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Justice et critique sociales. Théories et pratiques émancipatrices

RT 44 « Justice et critique sociales. Théories et pratiques émancipatrices »

Préambule

Le RTT 44 se réoriente et change de nom. Les motivations de ce choix résultent de l’évolution de l’objet (et du titre) initial : « la justice sociale et les sentiments d’injustice », retracée ici à grands traits avant d’en venir aux nouveaux objectifs du RT.

Les promesses d’émergence de la justice sociale comme objet sociologique (1980-2000)

La question de la justice sociale n’a été appréhendée que tardivement en France comme objet sociologique. Si les travaux de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1971) peuvent être considérés comme précurseurs dans la mesure où ils soulignaient la place de la rhétorique méritocratique dans la reproduction des inégalités sociales au sein de et via l’institution scolaire, il faut néanmoins attendre le milieu des années 1990 pour que cette question commence à s’autonomiser en tant que (sous) champ de recherche et que les différentes formes de justice sociale soient étudiées en tant que telles. A cet égard, la pensée anglo-saxonne en général et celle de John Rawls en particulier sont déterminantes. Rétrospectivement, sa transposition de la philosophie morale à la sociologie a permis d’asseoir théoriquement une approche instrumentale, réformatrice et pragmatique, découplant notamment la problématique des inégalités sociales en « inégalités justes » et « inégalités injustes ».

La question de l’autonomisation de l’objet justice sociale en sciences sociales est en effet étroitement liée à son apparition dans les politiques publiques. Le Commissariat général du Plan sera ainsi à l’origine, au début des années 1990, d’un ensemble de réflexions qui mobiliseront les théories de la justice pour éclairer à nouveaux frais la question des inégalités. Ces réflexions donneront lieu à la publication de deux ouvrages collectifs, où les sciences sociales seront notamment représentées par Robert Castel, Mary Douglas, François Dubet, Jon Elster, Albert O. Hirschman, Laurent Thévenot et Alain Touraine (Affichard et de Foucauld, 1992, 1995), ce qui montre de surcroît l’interconnexion de ce débat entre la France et le monde anglosaxon. Dans une perspective analogue, la Mission Recherche (MIRE) et la Direction de la recherche, des études de l’évaluation et des statistiques (Drees) initieront en 1999-2000 un séminaire de recherche qui se traduira par la parution de trois volumes auxquels prendront part des sociologues comme Colette Bec, Louis Chauvel, Mireille Elbaum, Dominique Merllié, Roland Pfefferkorn, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (Daniel et Le Clainche, 2000).

L’émergence de l’objet justice sociale coïncide également avec le renforcement des inégalités sociales en France et ailleurs depuis le tournant des années 1980-1990, en particulier dans le domaine de l’éducation, de la santé ou de l’emploi (Observatoire des inégalités, 2006 ; 2019) et d’une manière plus générale pour ce qui concerne les revenus du capital (Piketty, 2013). Elle s’accompagne un temps, dans le débat citoyen, de l’exacerbation de la sensibilité collective à l’égard des inégalités, dont la visibilité s’est d’abord accrue sur la scène publique dans les années 1980-1990 par la médiatisation des thèmes de l’exclusion, du mal-logement, du manque de reconnaissance, de la « fracture sociale » ou du pouvoir d’achat.

Sur le plan interne au champ académique, l’apparition de nouveaux paradigmes, délaissant les seules structures pour resituer l’activité des acteurs dans la dynamique de la vie sociale, ouvre la voie à une interrogation sur le sens ordinaire de la justice, au travers des attitudes et des pratiques courantes des individus. Ce sont l’étude des « conduites relatives à la justice dans la vie réelle » (Elster, 1995b, p. 84), l’attention portée au lien social, comme juxtaposition d’agencements locaux (Friedberg, 1993), aux approches pluralistes et individualisatrices (Bellah, 1996), avec comme prolongement l’idée que la résolution des questions morales se déplace vers l’activité et le travail des acteurs en situation (Dubet, 1994). Le sens ordinaire de la justice se trouve en effet mis en œuvre par des acteurs dotés de compétences et de capacités critiques. Il décrit « ce dont les gens sont capables » (Boltanski, 1990) et ces aptitudes sont désormais prises au sérieux. Depuis les années 1990, les sociologues ont ainsi été conduits à renforcer l’observation in situ des procédures de justification par lesquelles les individus construisent des modalités de coopération que chacun pourra considérer comme justes.

Ce tournant individualisateur (mais pas individualiste au sens méthodologique, car les acteurs individuels y sont saisis en général dans des configurations de relations sociales, ce qui relève du relationnalisme méthodologique) s’accompagne d’un tournant empirique. La question de la justice sociale s’introduit en sociologie, depuis le milieu des années 1990, sous la forme d’une confrontation des théories et des idéologies dominantes aux données empiriques et aux observations de terrain. La discipline reproduit d’ailleurs en cela la manière dont l’objet « justice sociale » s’est institutionnalisé, dans des disciplines connexes comme la psychologie sociale (Kellerhals, Modak et Perrenoud, 1997 ; Sabbagh, Schmitt, 2016) ou les sciences de l’éducation (Meuret, 1999), par la multiplication des études empiriques et des reformulations théoriques sur le sentiment de justice ou sur l’équité (Guibet Lafaye, 2012).

Forte de cette double poussée individualisatrice et empirique, la justice sociale promettait de se consolider sur le plan académique. Plusieurs travaux sociologiques prennent alors la justice sociale pour objet spécifique, et apparaissent un temps comme complémentaires – même si ces travaux se distinguaient déjà par la divergence de leurs orientations théoriques. Pour les uns, les formes de justice sont issues de l’activité concrète des individus ou des groupes sociaux. Elles relèvent ainsi de modes publics de justification mettant situationnellement en œuvre des sens ordinaires du juste et de l’injuste adossés à des conceptions du bien commun (Boltanski, 1990 ; Boltanski et Thévenot, 1991), de la variété des principes de justice et de la façon dont les acteurs les investissent (Elster, 1995a ; Dubet, 2005 ; Dubet et al., 2006), ou encore de la multiplication des référentiels de justice dans l’espace public et de la manière dont les dimensions psychologiques de l’injustice peuvent être objectivées dans des cadres d’action collective (Derouet, 1992 ; Thévenot, 1995 ; Fassin, 2001 ; Baudelot, Gollac et al., 2003 ; Gonthier, 2008). Sans abandonner toutefois les références de la philosophie morale, d’autres approches appréhendent surtout la question de la justice sociale en termes normatifs. Elles soulignent ainsi les qualités socialement cohésives des normes de justice (Kellerhals, Coenen-Huther et Modak, 1988 ; Boudon 1995 ; Demeulenaere, 2003), le caractère fortement consensuel des croyances relatives à la justice sociale, particulièrement de l’égalité des chances et de sa relative hégémonie au cours des dernières décennies (Dubet, 2004 ; Duru-Bellat, 2006), ou encore la dimension cumulative des grands principes de justice (Forsé et Parodi, 2005 et 2006).

Avec le recul, il nous semble que la promesse d’avènement d’un sous champ cohérent de savoir cumulatif n’a pas été tenue. Sans doute l’objet justice sociale s’y prête mal, étant donné son fort contenu normatif. Toujours est-il que, depuis les années 2000, avec l’exacerbation de la montée des inégalités globales et nationales, un double mouvement d’éclatement et de polarisation a prévalu, tandis que les formes du capitalisme, de l’Etat providence et de la gouvernance sociale et économique étaient ébranlées sous l’effet de crises sociales et économiques, de guerres, jusqu’à la présente pandémie.

Mises en cause de l’autonomisation de la justice sociale et tribulations du couple critique sociale-émancipation (2000-2020)

Dès l’origine, les sociologues ont été réticents à investir l’objet « justice sociale », du fait de la prévalence des théories philosophiques, économiques et psychologiques sur ce sujet. Dans la deuxième moitié du XXème siècle, cette faible légitimité académique s’est au final renforcée, du fait de la segmentation d’approches concurrentielles et d’un retour en force de la pensée critique rejetant les soubassements rawlsiens des approches de la justice sociale.

Une fragmentation du sous champ prenant pour objet la justice sociale s’est observée, sur la base d’une ambiguïté majeure. Le questionnement sur les formes de justice occupe en effet dès son origine une position ambiguë par rapport à la thématique des inégalités sociales. D’un côté, il tend à prolonger la question des inégalités en invitant par exemple à interroger, via la notion d’« inégalités justes », une tendance active à un niveau social global à la psychologisation des rapports sociaux et à l’individualisation de la perception des inégalités. Mais, d’un autre côté, la thématique de la justice sociale tend également à se substituer à la question des inégalités en insistant par exemple sur la multiplication des référentiels de justice (diversité, autonomie, équité, besoin, discrimination positive, mérite…) et sur les tensions qu’ils entretiennent avec le référentiel, lui aussi partiellement équivoque, d’égalité. Dans cette perspective, la thématique de la justice sociale a pu être considérée comme faisant écran à la question des inégalités sociales (Pfefferkorn, 2007), non sans raison si l’on considère ses usages politiques dans l’espace public ou les stratégies d’appropriation dont elle a pu faire l’objet.

La fragmentation académique se lit au travers de l’évolution des différents segments consacrés à la justice sociale en sociologie. La sociologie des sentiments d’injustice a connu une double évolution vers l’appréhension des discriminations et vers les sciences de l’éducation. La sociologie pragmatique, dont l’importance de l’apport est évidente, a quant à elle connu une crise interne ; certains, comme Luc Boltanski (2009), s’efforcent d’associer des acquis pragmatiques et une réorientation vers une critique globale des ordres sociaux.

Dans le même temps, le développement des enquêtes sur les valeurs s’est fortement institutionnalisé, constituant là aussi un domaine autonome, support de comparaisons internationales quantitatives très poussées, mais quelquefois décontextualisées. Cette tendance à observer des comportements individuels et la pluralité des sentiments d’injustice a renforcé la psychologie, psychologie sociale d’un côté et psychologie cognitive de l’autre, au détriment d’une sociologie qui saurait à la fois embrasser les dimensions structurelles et individuelles de la justice sociale (Barozet, 2019).

Or toutes ces évolutions ont nourri en même temps la critique, sur tous les fronts : de la critique de certaines approches des discriminations tournant le dos aux inégalités à celle de l’hermétisme partiel de la sociologie pragmatique, en passant par l’extension du paradigme égalitaire lui-même et la déconstruction de ses impensés originels, via l’essor du concept hybride du Commun, de la justice épistémique et de l’approche intersectionnelle des dominations. Citons encore la critique de la réification par la modélisation des enquêtes valeurs, ou encore la critique de la méthodologie expérimentale de la psychologie sociale, ou la mise en cause du rejet des sciences sociales par la psychologie cognitive, notamment en neurosciences. Au même moment, une partie des débats se recentre autour des mouvements sociaux qui se structurent en direction de demandes pour plus d’égalité sociale : les Occupy, les indignés, les féministes, entre autres groupes se refondant en partie sur des théories à la fois de la justice distributive, de la justice procédurale et des théories de la reconnaissance. La notion même d’égalité se trouve interrogée de toutes parts, faisant aussi éclater son évidence apparente. Certains travaux en soulignent ainsi les transformations contemporaines de sens et en particulier le tournant singulariste du sens commun égalitaire (Corcuff, Ion et de Singly, 2005 ; Rosanvallon, 2011). D’autres mettent en lumière les fondations socio-historiques inégalitaires de certaines politiques d’égalité elles-mêmes, quand se trouvent in fine définis des « non-frères » assignés à des différences essentialisées et à des positions subalternes (Sénac, 2017). D’autres enfin, en dialoguant avec la philosophie de Jacques Rancière, font des demandes d’égalité sociale le socle même du processus de construction de la citoyenneté, processus désigné par le concept de subjectivation politique (Tarragoni, 2016b).

A cet éclatement correspondent des déplacements paradigmatiques en cours, la synthèse libérale et sociale rawlsienne étant concurrencée par une certaine renaissance d’une pensée critique protéiforme. Nous sommes ainsi passés de l’hégémonie de l’appréhension du lien social et de la cohésion sociale, associant tradition durkheimienne et appropriations sociologiques des débats autour de Rawls, à des amorces de remise en question, à travers une certaine réaffirmation de la critique sociale. Celle-ci a pu orienter les approches de la justice sociale vers un retour timide de la question de l’émancipation ; le couple critique sociale-émancipation ayant connu en sciences sociales un écho important dans le sillage de la théorie critique de l’École de Francfort (Horkheimer, 1974 ; Abensour et Muhlmann, 2002). Ainsi la sociologie de la participation, de l’éducation populaire et de l’intervention sociale s’est orientée vers des pratiques émancipatrices, dépassant parfois une « sociologie publique » pour redéfinir la frontière entre acteurs et chercheurs au sein d’une recherche collaborative(Les chercheurs ignorants, 2015). La sociologie de l’éducation et de la pédagogie a pu voir ses réflexions nourries de la pensée émancipatrice de Paulo Freire (Pereira, 2018). Le mouvement social a vu grandir les références ou les révérences au mouvement anarchiste, promouvant notamment l’autonomie de pratiques horizontales. Par ailleurs, l’objet justice sociale a connu une forte évolution vers une sociologie spatiale, sous l’influence d’une « nouvelle géographie critique ».  L’originalité du redéploiement de la question de la justice sociale dans le champ des études urbaines tient en effet dans une impulsion initiale provenant du marxisme et d’un effort pour spatialiser la pensée marxienne, prolongeant ainsi une tradition ouverte par Henri Lefebvre (Harvey 2011; Lefebvre 1986).  Ici, la justice sociale comme objet d’investigation scientifique emprunte une voie résolument critique, et s’oppose au libéralisme rawlsien dont la sociologie s’était nourrie pour l’inscrire dans son champ d’investigation.

Cependant, dans le même temps où l’on observe dans certains secteurs de la sociologie un modeste rebond du couple critique sociale-émancipation, le lien entre critique sociale et émancipation tend plus structurellement à se défaire. Dans le sillage du marxisme, puis de l’École de Francfort, pour l’émancipation des chaînes du capitalisme, mais aussi dans celui de Durkheim, pour l’émancipation républicaine, et de Mauss, dans la perspective d’un socialisme coopérativiste, les sensibilités critiques dans les sciences sociales ont souvent connu des affinités (explicites ou implicites) avec la question de l’émancipation, jusqu’à la sociologie critique de Bourdieu, les gender studies, les postcolonial et decolonial studies, les gay studies ou l’intersectionnalité. Cependant, l’association entre le mouvement de spécialisation des savoirs et la revendication d’une « neutralité axiologique », souvent érigée en totem corporatif peu argumenté épistémologiquement, tout particulièrement en France depuis la chute du marxisme comme référence académique à partir du début des années 1980, a fortement contribué à éloigner le vocabulaire de l’émancipation dans la grande majorité des travaux sociologiques. L’émancipation est considérée dans ces nombreux cas, explicitement ou le plus fréquemment implicitement, comme relevant trop du registre des « jugements de valeur » et du « normatif », ne concernant pas alors directement les sciences sociales mais seulement la philosophie politique et morale. Malgré les efforts de quelques-uns pour réactiver les efforts dans la tradition sociologique pour articuler critique sociale et émancipation (comme Boltanski, 2009, et Tarragoni, 2016a), malgré, également, un retour du concept d’émancipation autant dans les pratiques contestataires que dans la recherche théorique (Sardinha 2013), la pente dominante apparaît être la marginalisation de l’imaginaire émancipateur dans les sciences sociales critiques. D’autant plus que cette tendance rencontre une autre tendance active dans le champ politique, portée par des causes différentes, affaiblissant le couple critique sociale-émancipation du fait de l’affaissement, pour des raisons à chaque fois propres, des deux pôles qui l’ont incarné sur le plan politique au XXème siècle : le communisme (avec l’impasse stalinienne, définitivement actée avec la chute du Mur de Berlin en 1989) et la social-démocratie (convertie à partir du début des années 1980 à une forme de néolibéralisme). Ce qui a laissé davantage l’espace ouvert à des usages ultra-conservateurs de la critique sociale, déconnectée d’un horizon émancipateur, dans un hypercriticisme « anti-système » empruntant souvent les canaux rhétoriques conspirationnistes, justifiant des stigmatisations xénophobes, sexistes et homophobe dans un cadre nationaliste (Corcuff, 2019).

Ajoutons que les mouvements sociaux en 2019 dans le monde pourraient constituer des appuis pour enrayer la disjonction politique entre critique sociale et émancipation. Fleurissant à la fois sur les continents asiatique, africain, européen et américain, ces mouvements ont contribué à polariser le débat, en liant d’un côté croissance des inégalités et répression, révolte et aspirations à la justice sociale de l’autre. Les revendications de justice sociale ne sont certes pas apparues homogènes mais bien malgré tout universalisables, voire internationalement enrichies, entre des aspirations à mieux vivre du point de vue des conditions matérielles d’existence, par la conservation du pouvoir d’achat et d’un système de protection sociale, mais aussi par la défense de l’environnement du fait de la crise climatique en cours, et du point de vue de l’émancipation politique, par la défense des libertés acquises mais aussi des libertés à venir, via un meilleur partage démocratique des pouvoirs. Dans ces cas, le débat vise donc moins à s’interroger sur ce qu’est la demande de justice sociale que sur les moyens de la renforcer et sur le développement de ses attaches avec les aspirations à l’émancipation individuelle et collective.

La volonté du RT est ainsi d’apporter des éléments de clarification épistémologique, théorique, méthodologique et empirique quant aux questions de justice sociale et leur lien avec celles de l’émancipation, dans ce triple contexte : académique, politique et concernant les mouvements sociaux.

Orientations d’une sociologie critique de la justice sociale autour des enjeux théoriques et pratiques de l’émancipation

Le réseau thématique « Justice et critique sociale. Théories et pratiques émancipatrices » a pour vocation de réunir les doctorant-e-s, les enseignant-e-s-chercheur-e-s et les chercheur-e-s en sciences sociales qui travaillent à titre principal sur (ou avec) les notions de critique sociale, de justice sociale et d’émancipation ainsi que de leurs relations (sous le triple angle de leurs articulations, de leurs tensions et de leurs détachements), et cela en rapport aux demandes de justice individuelles et collectives, aux mouvements sociaux, et aux fonctionnements institutionnels qu’ils visent ou qui leurs répondent.

Il se propose ainsi d’ouvrir un espace de réflexion, d’échange et de débat sur l’ensemble des questionnements qui engagent les domaines suivants : les différentes théories critiques et leurs rapports aux questions de la justice sociale et de l’émancipation ; les jugements de justice formulés par les individus et les justifications qu’ils déploient pour les appuyer ; les aspirations à la justice sociale et à l’émancipation et les expériences individuelles et collectives qui leur sont associées ; les cadres de référence idéologiques et moraux qui accompagnent les pratiques institutionnelles autant que les pratiques critiques. Attaché à exprimer la pluralité des courants de recherche et des méthodes, le RT s’intéresse également aux interrogations historiques et comparatives dans l’analyse des idées émancipatrices, des formes de justice sociale et des modalités de la critique sociale.

Les objectifs du RT peuvent se décliner selon les axes suivants :

  1. On s’intéressera dans un axe compréhensif aux évolutions des références des acteurs à la justice sociale et à l’émancipation : pluralité versus polarité ? individuelles versus collectives ? Est-on toujours dans la seule pluralisation des références individuelles, discours, cités ou sentiments d’injustice, ou bien voit-on s’opérer des amorces d’articulation entre l’individuel et le collectif, le local et le global ? L’actualité récente ne nous incite-t-elle pas à une relecture post grands mouvements sociaux de 2019, voire de l’épidémie de coronavirus en 2020 ? Quid des renouvellements, des ambiguïtés et des effets du mouvement des Gilets jaunes en 2018-19 ?
  2. Situation cognitive du RT 44 en SHS : au-delà des appels rituels, mais sans guère d’effets dans les pratiques académiques, à la pluri- inter- disciplinarité, la fragilité tant de l’objet justice sociale que du couple critique sociale-émancipation conduit à s’interroger sur le positionnement épistémologique, théorique et méthodologique en sciences sociales d’une approche critique et compréhensive de la justice sociale et des pratiques d’émancipation, ainsi que sur ses intersections avec la philosophie et sur ses composantes axiologiques. Les rapports entre disciplines (notamment entre philosophie et sociologie, mais aussi entre sociologie politique et psychologie sociale, ou encore entre philosophie morale libérale et géographie sociale située) nous interpellent de ce point de vue comme la question des frontières entre savoirs académiques et savoirs profanes, ou entre savoirs et éthique politique.
  3. La cohérence des modèles. L’approche rawlsienne conserve-t-elle une actualité pour penser la justice sociale dans un contexte marqué par un accroissement des inégalités ? Quelles sont ses limites ? La théorie critique dessinée par l’École de Francfort a-t-elle encore une actualité alors que le couple critique sociale-émancipation apparaît bringuebalant ? Quelles sont ses limites ? Quelles pourraient être des nouvelles articulations, dans le cadre de théories critiques reproblématisées, entre une sociologie de la justice sociale et une philosophie politique de la justice sociale, en rapport avec les mouvements sociaux ? Quelles sont les formes théoriques les plus adaptées à la critique d’un monde globalisé ?

Le RT « Justice et critique sociale. Théories et pratiques émancipatrices » visera aussi à développer des collaborations avec l’ensemble des réseaux thématiques qui travaillent sur des objets connexes voire, au-delà, à mettre en place des formules d’échange avec les associations et les réseaux du même type dans d’autres pays.

A l’occasion du neuvième Congrès de l’Association Française de Sociologie, qui se tiendra à Lille en 2021, un ensemble d’ateliers sera mis en place et réunira des contributeurs chargés de poser les jalons d’une discussion collective. Ces ateliers permettront de créer et de baliser un espace de discussions entre perspectives critiques sur la justice sociale, ancrant celle-ci à la fois dans l’espace de théories critiques-émancipatrices et dans la diversité des mobilisations sociales et des résistances individualisées. Une AG (ré)élira un bureau et une coordination, conformément aux statuts de l’AFS.

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