AAC - RT 39 - Les relations entre émotions et environnement
Le RT 39 « Identité – subjectivité – revendication – changement social » de l’association française de sociologie entend, lors du prochain congrès de l’AFS qui se tiendra à Toulouse du 8 au 11 juillet 2025, interroger la notion d’environnement à partir d’une conception élargie et pluridisciplinaire.
De manière classique, notamment avec le développement de la notion d’environnement dans de nombreux domaines, l'individu est souvent analysé de manière séparée de ce qui l'entoure. Cette séparation est notamment cristallisée dans le terme d'environnement. Si la séparation cartésienne entre corps et esprit a largement été critiquée, plus rares sont les discours politiques et sociaux à envisager l’être humain comme partie intégrante de son environnement. Or, de nombreux travaux scientifiques, ainsi que des paradigmes philosophiques et politiques, dans de nombreux domaines n’envisagent pas ou plus l’individu comme séparé de son environnement ou de la nature. Dans les sciences naturelles, la question de l’interaction et de l’interdépendance entre organismes vivants est centrale. Dans les sciences sociales et plus particulièrement la sociologie, des approches centrées sur les interactions, les interdépendances et les relations inter-systémiques ont permis de penser les sociétés humaines sur les plans microsociaux ou macrosociaux. En philosophie, le principe d’interdépendance reliant tous les êtres a été un élément central de la naissance de l’écologie politique. Dans la même période, nous pouvons identifier une même tendance au sein des politiques publiques, qu’elles relèvent de la santé au sens large, de l’économie, de l’éducation ou du travail social. Si la dichotomie entre individu et environnement, qu’elle soit d’ordre naturel, professionnel ou social perdure dans les discours et les représentations, un certain nombre de constructions sociales et intellectuelles permettent d’aborder la question de l’environnement autrement que de manière séparée.
Si le RT 39 de l’AFS souhaite interroger l’environnement au niveau de ses représentations et des pratiques sociales, il s’agira de se pencher sur des contextes où le terme est mobilisé, selon des acceptions différentes. En effet, si le terme est utilisé pour évoquer les crises écologiques, il est aussi très largement employé dans les domaines promouvant la santé, la participation sociale ou bien l’accroissement des capacités d’agir sur le plan économique, notamment pour des publics spécifiques (handicap, pauvreté, éducation, etc.). L’environnement, au sens large, est devenu un terme permettant de matérialiser, sur le plan politique, des luttes sociales, visant soit à le transformer, soit à le préserver. In fine, la notion d’environnement permet d’aborder les mondes sociaux sous le prisme des revendications, des émotions et des subjectivités, en s’intéressant plus particulièrement aux luttes sociales que supposent préservation et/ou transformation de l’environnement.
Le RT 39 envisage la participation à la thématique du congrès à partir de cinq axes, dont un axe pour une session croisée avec le “RT 40 - Sociologie des institutions” permettant d’approfondir les enjeux relatifs à l’environnement.
Axe 1 – Les déterminants de l’action ou de l’inaction
Tout d’abord, le premier axe entend interroger la fabrique de l’action ou de l’inaction face aux urgences environnementales que celles-ci relèvent de l’écologie, de la santé, de l’éducation ou de tout autre type de mobilisation en vue d’un changement social. Dans le cadre de cet appel, les déterminants sont autant ceux issus de l’éducation et de la socialisation, que ceux relatifs aux jeux relationnels d’influence, aux réactions affectives ou à leur perduration dans le temps.
In fine, quels sont les déterminants à l’action ou à l’inaction ? Quelle est la place de l'affect et des émotions dans cette (non) mise en action ? Quels liens peut-on faire entre état affectif, environnement et (non-)engagement ? Quels sont les ressorts menant des individus à se mobiliser, tant pour des actions relevant de l’intime, du quotidien, du conjugal, du familial, que pour des formes d’engagement relevant d’un changement politique globalisé ? Les représentations de l’environnement déterminent-elles l’action ou l’inaction ? ou même les formes de mobilisation à l’œuvre ?
Plus généralement se pose la question de la dimension affective et émotionnelle du rapport à l’environnement, qu’il s’agisse de colère, d’émerveillement ou d’anxiété. Se pose dès lors la question d’un travail de conscientisation pour pouvoir agir sur l’environnement, afin de la maintenir ou de le transformer, en fonction des luttes et des revendications à l'œuvre.
Axe 2 - Concurrence des urgences et entrepreneuriat de cause
Les questions environnementales (écologie, empowerment, santé, handicap, etc.) se sont inscrites dans une période de multiplication des revendications sociales et collectives. Ces revendications tendent à se matérialiser par la construction de mouvements sociaux pouvant se concurrencer à l’intérieur d’un même champ, ou entre champs. Dans ce contexte, la question des émotions et des affects est centrale, l’enjeu étant de remporter l’adhésion des publics qui, tout en étant différents, seraient soumis aux potentiels mêmes enjeux, notamment en ce qui concerne l’écologie, la sécurité, la santé ou l’éducation.
La littérature en sociologie a développé des concepts tels que celui d’entrepreneur de cause ou de morale pour décrire l’action d’acteurs visant à changer les règles juridiques et/ou sociales concernant un domaine spécifique, ou à faire respecter des règles non appliquées. Ainsi, si le terme a été inventé au regard des actions dans le domaine de la santé pour analyser la défense ou la promotion de normes, le terme s’est avéré fécond pour étudier les actions associatives dans d’autres luttes sociales, telles que la lutte contre la pauvreté, ou bien dans le champ du handicap.
Pour autant, la question des dimensions affectives ou émotionnelles a été peu traitée, que ce soit du point de vue de la réception du public que des stratégies mises en place pour modifier l’état affectif ou émotionnel, face à une question donnée. Ainsi, il apparaît que les jeux d’influence à l'œuvre se construisent, en partie tout du moins, sur un appel à la réaction affective ou émotionnelle, afin de mobiliser autour d’un sujet précis. A ce titre, les propositions pourront se concentrer sur le jeu social à l'œuvre, tant d’un point de vue moral qu’affectif. Ainsi, quelles sont les stratégies mises en œuvre par les collectifs dont l’ambition est de préserver l’environnement naturel ou de transformer d’autres environnements ? Ainsi quels rapports s'établissent entre différents entrepreneurs de cause, comme on peut le constater, par exemple, dans les différentes luttes autour du réchauffement climatique ? A ce titre, comment les collectifs concernés favorisent-ils le passage d’une réaction émotionnelle ou affective à des prises de conscience plus larges ? Enfin, quelle est la position de ces collectifs dans cette concurrence des urgences et quelles sont leurs stratégies pour transformer une question perçue comme relevant de l’urgence en une action politique de longue durée ?
Axe 3 - La hiérarchisation des risques au sein des politiques publiques
Face à la construction d’un espace concurrentiel, il semble que le politique ait désormais pour mission de décider des enjeux les plus à risque et pour lesquels il conviendrait de mobiliser la puissance publique ou l’orienter en termes de financements ou d’investissements. A ce titre, certaines doctrines comme le New Public Management induisent l'action des services publics selon une logique de rentabilité ou d'utilité économique. Les doxas de l'action publique tendent dès lors à hiérarchiser les risques et leurs solutions selon un aspect avant tout financier De ce point de vue, la décroissance ne semble pas être une solution viable pour réduire le risque climatique, tout comme les aides sociales sont de plus en plus soumises à des contreparties d’activation des publics vulnérables. Comment les revendications, les subjectivités ou encore les émotions se donnent à voir dans cette situation ?
La hiérarchisation des risques , qu’elle soit d’ordre professionnel, sanitaire, écologique ou bien encore sécuritaire, est également influencée par d’autres dimensions. La première est l’appel de plus en plus fréquent – si ce n’est institué, car systématique, à des acteurs considérés comme des experts. Ils vont être consultés à titre individuel ou sollicités pour participer à des collectifs pluri-catégoriels permettant la prise de décision ou le conseil. Par ailleurs, des agences d’État ont été constituées, afin de répondre aux risques ou aux enjeux identifiés par l’État, et ce d’une manière relativement autonome. Ainsi, comment la décision est prise d’orienter l’action publique dans une direction plutôt qu’une autre ? Quelle est la place dévolue à des commissions ad hoc de plus en plus convoqués comme instrument de gouvernance ?
Enfin, les réactions émotionnelles ou morales du public, ou de certaines franges de la population tendent à influencer les décisions politiques et inversement. Au fond, la hiérarchisation des risques tend à s’inscrire dans un jeu complexe d’influences, dont les dimensions qualifiées de rationnelles et affectives sont centrales dans ce processus. Comment cette hiérarchisation des risques se constitue-t-elle dans cet environnement négocié ? Plus concrètement, comment vivent les populations les modifications induites par ces transformations politiques ? Quelles résistances sont l'œuvre, voire quelles alternatives ?
Axe 4 - La prise en compte des émotions et des affects sur le plan méthodologique
Un dernier axe, relatif à la construction de méthodologies permettant la prise en compte des émotions et des affects, permettra de poursuivre les réflexions du RT en la matière. En effet, après le congrès de Lyon et des échanges nourris entre les membres du réseau, le RT 39 souhaite mettre en avant la construction de méthodologie (recueil de données, analyses, etc.) prenant en compte la question des émotions dans des travaux de recherche issus de terrains différents.
Dans le cadre du congrès 2025, les liens entre dimensions émotionnelles/affectives et environnement seront particulièrement appréciés. Pour autant, des propositions centrées sur des aspects narratifs ou subjectifs des individus seront également les bienvenus.
Axe 5 - Session croisée : RT39/RT40 « Instituer des émotions : le rôle de l’environnement »
(Pour cet axe, répondre sur l'AAC dédié sur le site de l'AFS : https://afs-socio.fr/appel-a-communication/7048/instituer-des-emotions-le-role-de-lenvironnement/)
Cet atelier croisé entre le RT39 « subjectivités » et le RT40 « institutions » propose d’interroger le développement d’environnements institutionnels intégrant une préoccupation particulière pour les états émotionnels de leurs usagers et de leurs professionnels. Ces environnements institutionnels mettent en œuvre un façonnage social de manière à susciter les émotions voulues.
Dans certains cas ces environnements institutionnels relèvent d’un capitalisme émotionnel étant entendu que « le capitalisme ne produit pas seulement des biens et des services, mais des émotions et des formes de relations où l’affectivité s’intrique avec le mercantile » (Molinier & Laugier (2013). Capitalismes émotionnels. Multitudes, 2013/1 n° 52. pp. 159-162. https://doi.org/10.3917/mult.052.0159.). Dans d’autres cas, la production de ces environnements institutionnels répond d’une interpellation éthique et à l’impératif de considérer l’usager en tant que personne, au regard de sa subjectivité et de ses affects.
Quelle est la grammaire des sentiments mobilisés par ces environnements institutionnels à la fois pour les usagers et les professionnels ? Quelles sont les émotions morales qui y sont socialement encouragées ? Peut-on repérer des formes d’appropriation voire de résistance de la part de certains acteurs ou groupes sociaux à ce façonnage émotionnel par les institutions ?
Toutes les propositions s’inscrivant dans l’un des thèmes présentés ici seront les bienvenues, en permettant notamment d’alimenter les réflexions du RT 39 sur les liens entre émotions, revendications et subjectivités.
Les propositions pourront s’inscrire dans un ou plusieurs axes. Ainsi, des propositions combinant des échelles sont les bienvenues. Enfin, le RT 39 s’inscrit dans une perspective pluridisciplinaire. A ce titre, les propositions combinant plusieurs approches théoriques, épistémologiques ou méthodologiques sont aussi les bienvenues.
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