22 Sep AAC Revue ‘Sciences et Actions Sociales” : Questionner les philosophies de l’intervention sociale
Appel à contributions pour un dossier de la Revue Sciences et Actions Sociales
Questionner les philosophies de l’intervention sociale
Coordination
Swan Bellelle, Thibaut Besozzi et Hervé Marchal
Contexte général
Au quotidien, les intervenants sociaux ne semblent pas toujours à même de saisir tout ce que recouvrent véritablement leurs postures, justifications et pratiques professionnelles, contraints qu’ils sont de répondre aux urgences du terrain et de faire face à l’intensité du quotidien ; pris qu’ils sont dans des tensions et des paradoxes (Autès, 1999) sans compter la multiplicité des structures et des missions dans lesquelles ils sont engagés (Ion, Tricart, 1998 ; Castel, 2005 ; Avenel, 2009), et ce, dans un contexte de transformation de l’action étatique (Boucher, Belqasmi, 2014) allant de pair avec des logiques gestionnaires ignorant les références existantes (Alix, Autès, Marlière, 2020). Il n’est dès lors pas étonnant de constater que les intervenants sociaux tentent de « s’équiper » d’expertises plus ou moins savantes (Trepos, 1996) pour tenter de construire un récit sensé de leurs propres pratiques. Il en résulte bien souvent des bricolages hasardeux, des appropriations brouillonnes et même des pertes de sens comme dans le champ de la lutte contre la radicalisation (Marchal, 2020).
Cela semble être d’autant plus le cas que la formation en alternance des intervenants sociaux, même si elle propose et transmet une offre de fait pluridisciplinaire, n’interroge pas le plus souvent les fondements épistémologiques des ingénieries qui pourtant les mettent en œuvre. C’est pourquoi il apparaît sans doute opportun d’interroger les implications de la formation professionnelle et de la « fabrique » des intervenants sociaux. Ainsi, la juxtaposition disciplinaire, n’abordant que trop peu les présupposés et choix épistémologiques retenus d’abord, et ceux axiologiques (valeurs) et praxéologiques (relatifs à l’action) ensuite, paraît être une piste heuristique à investiguer pour appréhender la mètis caractérisant la praxis ici concernée (Autès, 1999). Cela pourrait notamment se faire à l’aune des réformes successives des métiers de l’intervention sociale et de ses effets concrets sur les pratiques professionnelles et des manières de les concevoir. Dans ce même sens, la place et la fonction des sciences humaines et sociales (SHS) dans le champ de l’intervention sont un enjeu actuel du débat, et ce, à la croisée de la recherche et de l’action. En attestent les positions hétérogènes à propos de la disciplinarisation du travail social et de l’universitarisation des métiers du travail social (Jaeger, 2014) qui ouvrent tout un espace de controverses propice à penser le champ ici considéré et, particulièrement, ses fondements philosophiques plus ou moins conscientisés mais bel et bien à l’œuvre.
Aussi, ce numéro thématique de la revue Sciences & actions sociales vise-t-il à interroger, et du même coup à rendre visibles, les philosophies de l’intervention sociale – entendue ici dans un sens large, même si bien sûr intervention sociale et travail social peuvent être distingués. Par philosophies, il faut entendre les conceptions fondamentales, souvent implicites et peu questionnées, présidant aux pratiques d’intervention déclinées dans le concret de la vie sociale.
Les philosophies dont il est question ici portent aussi bien sur l’être humain, la culture, la société, la vie sociale, le social, les institutions, l’éducation, l’identité, la laïcité… Elles correspondent à des postulats, des vérités premières, des positions ultimes, des soubassements idéologiques, des cadres de référence a priori qui, immanquablement, sont posés sur le monde. Elles ont inévitablement, d’une façon ou d’une autre, un lien avec la question du sens au fondement des actions entreprises. Aussi ce numéro vise-t-il à montrer combien le sens de ce qui est fait sur le terrain puise nécessairement dans des supports de sens indépassables ou dans ce qu’il est possible de nommer des « étalons axiologiques ultimes » (Weber, 1992). C’est dire si les pratiques, les modes d’intervention et les cadrages mobilisés in situ ne sont pas inventés par les acteurs ex nihilo, quand bien même ils sont bricolés, interprétés et subjectivés (Wieviorka, 2008). Les positionnements ultimes plus ou moins conscientisés, verbalisés et assumés dans la pratique rendent possible, de quelque façon que ce soit, la formulation de modes d’action et, partant, de raisons d’exister et de faire tant sur le plan collectif qu’individuel.
Ce numéro veut rendre visibles le sous-jacent et souvent le non-dit – ou encore le non-maîtrisé – qui est au cœur de l’intervention sociale. Par exemple, il peut être question de rendre visibles les conceptions fondamentales de l’être humain qui sont convoquées sur le terrain. Sommes-nous en présence de postulats anthropologiques ou d’« anthropologies normatives » (Chanial, 2011) qui définissent et modélisent l’être humain comme un individu ici aliéné et hypersocialisé, là rationnel et stratège, ailleurs réflexif et angoissé ? De même pour la culture : celle-ci est-elle entendue a priori comme un ensemble de manières (de penser) d’agir, de sentir et de penser qui pèsent de l’extérieur sur l’individu, comme un stock de ressources disponibles pour un individu en capacité de jouer avec, ou encore comme un ensemble d’expériences interactives toujours en train de se faire à travers de multiples situations et scènes sociales ?
Et puis, pour ne prendre que cet autre exemple, qu’est-ce que « le social » quand le mot est utilisé comme un substantif – à ne pas confondre avec l’adjectif qualificatif « social » tel qu’il est décliné quand on parle de sécurité sociale ou de travail social. Se trouve-t-il au-dessus des individus (État, institutions, idéologies…), entre les individus (normes relationnelles, rites d’interaction, codes langagiers…), dans les individus (modèles culturels intériorisés, manières d’être incorporées, raisons d’agir…), à côté des individus (objets intimes, territoires vécus, lieux de mémoire…) ou même après (effet d’agrégation et de ségrégation, compromis et contrats résultant d’accords et de transactions sociales…) ?
Ces quelques exemples étant précisés, la question se pose de savoir si les quelques visées ultimes ou les orientations fondamentales prises en exemple ici s’intriquent ou bien s’excluent les unes des autres. Si tel est le cas, des positionnements radicaux voient le jour, pour le pire comme pour le meilleur… Les philosophies, conceptions fondamentales et autres options séminales dont il est question ici sont normatives et prescriptives en ce sens qu’elles ne sont pas neutres, peu s’en faut, tant elles engagent nécessairement des présupposés et cadres transcendantaux – au sens kantien du terme – auxquels personne n’échappe, la chose est entendue. Il y a alors toujours de l’éthique ou du sens qui se joue en l’espèce, mais aussi et surtout de la morale à n’en pas douter. Et puis faut-il rappeler que les orientations matricielles et autres cadrages a priori sont d’autant plus agissants et politiquement performatifs que leurs tenants et aboutissants s’avèrent difficiles à identifier et à maîtriser. Aussi puisse ce numéro aider à penser ce que l’on fait vraiment quand on intervient concrètement de telle ou telle manière dans le champ de l’intervention sociale.
Bibliographie
Alix J.-S., Autès M. et Marlière É., 2020 (dir.), Le travail social en quête de légitimité, Rennes, éd. Presses de l’EHESP.
Autès M., 1999, Les paradoxes du travail social, Paris, éd. Dunod.
Avenel C., 2009, « Actualités du travail social », Informations sociales, n° 152, p. 4-7.
Berthelot J.-M., 1990, L’intelligence du social. Le pluralisme explicatif en sociologie, Paris, éd. PUF.
Boucher M. et Belqasmi M. (dir.), 2014, L’État social dans tous ses états. Rationalisations, épreuves et réactions de l’intervention sociale, Paris, éd. L’Harmattan.
Castel R., 2005, « Devenir de l’État-providence et travail social », in Ion (dir.) Travail social en débat[s] , Paris, éd. La Découverte, p. 27-49.
Chanial P., 2011, La sociologie comme philosophie politique et réciproquement, Paris, éd. La Découverte.
Crozier M. et Friedberg E., 1977, L’acteur et le système, Paris, éd. du Seuil.
Cuche D., 1996, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris, éd. La Découverte.
Dewey J., 2018, Démocratie et éducation, Paris, éd. Armand Colin.
Dosse F., 1997, L’empire du sens. L’humanisation des sciences humaines, Paris, éd. La Découverte.
Jaeger M. (Coord.), 2014, Le travail social et la recherche – Conférence de consensus, Paris, éd. Dunod.
Goffman E., 1991, Les cadres de l’expérience, Paris, éd. de Minuit.
Ion J. et Tricart J.-P., 1998, Les travailleurs sociaux, Paris, éd. La Découverte.
Le Breton D., 2004, L’interactionnisme symbolique, Paris, éd. PUF.
Lévi-Strauss C., 1990, La pensée sauvage, Paris, éd. Pocket.
Marchal H., 2020, « La lutte contre la « radicalisation » : des acteurs sociaux ambivalents et diversement engagés », in Boucher M. (dir.), Radicalités identitaires. La démocratie face à la radicalisation islamiste, indigéniste et nationaliste, Paris, éd. L’Harmattan, p. 309-325.
Schütz A., 2008, Le chercheur et le quotidien, Paris, éd. Klincksieck.
Trepos J.-Y., 1996, Sociologie de l’expertise, Paris, éd. PUF.
Weber M., 1992, Essais sur la théorie de la science, Paris, éd. Pocket.
Wieviorka M., 2008, Neuf leçons de sociologie, Paris, éd. Robert Laffont.
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Calendrier de l’appel à contributions
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