10 Juil AAC Revue ‘Sciences et Actions Sociales” : Alimentation, intervention sociale et société
Appel à contributions pour un dossier de la revue
Alimentation, intervention sociale et société
Coordination
Michel Streith, Anthropologue, Directeur de Recherche CNRS LAPSCO-Clermont-Ferrand, Président de l’Association des Sociologues et Anthropologues d’Auvergne.
Régis Pierret, Sociologue, Formateur-chercheur IRTS-IDS Normandie (Rouen), membre de l’Association des Chercheurs des Organismes de Formation de l’Intervention Sociale (ACOFIS), et de l’Association des Sociologues et Anthropologues d’Auvergne (ASAA).
Jeanne Chanet-Garcia, Sociologue, Membre de l’Association des Sociologues et Anthropologues d’Auvergne (ASAA).
Dans ce dossier, nous interrogeons l’impact des nouvelles formes d’alimentation sur l’action sociale. Plus précisément, nous proposons des outils de compréhension des changements alimentaires identitaires et environnementaux qui traversent aujourd’hui notre société et affectent les modes de consommation des populations les plus démunies. À partir de l’analyse de recherches empiriques, nous élaborons des pistes de réflexion pour une meilleure prise en compte de ces changements dans le cadre de l’intervention sociale.
Contexte général
L’alimentation classe et ségrègue les individus au travers du goût qui est lui-même l’expression d’une distinction[1]. Dans toutes les cultures, elle rassemble la famille, le clan, la communauté autour du repas dont le type d’alimentation est une expression culturelle. Le repas constitue ainsi une sorte de communion, de partage érigeant une barrière flexible ou non entre la communauté et l’étranger. Plus généralement, les enjeux de l’alimentation sont multiples, tout à la fois sociaux et sociétaux. L’alimentation constitue ainsi un fait social, et dans notre société un marqueur social, politique, religieux, genré ; un fait sociétal car la consommation d’un même produit peut être l’expression du « raffiné » à une époque et du « populaire » à un autre. L’alimentation est remplie de sens. À travers elle, l’individu donne un sens à sa conduite. Ainsi, l’alimentation a partie liée avec la réalisation de soi, la subjectivité, le sujet[2]. Dans la France contemporaine, l’alimentation a tout d’abord été un marqueur social entre le rural et l’urbain[3] tout comme entre les classes sociales[4]. Tout en conservant en partie ces caractéristiques, elle devient, à partir des années 1970[5], un marqueur genré. Dans les années 1990, l’alimentation opère un virage religieux avec l’instauration du halal et du haram[6] qui dépasse, alors, la question du « sans porc ». Il s’instaure ainsi une distinction analogue à celle du Casher et du non Casher, plus ancienne. L’alimentation religieuse est dès lors appréhendée en termes d’affirmation identitaire. Dès le début des années 2000, l’alimentation prend une tournure environnementale : le bio[7] et le « manger local » s’imposent dans les esprits. Mais plus encore, c’est toute une déclinaison qui s’instaure sur les motivations de l’individu (bien-être et/ou dimension politique). Ainsi, l’alimentation crée et entretient des communautés sociales, politiques, culturelles et religieuses. La thématique du halal et du haram, est un exemple parmi d’autres des enjeux que peut constituer l’alimentation. Toutefois, cette labellisation peut également se décliner au travers des différentes mouvances du « bio » ou du « naturel » et notamment les Vegans, les Végétariens, les Végétaliens, les Antispécistes. Ou encore, elle peut donner lieu à des conduites genrées. Un monde sépare la consommation de masse immortalisée par un dessin de Reiser sur la consommation de masse, « le poulet aux hormones » et notre société axée sur une « consommation locale et raisonnée » à l’instar des « Flexitariens ». Le temps de la malbouffe est révolu : « Pour votre santé, mangez cinq fruits et légumes par jour ».
L’intervention sociale et les défis de l’alimentation
L’alimentation constitue aujourd’hui, plus que jamais, un analyseur du monde social. Elle occupe une place de plus en plus centrale au sein des relations sociales, elle incarne différents enjeux sociétaux. Comment l’intervention sociale s’en saisit-elle ? Quelles influences ont ces normes alimentaires sur les pratiques ?
Ces évolutions de l’alimentation ne sont pas sans impacter l’intervention sociale, celles-ci et ses publics étant nécessairement traversés par les mutations de la société. Ainsi, dans les différents lieux d’hébergement collectifs tels que les internats éducatifs, les Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale, mais également les différents lieux d’accueil dans lesquels les repas sont pris collectivement, l’alimentation est plus que jamais source d’enjeux au sein desquels se déclinent les identités religieuses, politiques, genrées mais également des malaises à l’instar de la boulimie et de l’anorexie[8]. De quelle manière, l’alimentation et ses différentes déclinaisons sont-elles prises en compte par le travail social ? Aujourd’hui, les repas dépassent la simple dimension de la socialisation, ils deviennent le théâtre d’expression de l’identité au travers de tolérances et d’interdits. L’alimentation donne lieu à des luttes multiples en qualité de marqueur identitaire. Comment l’intervention sociale s’en saisit elle ? Comment-celle-ci est-elle alors utilisée comme levier pour le vivre ensemble ? Comment l’alimentation est-elle mobilisée auprès des publics enfants, jeunes et adultes en vue d’une conscientisation environnementale ? Comment l’intervention sociale gère-t-elle la « radicalisation alimentaire qu’elle soit ethnique, religieuse, politique ou individuelle » ? Que met-elle en place afin que ces temps collectifs que constituent les repas demeurent des moments conviviaux d’affirmation identitaire ? Le repas devient ainsi un temps complexe car il dépasse son objet (se nourrir) pour des enjeux sociaux et sociétaux qui traversent notre société. De quelle manière les conflits autour de l’alimentation sont-ils gérés par les institutions ? L’alimentation est confrontée à de multiples enjeux, quelle conscientisation de ces derniers est opérée par l’intervention sociale ? L’alimentation tend ainsi de plus en plus à acquérir une dimension engagée.
Néanmoins, l’alimentation est également la marque de la domination. La sous-alimentation, la malnutrition, sont les stigmates des populations de l’urgence sociale. Ses populations subissent l’alimentation n’ayant que peu l’occasion de choisir la manière de se nourrir. De quelle manière l’alimentation distribuée par différents organismes procède de la réification[9] de l’individu ou au contraire s’inscrit-elle dans une dynamique de reconnaissance[10] ? La question alimentaire qui peut se résumer à la prévention autour des cinq fruits et légumes par jour en vue d’enrayer la malbouffe ne se dissémine-t-elle pas aujourd’hui au travers des enjeux d’une éducation ou d’une rééducation à l’alimentation des familles et des personnes les plus défavorisées. Ainsi, s’opère toute une déclinaison de la précarité : sociale, économique, culturelle, alimentaire, énergétique. L’alimentation devient ou redevient une entrée pour traiter la question de la pauvreté. L’enjeu autour de l’alimentation peut se percevoir notamment dans le cadre des jardins potagers mis en place dans différentes institutions ou associations œuvrant dans le cadre de l’urgence sociale. L’alimentation est alors appréhendée comme le vecteur d’un retour au sens[11].
Plus généralement, l’alimentation amène à repenser le monde en termes de vital. Quelle société voulons-nous demain ? Ainsi, l’intervention sociale au travers du développement durable s’est saisie ou pourrait se saisir de l’alimentation, selon quelles modalités ? De quelle manière cette idée de consommer autrement, une alter-alimentation se met-elle en place au sein de l’Économie Sociale et Solidaire ? Comment l’intervention sociale de par son affiliation historique à ce secteur prend-elle place ? Quel espace prend l’intervention sociale au sein de l’innovation « alimentaire » ? Autrement dit, tandis que l’alimentation apparaît être de plus en plus ce qui divise au sein des sociétés, comment refaire société autour de celle-ci ? Aujourd’hui, peut-on repenser le sujet et plus largement le sentiment de faire société à partir de l’alimentation ?
Dans le cadre de ce dossier trois axes ont été retenus :
Axe 1 : Alimentation, socialisation et identité
L’alimentation révèle plusieurs enjeux. Tout d’abord, elle est le prétexte à la socialisation, à l’intégration dans le cadre des internats éducatifs. Elle peut être conçue par le travail social comme un outil en vue de permettre le vivre ensemble, à l’instar de fêtes de quartier ou autres.
Par ailleurs, l’alimentation laisse voir des enjeux identitaires, l’alimentation dans les internats éducatifs mais également lors de différentes activités (dans le cadre de l’animation socio-culturelle ou de la prévention spécialisée) peut donner lieu à des conflits identitaires. De quelle manière les travailleurs sociaux gèrent-ils et résolvent-ils ces conflits ? Comment se positionnent-ils face à des « radicalisations alimentaires » : genrée, politique ou religieuse.
Se pose également le rapport pathologique à l’alimentation au travers de la boulimie et de l’anorexie. Quelle analyse peut être réalisée du rapport à l’alimentation, de la perception sociale de cette « alimentation pathologique » ?
Axe 2 : L’alimentation, l’urgence sociale
L’alimentation recouvre également le champ de l’urgence sociale. Les personnes à la rue ou les personnes pauvres recourent à une alimentation offerte ou conditionnée par l’absence de ressources. En d’autres termes, que signifie s’alimenter en situation de précarité ? Comment l’alimentation « subie » est-elle vécue par l’individu ? Des expériences innovantes sont menées au travers des jardins, mais également d’ateliers alimentaires. Par ailleurs, la banque alimentaire se saisit de l’alimentation en vue d’« éduquer » les populations pauvres et précaires au travers de différentes expériences tant en milieu rural qu’en milieu urbain.
Axe 3 : L’alimentation et l’innovation
L’alimentation aujourd’hui est aussi source d’innovation, à travers elle, sont transmises des valeurs à l’instar des épiceries solidaires, des AMAP. De même, l’alimentation s’invite dans des pratiques et des débats sociétaux pour « repenser le monde », une alter-alimentation, une alter-consommation, une alter-mondialisation. Comment l’intervention sociale investit-elle ces espaces en tant qu’acteur de l’Économie Sociale et Solidaire ? Quels liens entre éducation alimentaire et éducation environnementale ?
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Calendrier de l’appel à contributions
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Les retours aux auteurs sont prévus pour le 15 novembre 2020, pour une publication dans le numéro de décembre 2020.
Plus d’informations : https://www.sas-revue.org/9-numero-de-revue/177-n-13-annee-2020
[1] Pierre Bourdieu, La distinction, Paris, éd. de Minuit, 1979.
[2] Le sujet est entendu ici dans le sens qu’il recouvre chez Alain Touraine.
[3] Stéphane Ravache, « Mœurs alimentaires sexuées dans le monde rural et urbain », Ruralia [En ligne], 12/13 | 2003, mis en ligne le 01 juillet 2003.
[4] Bourdieu, 1979, op. cit.
[5] Georges Falconnet et Nadine Lefaucheur, La fabrication des mâles, Paris, éd. du Seuil, 1975.
[6] Fahrad Khosrokhavar, L’islam des jeunes, Paris, éd. Flammarion, 1997.
[7] Lylian Le Goff., Manger bio, Paris, éd. Flammarion, 2001.
[8] François Beck, Florence Maillochon, et Jean-Baptiste Richard. « Conduites alimentaires perturbées des jeunes. Entre facteurs sociaux et détresse psychologique », Agora débats/jeunesses, 2013, vol. 63, n° 1, p. 128-139.
[9] Axel Honneth, La réification, Paris, éd. Gallimard, 2007.
[10] Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Paris, éd. du Cerf, 2000.
[11] Michel Wieviorka, Retour au sens, Paris, éd. Robert Laffont, 2015.