Il me prévenait contre des opposants, mais en fait ce furent trois années très conviviales et amicales avec les anciens du CE 2004-2006 : Louis Chauvel, Philippe Cibois, Catherine Dechamp-Le Roux, Bertrand Geay, Laurence Grandchamp-Florentino, Christelle Hamel, Jean-Charles Lagrée, Pierre Lenel, Dominique Memmi, Laurent Mucchielli, Abou Ndiaye, Gisèle Sapiro, Muriel Tapie-Grimme, Olivier Vasseur, Pierre-Paul Zalio et Daniel Bertaux… Les nouveaux entrants étaient : Béatrice Appay, Isabelle Bourgeois, Sylvie Célerier, Florent Gaudez, Sylvia Girel, Claude Martin, Olivier Martin, Karine Messager, Delphine Naudier, Odile Piriou et Ariel Sevilla. Les débats qui avaient suivi le « fuitage » du mail de Daniel favorisèrent probablement des échanges démocratiques.
Nous avons essayé d’introduire un esprit d’équipe et de relever trois défis :
- Développer le RESU (Réseau des sociologues du sud de l’Europe), et les relations avec l’AIS, l’AISLF et l’ESA puis l’ASES.
- Mettre au clair l’administration et la comptabilité de l’AFS et les déclarations qui se devaient d’être complétées après ces quatre années de début d’existence. Le fonctionnement des associations est complexe et soumis à une intrusion perpétuelle de l’État. Ariel Sevilla se mit à cette tâche avant de passer la main à Haby Doumbia, une de mes doctorantes.
- Enfin soutenir et développer le Comité d’action sociologie professionnelle (CASP).
Il y avait aussi des chantiers difficiles à poursuivre : celui d’une charte déontologique un peu contestée et celui de la revue Socio-logos, dont Lise Demailly était responsable alors qu’elle a été malade une grande partie de ce mandat.
Nous avions l’aide ponctuelle d’un comptable Jean-Michel Ballester[1] qui nous aida à faire des bilans conformes aux demandes souvent complexes de financements, lesquels avaient très bien abouti pour les congrès de Bordeaux et bientôt celui de Paris en 2009. Les budgets de l’AFS étaient relativement florissants et les dépenses prudentes.
Une des tâches des président×e×s à l’AFS est de faire connaître la sociologie française et de donner un avis sur la politique du gouvernement dans la recherche et l’enseignement du supérieur et éventuellement du secondaire. Nous avons publié un article dans L’Huma en 2007, que j’ai signé avec Charles Gadea. Les médias dont la télévision nous sollicitaient. Louis Chauvel, avec son écharpe rouge, était un bon médiateur. J’avais de nombreux contacts avec des sociologues d’autres pays.
Nous étions trois sociologues français qui présidions et faisions équipe à l’AIS, l’AISLF et bien sûr à l’AFS : Michel Wieviorka, Monique Hirschhorn et moi-même. Nous avons convenu d’éviter de faire des congrès la même année, ce qui allongea mon mandat à 3 ans au lieu de 2. L’AISLF fait des congrès tous les 4 ans et cela lui permit de faire son congrès à Istanbul en 2008 sans être en concurrence avec l’AFS. Les inscriptions et les séjours sont chers et qu’il y ait deux congrès ou plus une même année est un handicap.
Le RESU avait tenu plusieurs meetings dont les principaux, tout d’abord à Lisbonne en 2003, puis à Capri en 2005, à Lisbonne en 2006, mais aussi à Durban lors du congrès de l’AIS et à Bordeaux en septembre 2006, à la Corogne en 2007, à l’ESA à Glasgow puis à Urbino en 2007, ensuite à Rome, Porto et à Barcelone en 2008 et à Cordoue et Paris en 2009. Le conseil était constitué des président×e×s en exercice et des président×e×s sortant des associations nationales, d’un délégué ou coordinateur qui était Consuelo Corradi. Plus tard, le RESU s’est fondu avec un réseau de l’ESA : le RN27 (Regional Network on Southern European Societies). Le RESU réunissait deux associations nationales espagnoles et les associations portugaise, italienne, grecque et française. Il fut envisagé de l’élargir au Brésil et au Maghreb. Son but était de développer les échanges entre les chercheurs et les enseignants des pays du sud de l’Europe et des pays méditerranéens, qui sont concernés par des problèmes communs. L’anglais n’était pas majoritairement mis en avant dans nos échanges, même si l’efficacité primant, nous finissions souvent par l’utiliser tout en essayant de nous parler dans nos propres langues et d’écouter celles des autres, comme il est d’usage dans les échanges européens.
Le CASP, sous la responsabilité d’Abou Ndiaye était une préoccupation majeure pour une petite partie du CE, mais il révéla la difficulté du problème de l’intégration et la reconnaissance des sociologues professionnels pour beaucoup de sociologues enseignants et chercheurs. Les thèmes d’une journée d’étude en 2007 à l’EHESS, furent : la recherche fondamentale/appliquée, les études et diagnostics, les postures professionnelles, les nouvelles formes de conseil et d’intervention, l’évaluation, la déontologie… Les différences de points de vue entre les différents « corps de métier » apparurent fortement, pour ne pas souligner les hiérarchies de statut et de reconnaissance entre les uns et les autres. L’enthousiasme n’était pas au rendez-vous et il me fallut défendre l’équipe du CASP qui s’y adonnait énergiquement et avec passion. L’apport de sociologues étrangers, en particulier portugais, légitimait nos efforts et soulignait la position très académique de la France dont les sociologues sont majoritairement au CNRS et dans les Universités et souvent fonctionnaires. Depuis ces douze dernières années, la professionnalisation montante de nombre de diplômes changerait probablement les postures et les points de vue.
Le soutien des doctorants et des écoles doctorales était plus habituel dans les associations et à l’AFS en particulier et relevait de cette transmission au cœur de notre métier et de notre déontologie. Le poids des jeunes sociologues dans les congrès, et la place qui leur a été donnée, se sont faits en continuation de la politique énergique de Daniel Bertaux lors de ses deux mandats.
Le congrès de 2009 à Paris, dans les locaux de l’Université de Paris-Diderot, avait pour thème « Violences et Société[2] ». L’introduction par Abram de Swaan, sociologue hollandais, sur « la régression au service de l’État, la violence de masse », posait la question des violences extrêmes et des processus de « décivilisation ». Nous organisâmes aussi des états généraux de la sociologie avec des ateliers sur l’avenir de la profession d’enseignant, les problèmes d’évaluations des carrières, de l’insertion dans les milieux professionnels, etc. Il y eut une session sur la sociologie publique avec Michael Burawoy qui a été Président de l’AIS.
Trois questions se posent quant à l’existence et l’efficacité des associations de sociologues :
- La nature de l’engagement de ses membres
- L’éparpillement des réseaux
- Le nombre des associations
Pour avoir travaillé tant d’années sur le bénévolat et en avoir donné une définition, j’en exclus la participation à l’administration de l’AFS. Tout comme militer dans les syndicats, s’engager dans une association « professionnelle » apporte en principe un bénéfice en termes de reconnaissance par ses pairs et parce que cela permet de constituer des réseaux. C’est une des motivations de l’engagement. Certes, une grande énergie est donnée au soutien aux plus jeunes et aux doctorants, ce qui en partie apporte aussi une reconnaissance et des liens très forts avec une génération plus jeune. Certains se targuent de la défense généreuse de la sociologie, de son développement et d’en dessiner des pistes et des nouveaux contours. Mais in fine chacun y récolte des lauriers, à moins de se fourvoyer dans des erreurs, en particulier administratives et comptables, et d’y laisser des plumes. On connaît aussi ceux qui à peine élus ne viennent jamais aux réunions et ne participent à aucune action, mais dont le nom reste au moins pour un mandat sur les sites et sur un CV. D’autres, au contraire, y donnent une énergie considérable et un temps important, sans compter des finances, car nous contribuions personnellement largement aux déplacements pour prendre des contacts ou représenter l’AFS dans d’autres associations ou instances. La gestion des plannings universitaires permet quelquefois de faire des choix, et beaucoup de collègues dévorent allègrement leurs temps de loisir et leurs devoirs familiaux en acceptant ces charges dites administratives.
L’éparpillement et le nombre des réseaux, comités et groupe de travail, fracturent ou fissurent la cohésion des associations. Une armée de fantassins regroupés en escadrons plus ou moins serrés et plus ou moins nombreux constitue la chair de l’AFS tout comme des autres associations de sociologues. Pour prendre une autre image, c’est une vaste couverture tricotée dont les différents morceaux ont souvent des liens lâches. L’autonomie des réseaux, leur inégalité en matière de nombre de membres et d’activité demande une gestion complexe pour le président et son équipe qui doivent veiller à une solidarité entre les uns et les autres. Il faut inventer des moyens ingénieux de faire des actions communes et de rapprocher des équipes et pour cela y donner un peu de budget pour des projets et des séances « rassembleuses ».
La multiplicité des associations, dont j’ai parlé souvent, mais en particulier dans une conférence au CNAM en 2012, pose divers problèmes. Elle se résout quelquefois quand un groupe ou un comité se réclame de plusieurs associations, ce qui est le cas de la sociologie clinique. Mais en général, il faut choisir d’aller à tel ou tel congrès et on ne peut pour des raisons de temps et d’argent être présent partout. L’adhésion à l’ESA est chère et la présence aux congrès aussi, la participation à l’AIS demande de très longs et coûteux déplacements comme en Afrique du Sud ou en Australie, l’AISLF exclut ceux qui ont des thèmes de recherches qui réclament de travailler avec les Américains. Surtout, proposer et rédiger des communications et aller à de nombreux congrès, souvent une même année, demande un temps considérable.
La perte de l’utilisation des savoirs et des compétences des ex-présidents m’interroge aussi. Sans aller dans une incrustation à perpétuité et des présidents d’honneur indéboulonnables, il aurait fallu trouver un système pour profiter de leur expérience.
[1] Décédé en 2018.
[2] Un volume fut publié quelques mois après chez Desclée de Brouwer sous la direction d’Abou Ndiaye et la mienne.