Dans le cadre du thème général « Environnement(s) et inégalités » du congrès 2025 de l’AFS à Toulouse, le bureau du RT5 souhaite susciter des propositions de communication selon quatre axes de réflexion, étant entendu que cet appel à communication demeure large et ouvert aux travaux qui rencontrent plus généralement les préoccupations du RT 5.
Axe 1 - Rapports de classe au travail et enjeux environnementaux
Quels sont les effets des enjeux environnementaux sur le travail, en termes de rapports de classe au travail, de fragmentations sociales et d’inégalités ? Dans cet axe, les contributions pourront porter sur un spectre large de milieux de travail. Si les professions vertes et verdissantes font l’objet d’une attention grandissante (DARES Résultats 2007, Travail et Emploi 2021), d’autres métiers font en effet face aux injonctions écologiques, s’accompagnant par exemple d’un accroissement et d’une complexification des tâches (Ollivier, 2024). Dans tous les secteurs, de nouvelles prescriptions pour les salarié·es (comme l’envoi du ticket de caisse par mail pour les employés de la vente par exemple) se trouvent légitimées par l’écologie, entraînant potentiellement des transformations des pratiques de travail, des dé- ou requalifications, des gains d’autonomie, etc. Le travail peut aussi produire des risques environnementaux, ce qui induit notamment pour les travailleur·ses une menace de responsabilité. Il constitue parfois lui-même un environnement à risques, dont les travailleur·ses seraient autant responsables que victimes (Frigul, Jobin, Letourneux, Thébaud-Mony, 2011). Les communications sont donc invitées à revenir sur ces effets possiblement ambivalents, en centrant le propos sur les conséquences de ces enjeux environnementaux sur les rapports de domination, notamment de classe mais aussi de genre, de race, de génération… Les enjeux écologiques ou les risques, conduisent-ils à la transformation ou la cristallisation de lignes de fragmentation entre groupes professionnels ou en leur sein ? Certains groupes s’avèrent-ils aux avant-postes pour tenir compte des enjeux environnementaux dans leurs pratiques, quand d’autres sont plus réfractaires – à l’image du champ de production cinématographique et audiovisuel (Zarka, 2023) ? Reconfigurent-ils ou réaffirment-ils certaines hiérarchies au travail ? Produisent-ils des rapports de domination spécifiques (par exemple avec la constitution d’expertises) ? Dans ces situations, quels types de mobilisations professionnelles peuvent émerger afin de redéfinir ou réaffirmer les positions sociales de chacun·e ?
Axe 2 - Rapports sociaux, territoires et environnement
Cet axe vise à recueillir des propositions de communication qui interrogent la dimension spatiale des rapports sociaux (Laferté, 2014), et plus précisément la manière dont les enjeux territoriaux et environnementaux travaillent et sont travaillés par des rapports de classe. Dans cette perspective, nous souhaitons proposer plusieurs pistes de réflexion tout en rappelant que celles-ci n’ont que valeur de suggestion. Dans le prolongement des réflexions récentes sur les relations entre classes sociales et environnement (journées d’études « Écologie et classe sociale », CERES, CMH, CREDA, CENS, CESAER, 2023), il peut par exemple s’agir de discuter des effets de la localisation des groupes sociaux, de leurs inscriptions et circulations spatiales, sur leurs ressources et contraintes sociales, ou encore la façon dont les rapports de classe s’actualisent à propos d’usages concurrentiels de l’environnement (naturel, local, social, etc.). Dans quelle mesure les rapports de classe, en articulation avec d’autres rapports sociaux, permettent-ils de mieux comprendre les modes d’appropriation et de transformation de l’espace ? Qui sont celles et ceux qui ont le pouvoir d’en définir les formes et les usages, notamment autour d’enjeux environnementaux, qu’il s’agisse d’une nouvelle réglementation, du devenir d’un espace naturel ou d’un projet d’aménagement ? De même, comment l’inscription spatiale des groupes sociaux peut-elle influencer le rapport à l’environnement, à la « nature » et aux pratiques dites « écocitoyennes », en lien notamment avec la dépense énergétique des ménages ? Dans quelle mesure les risques environnementaux influencent-ils les circulations et choix résidentiels de ces groupes, renforçant par conséquent les inégalités d’expositions à ces risques ? En outre, les contributions analysant les luttes sociales et politiques qui s’inscrivent dans l’espace et soulèvent des questions environnementales sont encouragées (Bruno & Salle, 2017). Comment l’environnement est-il mis en cause (ou non) dans ces conflits d’usage et par quels groupes sociaux ? Quels sont les répertoires d’actions mobilisés et leur légitimité respectives dans un territoire donné ?
Axe 3 - Injonctions à l’écocitoyenneté et appropriations ordinaires de l'écologie
Un troisième axe de réflexion interrogera les appropriations différenciées de l'écologie : de quelle manière des pratiques de consommation, aujourd’hui requalifiées de vertueuses ou de nocives pour l’environnement, sont-elles (ré)investies, (ré)appropriées ou, au contraire, rejetées, et sont-elles susceptibles de devenir le support de jugements moraux et de distinction entre classes sociales ?
Il s’agira en premier lieu de questionner la manière dont les injonctions à l’éco-responsabilité ou à l’éco-citoyenneté sont reçues et mises en pratiques, de façon différenciée selon les classes sociales. Plusieurs travaux portant sur la France (Grossetête, 2019 ; Comby, 2024) ou sur d’autres espaces nationaux (Elliott, 2013 ; Kennedy, Baumann et Johnston, 2019) soulignent que les injonctions à l’écologisation des modes de vie font l’objet d’une plus grande appropriation de la part des membres des fractions culturelles des classes moyennes et supérieures, tandis que les membres des classes populaires s’en distancieraient (Comby et Malier, 2021). L’écologie permet ainsi de questionner à nouveaux frais le rôle de la consommation et des styles de vie dans l’affirmation de frontières symboliques entre groupes sociaux, et la place que les enjeux éthiques et moraux occupent dans les dynamiques de distinction sociale (Kennedy et Horne, 2020 ; Ginsburger et Madon, 2023 ; Cacciari, 2018). Comment les injonctions au verdissement des styles de vie et leurs appropriations renouvellent-elles les clivages et les rapports de domination entre classes ou fractions de classe ? Comment ces injonctions s’accommodent-elles – ou entrent-elles en conflit – avec d’autres registres distinctifs ou représentations situées de l’écologie, mais aussi, plus largement de l’environnement, de la nature, des animaux, etc. (Martínez-Alier, 2003 ; Vitores, 2019) ?
Il s’agira en second lieu d’interroger la distribution inégale des pratiques environnementales (dont les communications sont invitées à discuter la définition et la circonscription) et leur inscription dans les styles de vie des groupes sociaux (Coulangeon
et al., 2023). De fait, ces pratiques recouvrent aussi, au-delà des formes les plus légitimes de verdissement des styles de vie, des pratiques de frugalité encore le plus souvent associées aux classes populaires (Lhuissier, 2007 ; Hugues, 2023 ; Pruvost, 2024). Comment ces pratiques perdurent-elles dans les styles de vie des ménages populaires et se diffusent-elles au-delà ? Sont-elles aujourd’hui requalifiées en lien avec la protection de l’environnement, voire intégrées à des
éco-habitus émergents (Carfagna
et al., 2014) ? Les communications qui interrogeront la manière dont les injonctions à l’écologisation sont intégrées au style de vie en fonction du genre, et au prisme notamment du travail domestique, seront particulièrement bienvenues.
Axe 4 - Enjeux environnementaux et théories des classes sociales
Le quatrième axe de cet appel invite à ouvrir un chantier autour de l’impact des enjeux environnementaux sur les modes de conceptualisation des rapports entre les individus et entre les groupes et sur les représentations de la société en classes. L’enjeu est ici double : il s’agit de s’interroger sur ce que la sociologie de l’environnement fait à la sociologie des classes et réciproquement. Dans la lignée de travaux précédents (Coulangeon, Duval, 2013), ces questions peuvent amener à réinterroger la pertinence des concepts mobilisés dans l’appréhension des positions sociales (comme les concepts d’espace social, capitaux, élites, pauvreté ou encore déclassement). On peut également s’interroger sur la manière dont les enjeux environnementaux questionnent les modèles de sociologie des classes sociales, tout autant le modèle bourdieusien prégnant dans le contexte français que ceux proposés par d’autres traditions théoriques. Les enjeux environnementaux conduisent-ils par exemple à privilégier d’autres critères de distinction que ceux de la position dans l’appareil de production, appréhendée le plus souvent par la position socioprofessionnelle ? Invitent-ils à appréhender différemment les différentes scènes (travail, styles de vie, etc.) à partir desquels on peut chercher à objectiver l’existence des classes sociales ? Des réflexions tirées de contextes internationaux divers (pays à faible appareil statistique, avec d’autres traditions théoriques d’appréhension des classes sociales…) permettraient notamment d’enrichir la réflexion autour de ces questions.
Envoi des propositions et des communications
Les propositions de communication devront, autant que possible, contribuer à l’articulation entre débats théoriques et enquêtes empiriques. Elles devront également expliciter les enjeux de méthodes qu’elles mobilisent prioritairement (ethnographie, analyses statistiques, articulation quantitatif/qualitatif, approche socio-historique, etc.).
Les propositions doivent mentionner les éléments suivants :
- Nom et prénom de la/des auteur·ice·s, adresse email
- Fonction et institution(s) de rattachement
- Titre et présentation de la communication
- La proposition de communication d'une longueur maximale d’une page
Une version anonymisée des propositions sera étudiée par le bureau du RT5 qui sélectionnera les communications en tenant compte de plusieurs critères (cohérence thématique des sessions, équilibre de genre et des statuts de non-titulaire/titulaire…)
Les propositions sont à déposer sur le site de l’AFS avant le vendredi 17 janvier 2025.
La décision du comité d'organisation sera communiquée aux autrices et auteurs à la mi-février.
Un texte de présentation des communications acceptées, de 5 à 10 pages, devra ensuite être envoyé avant le congrès pour permettre aux discutant·es de préparer les sessions.
Pour participer au Congrès, il faudra adhérer à l’AFS et s’acquitter de droits d’inscription. Lors du précédent Congrès de 2023, l’adhésion s’élevait à 41€ pour les non-titulaires et 103€ pour les titulaires ; l’inscription au Congrès à 61€ pour les non-titulaires et 152€ pour les titulaires. Les tarifs pour le Congrès de Toulouse seront légèrement plus élevés (inflation). Les collègues non-titulaires qui ne peuvent être financé.es par leur laboratoire pourront, sur présentation de dossier, être exonéré.es des droits d’inscription et bénéficier d’une aide pour le transport et le logement. La procédure pour la demande d’exonération des droits d’inscription sera précisée plus tard.
L’accès au Congrès se veut le plus inclusif possible :
* Des dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles seront mis en place.
* Si vous avez besoin de services d’accompagnement en raison d’une situation de handicap, vous pourrez le signaler dans le cas où votre communication est retenue. Le comité d’organisation mettra tout en œuvre pour essayer de répondre à vos demandes.
* Si vous avez besoin de services de crèche pendant le Congrès vous pourrez le signaler au moment de l’inscription. Le comité local essayera de proposer un mode de garde.
Références
Babet, C., & Margontier, S. (2017). « Les professions de l’économie verte ».
DARES Résultats, n°007.
Bozon, M., Chamboredon, J.-C., & Fabiani, J.-L. (1980). « Les usages sociaux du cadre naturel. Elaboration sociale et conflit des modes de consommation de la campagne : l’exemple de la chasse ».
Revue forestière française, vol. 32, p. 273-279.
Bruno, I., & Salle, G., (2017). « “État ne touche pas à mon matelas !” Conflits d’usage et luttes d’appropriation sur la plage de Pampelonne ».
Actes de la recherche en sciences sociales, n°218, p. 26-45.
Cacciari, J. (2018). « La catégorie de consommateur d'énergie de la “transition énergétique”. Entre injonction à l'autonomie pour les ménages et normalisation économique de leurs pratiques ».
Gouvernement et action publique, vol. 7, n°1, p. 85-109.
Carfagna, L. B., Dubois, E. A., Fitzmaurice, C., Ouimette, M. Y., Schor, J. B., Willis, M., & Laidley, T. (2014). « An emerging eco-habitus : The reconfiguration of high cultural capital practices among ethical consumers ».
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Comby, J. B. (2024).
Écolos, mais pas trop… Les classes sociales face à l’enjeu environnemental. Paris, Raisons d’agir.
Comby, J. B., & Malier, H. (2021). « Les classes populaires et l'enjeu écologique ».
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Coulangeon, P., & Duval, J., (dir.) (2013).
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Elliott, R. (2013). « The taste for green : The possibilities and dynamics of status differentiation through “green” consumption ».
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Frigul, N., Jobin, P., Letourneux, V., & Thébaud-Mony, A. (dir.) (2011).
Santé au travail : approches critiques. Paris, La Découverte.
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Lhuissier, A. (2007).
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Martinez-Alier, J. (2003).
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Ollivier, C. (2024). « Chapitre 10 : De l’importance d’analyser les contenus du travail et les formes d’emploi pour penser l’impact social de l’écologie ». Rapport du CNLE :
Faire de la transition un levier de l’inclusion sociale. L’impact social de l’écologie, p. 287-299.
Peugny, C., & Rieucau, G. (dir.) (2021). « Emploi, travail et environnement, l’heure des transitions ? ».
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Pruvost, G. (2024).
La subsistance au quotidien. Conter ce qui compte, Paris, La Découverte.
Vitores, J. (2019). « Les enfants aiment-ils naturellement les animaux ? Une critique sociologique de la biophilie ».
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Zarka, S. (2023). « Quelles entraves à un tournant écologique du travail ? L’expérience du décor de cinéma et d’audiovisuel ».
Les Mondes du travail, n°29, p. 33-45.