Muriel Darmon, présidente de de 2017 à 2021

Muriel Darmon, présidente de de 2017 à 2021

Prendre la sociologie au sérieux

J’ai commencé mon mandat par un coup d’éclat, dont le fracas a marqué tout le Comité Exécutif (dans lequel j’étais entrée directement en tant que présidente après une expérience de l’association longue, mais menée « du côté » des responsables de RT) : la proposition d’annuler le congrès prévu deux années plus tard, ou plutôt de le reporter pour avoir davantage de temps pour l’organiser, ignorante à l’époque du fait que les rentrées des cotisations et des inscriptions faisaient vivre l’AFS et son unique employée et mémoire de l’association, Habi Doumbia (je découvrirai plus tard que la British Sociological Association, par exemple, emploie une dizaine de personnes à partir de bien d’autres sources de revenus que les nôtres), et oublieuse de la façon dont la réunion régulière du congrès était centrale à l’existence d’une communauté de collègues aux statuts très divers… Le CE alors en activité a eu la bonne grâce de ne pas en rire (du moins pas tout de suite), et de mon côté j’en ai tiré deux enseignements qui m’ont accompagnée tout au long de mes deux mandats : le congrès, c’est le cœur de l’association (il l’anime, et la fait vivre), et, à moins d’aimer jouer les Marie-Antoinette, la présidence de l’association n’est pas un statut ou une position individuelle — même s’il existe bien évidemment des bénéfices symboliques à l’incarner — mais le point focal d’un collectif que son premier travail est de soutenir et d’organiser. De ce point de vue, ces témoignages sur les présidences de l’association — projet que j’ai moi-même contribué à lancer ! — reproduisent en partie une distinction entre tête pensante et petites mains qui a autant de sens que l’annulation d’un congrès pour mieux le préparer. Je ne peux pas citer toutes celles et tous ceux qui, au sein des deux équipes successives du CE que j’ai présidées, ont véritablement investi un temps et une énergie substantielles dans l’association, de façon généreuse et, faut-il le rappeler, entièrement bénévole (et ce parfois même du point de vue des rétributions symboliques qui sont rares pour les positions moins visibles du CE), mais je ne peux pas non plus ne pas citer le nom de Mathilde Pette, vice-présidente à plein temps qui m’a tout appris sur l’Association, et avec qui j’ai été pour ainsi dire mariée professionnellement pendant ces 4 années ­— certes dans un mariage un peu rétro à la division des rôles aux accents parsoniens, je laisse d’ailleurs les collègues deviner qui était le leader « instrumental » et qui l’« expressif » des relations avec les RT…

À ce gag involontaire (l’idée de l’annulation du congrès) s’est par ailleurs ajoutée une volonté d’animer ce collectif dans la bonne humeur et l’autodérision, parce qu’il me semble que c’est parfois ce qui manque dans un champ où on a longtemps considéré que se prendre soi-même au sérieux et prendre au sérieux la discipline, c’était la même chose, et j’ai cherché à travailler la déconnexion entre les deux. Car on sait bien que le plaisir d’être et de faire ensemble est aussi ce qui donne du sens au travail, dans tous les cadrans de l’espace social. Poissons d’avril divers (proposition de faire ouvrir le congrès par une parlementaire dont on parlait à l’époque pour le MEN ou d’affichage sur le site de l’AFS des notes prises lors des colles de sciences sociales en prépa d’un président de la République française, etc.), animation sur-enthousiaste et criarde des premiers CE en visio du confinement, et d’autres souvenirs encore que je tairai — il fallait être là.

Je crois fermement que c’est cette effervescence de bonne humeur collective qui a contribué à créer et soutenir l’énergie sérieuse que nous avons consacrée à la défense et à l’animation de la discipline et de la profession pendant ces quatre années (les actions qui suivent émanent de l’acteur collectif qu’est le CE) : l’organisation du congrès d’Aix (depuis les discussions nourries sur le thème du congrès avec l’équipe locale jusqu’au détricotage, la veille du congrès, des pelotes de ficelles nécessaires aux badges sans plastique, ou encore depuis la décision du « congrès zéro déchet » à l’organisation de la première crèche-garderie AFS) et celle du congrès de Lille (placé, là aussi avec l’équipe locale, sous le signe du changement comme notion scientifique et comme enjeu pratique pour un congrès qui s’est tenu en virtuel après des mois de paris épidémiologiques divers) ; la refonte du site internet, lieu disciplinaire, professionnel, politique et d’animation qui est devenu une plaque tournante de l’activité des RT et de l’Association, mais qui a continué cependant d’animer délicieusement de ses couacs les derniers mois de préparation des congrès ; l’incitation et l’accompagnement des journées inter-RT, destinées à croiser les perspectives (car les RT, contrairement à ce qu’on pourrait penser quand on n’y connaît rien, sont moins des partitions du monde social que des opérateurs de construction d’objet) ; la participation à la refonte des questions de sociologie dans les programmes de l’enseignement des sciences économiques et sociales au Lycée ; la poursuite de l’engagement dans les mobilisations de l’ESR (avec par exemple la mobilisation contre la LPPR ou une tribune dans Le Monde suite à de nouveaux propos ministériels sur la « morosité » de la sociologie française), avec le CNU section 19, l’ASES et l’APSES, mais aussi, au-delà de la communauté des sociologues, avec le Collège des Sociétés Savantes qui a réuni les sociétés savantes françaises dans toutes les disciplines scientifiques et à la création duquel l’AFS a participé ; la redéfinition du rôle et du domaine de notre revue Socio-Logos, qui est résolument devenue « la revue de la sociologie et des sociologues », publiant des articles scientifiques sur la sociologie (son histoire, ses théories, son enseignement, ses débats, ses métiers, etc.) mais aussi parfois des témoignages (comme celui-ci !) ou des textes d’opinion ; et d’autres combats plus ponctuels, qui ont souvent consisté à travailler les frontières et la légitimité de la sociologie, comme le fait de soutenir un collègue dans un procès portant sur le titre même de « sociologue », ou de demander que des épreuves de concours de « sociologie » soient définies et corrigées par des « sociologues » ; enfin, le lancement en 2019 d’un groupe de travail contre les violences sexistes et sexuelles, puis de la cellule VSS de l’association, suite à la prise de conscience du fait qu’il ne se passait pas un congrès sans que ne remontent des signalements (notons le pluriel) ou des alertes plus ou moins informelles sur divers types d’événements problématiques — le groupe de travail initial avait pris la suite du groupe « défense des droits » dont j’avais proposé la création en arrivant dans le CE, ce qui prouve que je n’avais pas que des mauvaises idées en arrivant, et ce qui me permet de boucler la boucle de ce témoignage.

Juin 2023













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