Introduction
En s’insérant dans le thème général « Environnement(s) et inégalités » retenu pour le 11e congrès de l’Association française de sociologie, le RT37 « Sociologie des médias » propose un appel à communications large qui permettra d’interroger dans une perspective sociologique le thème de l’
environnement des médias. La notion d’
environnement est ici envisagée à travers une pluralité d’aspects, d’un côté synonyme d’écologie, mais également comme concept sociologique. L'environnement peut, par exemple, être considéré sous l’angle d’un objet d’actualité et de sa transformation progressive en spécialité journalistique. Il peut devenir l’enjeu de lutte entre différents groupes (journalistes, scientifiques, membres d’associations) revendiquant une expertise sur les questions écologiques, ou encore un thème faisant l’objet de revendications portées par des mouvements sociaux que les médias d’information cherchent à couvrir. Parmi les évolutions sociographiques du groupe professionnel des journalistes, on peut identifier l’émergence d’une nouvelle mission de socialisation à la question environnementale. Inversement, la demande pour davantage de prise de conscience de cette question par les grands médias peut être une mission particulière que se donnent certains groupes militants. Enfin, l’environnement des médias, c’est aussi le cadre institutionnel, économique et politique dans lequel évoluent les journalistes dans leur travail quotidien de production de l’information.
Ces différents thèmes
, loin de constituer une liste exhaustive, n’en sont pas moins des portes d’entrée possibles pour penser la notion d’environnement au prisme de la sociologie des médias. Afin de proposer un lieu de discussion à un panel de recherche étendu, le présent appel est construit autour de six axes :
Axe 1 / Généralistes et spécialistes : la crise environnementale rebat-elle les cartes ?
Cet axe questionne les conséquences du traitement des questions environnementales et de la crise climatique sur les divisions internes des mondes journalistiques. Les sous-champs spécialisés du journalisme ont régulièrement été perçus comme hermétiques les uns par rapport aux autres, souvent par le prisme de logiques internes à l’espace journalistique. L’ordre hiérarchique des spécialités journalistiques au sein des rédactions semble souvent immuable. Pour autant, certains événements peuvent brouiller les hiérarchies à l’intérieur des groupes. Le traitement médiatique de l’urgence climatique a été l’occasion de renégocier les frontières des sous-champs spécialisés dans les rédactions et au-delà, dans une tentative continue de réactualisation de la légitimité journalistique. On peut également observer des déplacements, des glissements ou des hybridations de spécialités, de genres et de techniques journalistiques.
Les journalistes environnementaux sont dotés d’un fort capital culturel et économique, mais historiquement restent dominés au sein de l’espace journalistique. Cette spécialisation est quelque brouillée, sa légitimité diluée dans des spécialités journalistiques (climat, biodiversité, questions agricultures, projets d’ampleur, etc.) qui sont en concurrence dans un sous champ environnemental mal délimité, dominé et en déconstruction fluctuante… À cette spécialisation au sein des médias, s’ajoute l’essor de nouveaux médias en ligne spécialisés comme Reporterre et Vert.
Les communications souhaitant s’inscrire dans cet axe pourront partir des questionnements suivants : à quelles conditions et comment les logiques socioprofessionnelles transitent d’un sous-champ spécialisé à l’autre ? Comment ces déplacements se répercutent-ils sur les savoir-faire et les pratiques journalistiques, tout comme sur la répartition des capitaux, sur les trajectoires, les ressources et les dispositions des agents ? Comment se réagencent les perceptions des rôles et de placements des sous-champs spécialisés au regard des changements sociaux et des rapports renouvelés avec la société civile (éducation aux médias, résidences de journalistes, lieux tiers, etc.) ? Quels sont les degrés de formalisation de ces réagencements entre généralistes et spécialistes dans la refonte de la division du travail journalistique au sein des rédactions et, globalement, dans la (re)structuration de l’espace médiatique ?
Axe 2 / La production médiatique de la crise environnementale : informer, expliquer et mobiliser les acteurs de l'expertise
Cet axe explore la couverture médiatique des problématiques environnementales et leur traitement dans un contexte où des événements comme les incendies, les records de sécheresse ou les tempêtes deviennent des sujets récurrents, parfois traités de manière routinière. Il s’agit alors d’interroger si ces catastrophes tendent à être couvertes comme des « marronniers » qui perdent leur capacité à informer ou à mobiliser le public, ce qui pose la question d’une dépolitisation des enjeux environnementaux. Cette banalisation affecte également la perception des causes (telles que la déforestation ou la pollution) et des conséquences des dérèglements climatiques (comme l’extinction d’espèces ou les inondations). Les logiques de production médiatique débouchent-elles sur une concurrence des causes qui freine l’émergence de cadre mobilisateur plus général ?
L’axe invite aussi à réfléchir à la porosité des frontières entre le champ journalistique et le champ scientifique. L’objectif est de s’intéresser aux conditions sociales et contextuelles de possibilité de la circulation des savoirs et des savoir-faire, particulièrement dans les moments de crise, où le flou de la frontière entre profession journalistique et profession scientifiques s'intensifie. Pour traiter de ces questions, les journalistes mobilisent, plus que d’ordinaire, les universitaires comme source d’informations, et inversement. Les questions sanitaires pourraient également être abordées, dans la mesure où elles suscitent des dynamiques similaires de médiatisation et d'expertise.
Enfin, les propositions de communication pourraient aussi porter sur l’implication des sociologues, et des sociologues de l’environnement en particulier, dans les contenus journalistiques, notamment durant les controverses. Il s’agirait par exemple d’interroger la place de la critique sociologique concernant ces enjeux. Cet axe questionne les stratégies médiatiques qui pourraient maintenir une vigilance écologique durable sans tomber dans la banalisation dans un contexte où, comme le montre Maxwell et Boykoff (2004), le “balanced reporting” devient la norme, reléguant le discours scientifique à celui d'opinion.
Axe 3 / La médiatisation des mobilisations environnementales
Cet axe examine la manière dont les médias couvrent les mobilisations environnementales, en mettant en lumière les hiérarchies implicites qui influencent le traitement des causes défendues. Les personnes souhaitant proposer une communication dans le cadre de cet axe sont appelées à interroger le rôle des médias face aux critiques d’associations militantes, comme celles sur la visibilité donnée (ou non) aux grèves des jeunes pour le climat, ou encore celles exprimées par Quota Climat sur le manque de prise en compte des questions environnementales dans les discours politiques. La place et le traitement médiatique des lanceurs et lanceuses d’alerte se posent également et peut faire l’objet d'analyses.
Les propositions pourront également interroger l’ancrage militant de certains médias spécialisés qui adoptent des modèles économiques se réclamant « indépendants » et exempts de pressions publicitaires, ce qui leur confère à la fois une crédibilité auprès des milieux militants et un pouvoir de contournement des contraintes économiques traditionnelles. Par ailleurs, l’émergence des éco-influenceurs et des youtubeurs environnementaux modifie les perspectives de carrière dans le journalisme, en ouvrant de nouvelles voies d’engagement et de visibilité, voire une nouvelle porte d’entrée dans la profession.
Axe 4 / Socialisation à l’environnement ? Productions, consommations et modes de vie
Cette année marque le lancement officiel de l’Observatoire des médias sur l’écologie pour une plus large information des Françaises et Français des enjeux environnementaux. Les récits médiatiques semblent effectivement être la principale porte d'entrée des connaissances individuelles sur le changement climatique anthropique, même s'ils sont modifiés au cours du processus de réception. Le rôle des médias dans les questions environnementales s’est longtemps résumé à une contribution dans la diffusion d’une norme d’éco-citoyenneté et dans le façonnage de la figure standardisée de « l’homo ecologicus » à l’appui d’un attirail d'injonctions adressés aux individus dans la volonté plus étendue d’une politique de responsabilisation et de promotion du consommateur-citoyen. Cette sociologisation à l’environnement repose sur la promotion d’une
doxa sensibilisatrice où les médias tiennent une place centrale dans l’entreprise de morale d’éducation à des conduites individuelles normatives et vertueuses. Cela ne doit pas pour autant faire oublier l’abstraction de cet homo ecologicus, jetant une nébuleuse sur les enjeux de la stratification des pratiques écologiques.
Les contributions de cet axe pourront questionner les récits médiatiques qui participe à forger les représentations et les imaginaires médiatiques autour de cette figure de l’homo ecologicus. Peu de littérature envisage les modalités de production et de diffusion de cette figuration dans les discours médiatiques, tout comme celles de la réception médiatique de la
doxa sensibilisatrice par les publics. Il s’agira ainsi de questionner la dimension socialisatrice des médias, et la manière dont ces derniers contribuent à la (trans)formation des dispositions individuelles au regard de l’environnement. La médiatisation des modes de vie présentés comme alternatifs ou encore la psychologisation et l’individualisation des problèmes environnementaux autour du concept d’« éco-anxiété » peuvent ouvrir des pistes pertinentes dans les contributions attendues.
Les résonances de l’éco-responsabilité des médias à la « hauteur de l’urgence écologique » dans la promotion de modes de consommation éco-citoyens pourront aussi être examinées à la lumière des tensions qu’elles suggèrent. L’on peut, à ce titre, s’interroger sur la juxtaposition de la
doxa journalistique sur celle sensibilisatrice. Il s’agira de questionner les arrangements des discours journalistiques promouvant cette dernière, au regard des tensions liées au modèle économique des médias de masse reposant sur des annonceurs dénoncés comme climaticides dans l’espace public. Dans ce sens, sont enfin bienvenues les contributions portant sur l’étude des postures journalistiques appelées à une éthique écologique face aux publics notamment au sein de rédactions de médias spécialisés sur des thématiques sensibles, telles que l’automobile et l’industrie.
Axe 5 / Responsabiliser les médias face à l’urgence climatique
Face aux enjeux écologiques, les médias sont identifiés comme des acteurs clés de la diffusion de normes et pratiques écologiques, à la fois par des acteurs politiques et de la société civile que dans la littérature académique. Cette reconnaissance d’une position centrale entérine une vision des médias comme influant directement sur l’opinion et comme « auxiliaires de l’action publique » (Lévêque, 2000). Surtout, elle nourrit des velléités de responsabilisation des médias, voire de régulation ou d’interventionnisme. De même que les enjeux écologiques se font plus impératifs, les médias sont appelés à se responsabiliser. De leur côté, ils font valoir une autoresponsabilisation ou autorégulation, motivée par une crainte d’un interventionnisme et d’une perte d’autonomie. Bien que ces velléités aient toujours traversé le champ médiatique et journalistique, les enjeux écologiques se distinguent-ils sur le plan de la responsabilisation des médias par rapport à d’autres enjeux, tels que les
fake news ou la concentration monopolistique des médias par exemple ? Assiste-t-on à une « mise au pas écologique » comme les médias ont connu une « mise au pas gestionnaire » à la fin des années 90 ? La responsabilisation est-elle antagonique à la régulation ?
Dans cet axe, les propositions pourront s’intéresser aux stratégies et pratiques développées à la fois par les acteurs poussant pour une responsabilisation des médias et par les acteurs médiatiques. La responsabilisation écologique des médias peut être abordée par l’angle juridique et politique, en s’intéressant aux initiatives de régulation des contenus médiatiques ou des pratiques des entreprises médiatiques, comme le groupe de travail parlementaire sur le traitement médiatique de l’urgence climatique, impulsé par des associations, visant à élaborer un rapport d’enquête et une proposition de loi. Responsabiliser les médias s’entend également à un niveau plus micro, s’intéressant à la négociation et à l’intégration de valeurs et pratiques écologiques chez les acteurs médiatiques : comment les intègrent-ils ? Quelles stratégies mettent-ils en place ? Quelle place occupe les journalistes spécialisés sur les enjeux écologiques dans la transformation RSE de leur entreprise ? Les enjeux écologiques peuvent-ils être utilisés comme argument pour montrer une bonne volonté des médias ? Représentent-ils une garantie morale pour les journalistes dans un contexte de défiance des publics ? Pourront également être questionnés la diffusion et l’apprentissage de normes et pratiques écologiques à travers la formation initiale ou continue : la responsabilisation écologique se traduit-elle dans les curriculums de formations ? Sur les enjeux écologiques, la formation reflète-t-elle les transformations du champ journalistique ?
Axe 6 / Un environnement de travail des journalistes qui se dégrade ?
Cet axe a pour objectif de rassembler les communications qui s’intéressent aux changements de l’environnement de travail des reporters, dans un sens large. Cet environnement est bouleversé depuis une vingtaine d’années par les effets cumulés de plusieurs grands mouvements. Parmi eux, on peut notamment penser 1) aux transformations technologiques qui touchent aussi bien l’organisation du travail que les modes de consommation du public, 2) à la dégradation du marché de l’emploi dans les médias d’information et ses conséquences sur les conditions de travail des membres de la profession, des plus jeunes aux vétérans, ou encore, 3) aux évolutions des contextes politiques, en particulier au renforcement d’une tendance à la polarisation déjà observée dans certains pays comme la France ou les États-Unis.
Étant donné la largeur des thématiques de recherche susceptible d’entrer dans cet axe, les personnes intéressées pourront construire leur proposition de communications en prenant appui sur les problématiques suivantes : quels sont les effets des mouvements majeurs énoncés plus haut sur les carrières de reporters ? Quels sont les processus d’adaptation des journalistes à leur nouvel environnement ? Quelles sont les répercussions de la globalisation du marché médiatique dans l’organisation des carrières de reporters ? Dans quelles mesures ces grandes évolutions contribuent-elles à reconstruire les frontières de l’activité journalistique ? Dans le cadre de contextes politiques où se développent des discours populistes qui incluent la critique des médias, comment les journalistes sur le terrain réagissent-ils à ce discours et quelles sont ses conséquences sur le travail quotidien ?
Modalités de soumission
Les propositions de communication en français (environ 5000 signes, espaces compris) devront comporter :
- une présentation de la thématique proposée, de son lien avec la problématique sociologique de l’appel à communication, et de l’axe auquel elle se rapporte ;
- une présentation du terrain et de la démarche empirique mise en œuvre ainsi que du cadre théorique d’analyse mobilisé ;
- quelques références bibliographiques.
Elles devront être déposées sur le site Web de l’AFS (
https://afs-socio.fr/rt/rt37/) au plus tard le 19 janvier 2025 .
Les propositions de communication feront l’objet d’une évaluation en double aveugle par les membres du comité scientifique. Les auteurs seront notifiés des résultats de la sélection des propositions mi-février 2025.Des conseils pourront alors leur être transmis quant à l’intégration de leur communication dans la problématique des sessions. Pour les propositions retenues, des textes définitifs de 45 000 signes, espaces compris, seront attendus en juin.
Modalités de participation après acceptation
Pour participer au Congrès, il faudra adhérer à l’AFS et s’acquitter de droits d’inscription. Lors du précédent Congrès de 2023, l’adhésion s’élevait à 41€ pour les non-titulaires et 103€ pour les titulaires ; l’inscription au Congrès à 61€ pour les non-titulaires et 152€ pour les titulaires. Les tarifs pour le Congrès de Toulouse seront légèrement plus élevés (inflation). Les collègues non-titulaires qui ne peuvent être financé.es par leur laboratoire pourront, sur présentation de dossier, être exonéré.es des droits d’inscription et bénéficier d’une aide pour le transport et le logement. La procédure pour la demande d’exonération des droits d’inscription sera précisée plus tard.
L’accès au Congrès se veut le plus inclusif possible :
- Des dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles seront mis en place.
- Si vous avez besoin de services d’accompagnement en raison d’une situation de handicap, vous pourrez le signaler dans le cas où votre communication est retenue. Le comité d’organisation mettra tout en œuvre pour essayer de répondre à vos demandes.
- Si vous avez besoin de services de crèche pendant le Congrès vous pourrez le signaler au moment de l’inscription. Le comité local essayera de proposer un mode de garde
Comité d’organisation :
Maena Berger (EHESS, CESSP-UMR 8209-CNRS) , Anastasia Magat (Université Grenoble Alpes, CNRS, Sciences Po Grenoble, PACTE UMR 5194), César Castellvi (Université Paris Cité, UMR 8155 CRCAO), Pierre Mayance (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CESSP-UMR 8209-CNRS) & Faïza Naït-Bouda (Université Côte d’Azur, Sic.Lab Méditerranée).
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