Cette communication propose d’analyser un système éducatif qui résiste en France : celui des écoles de commerce dites des « Grandes Ecoles », à travers la compréhension du processus de (trans)formation1 vécu par les étudiantes et étudiants dans le parcours traditionnel qu’est le Programme Grande Ecole.
Dans un premier temps, il s’agira d’interroger la place du changement dans ce que les écoles disent et donnent à voir de ce qu’elles font à celles et ceux qui les intègrent.
Nous dialoguerons d’abord avec la littérature scientifique dans le but de rappeler que la permanence de ces structures à former depuis trente ans des manager2 n’empêche pas pour autant une réadaptation récurrente des dispositifs3 mis en œuvre au sein de ces organisations scolaires et de leurs objectifs de formation, et, en conséquence, des caractéristiques de ce professionnel « idéal-typique »4 en construction. On prendra l’exemple récent de l’intégration d’une posture responsable qui semble
se décliner sur un plan individuel et collectif, organisationnel – avec la RSE5 – et personnel.
Nous montrerons ensuite, à travers une analyse discursive de la communication institutionnelle6 de ces écoles, comment ces dernières promettent actuellement, face à un monde décrit comme incertain et menaçant, un cadre d’apprentissage et de développement structurant permettant une insertion professionnelle et un épanouissement personnel réussis, et, par-là, offrant la possibilité de devenir des « acteurs »7 du changement.
1 Nous entendons par là le processus de formation combiné à celui de transformation au sein d’une école de
commerce
2 Gilles Lazuech,1999. L’exception française, le modèle des grandes écoles à l’épreuve de la mondialisation,
Rennes, PUR, 304 p ; Yves-Marie Abraham, 2007. « Du souci scolaire au sérieux managérial, ou comment devenir
un « HEC » », Revue française de sociologie 2007/1 (Vol. 48) ; Jean-Yves Robin et Benoît Raveleau, 2017.
« Fabriquer des managers, des patrons ou des dirigeants… » Savoirs 2017/2 (N° 44), p.28
3Le concept de dispositif est entendu ici dans une perspective foucaldienne comme « un ensemble résolument
hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions
réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions
philosophiques, morales, philanthropiques » (dans Foucault, Michel. Surveiller et Punir, Gallimard, 1994 [1977].
p. 299). Il fait donc référence aux discours mais aussi aux techniques, méthodes et outils, notamment
pédagogiques, mis en place au sein de l’école
4 Nous nous référons ici au concept bien connu de Max Weber
5 Responsabilité Sociale des Entreprises
6 Agnès, Vandevelde-Rougale, 2017. La novlangue managériale : Emprise et résistance, p.18
7 Au sens d’Ardoino, entendu comme une dimension du sujet sous l’angle de la responsabilité, « celui qui se pose
à l’origine de ses actes » et qui est tenu « d’assumer » sans pour autant « prétendre à l’unité et à la continuité
au sein même de sa division et de ses ruptures » en référence à Jacques Ardoino, Jacqueline Barus-Michel.
« Sujet » dans Jacqueline Barus-Michel, Eugène Enriquez, André Lévy. 2002.Vocabulaire de psychosociologie,
ERES, p.267-274
Pour autant, nous souhaitons ici proposer une approche de cette expérience8 dans toute sa complexité9 en considérant les étudiants comme des sujets sociaux et des sujets sensibles, de désir, traversés par l’institué, et ce, dans une analyse qui s’intéresse aux processus socio-psychiques.
Par conséquent, il s’agira d’élucider, dans un second temps, la plainte particulière formulée par celles et ceux qui sont pris dans ce processus de (trans)formation, que nous analysons sous la forme d’un « sentiment de malaise »10.
Cet état semble se comprendre, d’abord, à travers la mise en lumière d’un écart entre les promesses institutionnelles et la réalité de la formation, prenant la forme d’une déception vis-à-vis des cours. Mais plus encore, nous souhaitons montrer que cette « passion triste »11 se pose comme le symptôme d’une modification de soi qui met en tension, d’une « rupture de continuité »12 entre les sujets et leur environnement, et finalement, d’un ensemble de contradictions qui se jouent13 dans le processus de
formation-transformation, autant dans la sphère scolaire qu’associative. Ce malaise doit être entendu au pluriel : il est amené de manière multiforme par les étudiants, en fonction de leur niveau d’intégration et d’investissement dans l’école, de leurs trajectoires scolaires et sociales, de leur genre et de leur capacité de subjectivation.
Plus largement encore, notre analyse sur le processus de changement des étudiants nous permet en fait de mettre à jour les « singularités concrètes » de leurs expériences autant que les « épaisseurs spécifiques »14 de l’espace social qu’est l’école de commerce, et nous amène donc à tenter de savoir si ce malaise peut-être pensé, au-delà d’une analyse expérientielle individuelle et collective, sur un plan culturel voire structurel, au point de pouvoir parler de système malaisant15.
8 François Dubet, 2016. Sociologie de l'expérience. 6eme. éd, Paris: Édition du Seuil, 288 p.
9 Edgar Morin, 2014. Introduction à la pensée complexe, Points-Essais, 160 p.
10 Sigmund Freud, (1930) 2010. Malaise dans la civilisation. Traduction par Aline Weill. Petite Biblio Payot,
Classiques
11 Miguel Benasayag et Gérard Schmit, 2003. Les passions tristes : Souffrance psychique et crise sociale.
12 Agnès Vandevelde-Rougale « Emotion », p.230-233 dans Pascal Fugier et Agnès Vandevelde-Rougale (dirs),
avec la collaboration de Vincent de Gaulejac. 2019. Dictionnaire de sociologie clinique, Eres, 702 p., p.230
13 Le choix de s’arrêter sur le verbe « se jouer » fait référence à notre inscription théorique foucaldienne, dans le
déploiement d’une pensée sur le système néolibéral : le marché et les relations sociales en son sein étant en
mouvement dans « un jeu de la concurrence » constant, qui, on le verra, se retrouve dans le vécu quotidien des
étudiants notamment dans le monde associatif dans Michel Foucault, 1978-1979, Cours du Collège de France :
« Naissance de la biopolitique ». Par ailleurs, ce terme a été proposé par un interviewé (Martin, ESCP)
14 Magali Uhl, 2004. Subjectivité et sciences humaines – Essai de métasociologie, Editions Beauchesne, 207 p.,
p.33
15 En référence à la littérature en sociologie clinique et psychosociologie qui déploie une pensée sur les
organisations en termes de systèmes, proposant une compréhension des différents niveaux dans l’organisation
par les liens qui se font entre eux, tel que le « système socio-mental » proposé par Max Pagès et Vincent de
Gaulejac (1979) ou encore le « système managinaire » de Nicole Aubert (1992)
L'injonction contemporaine pour la mobilité géographique est partie prenante des attentes d'un capitalisme de plus en plus exigeant à l'égard des "facteurs travail". Changer peut ainsi prendre la forme d'un déplacement quant au cadre de vie. Dans certains cas de figure l'histoire familiale vient pourtant contrarier cette exigence économique et sociale. Le territoire de la primo-socialisation devient alors un facteur de trouble : entre attachement et emprisonnement. Au travers d'un terrain de moyenne montagne (le Vercors), nous viserons à décrire trois figures névrotiques qui ont trait au capital d'autochtonie.
Cette communication portera sur les Black Belts et leur rapport psychique à leur travail. En effet, cette catégorie de cadres participant à l'implantation du management lean dans les entreprises, présente des similitudes, notamment par la non remise en question de ce type de management malgré les critiques qui lui sont faites. Nous tenterons de comprendre ce que le lean peut leur apporter personnellement et psychiquement en établissant un profil de ces salariés.
Cette recherche porte sur l’articulation des sphères d’activité. Par une approche sociologique attentive aux dynamiques de genre et aux médiations numériques, nous cherchons à caractériser les éventuelles (re)configurations, négociations et tensions induites sur cette articulation des sphères d’activités par la situation de confinement et à comprendre si le rapport au travail a connu des transformations.
Projets de transformation, « downsizing », plans de suppression de l’emploi, plans de compression des effectifs, accords de Performance Collective, plans de départs volontaires… La multiplication des termes semble ne pas cesser de s’étoffer au gré des épisodes dits de « crise » : aujourd’hui du Covid mais hier celle dite « des subprimes », ou encore avant de « la bulle internet » (pour ne parler que des années 2000). Mais la diversité lexicale ne fait qu’appuyer un constat d’une « banalisation des restructurations d’entreprise » (Beaujolin-Bellet et Schmidt, 2012) mais aussi celui de la « banalisation des licenciements » (Guyonvarc’h, 2017). Les analyses des restructurations ont montré en quoi elles peuvent être considéré – dans une acception large - comme des « processus de réorganisation de l’entreprise qui affecte son périmètre, son capital, ses marchés, ses méthodes de production, son organisation du travail, les compétences de ses salariés, et qui se caractérise par un impact plus ou moins direct sur l’emploi » (Didry et Jobert, 2010). Mais s’il est acquis que ces processus bouleversent fortement les conditions objectives de la production et des statuts d’emploi, nous pouvons aisément faire l’hypothèse qu’ils se répercutent sur les modes de réalisation de l’activité (Raveyre, 2005), et plus généralement sur le rapport au travail des salariés entendu comme « la nature et les formes de liens que les individus entretiennent avec l’activité de travail et l’emploi » (Mercure, 2020).
Cette communication s’appuie sur une recherche doctorale de sociologie clinique que j’ai menée pendant trois ans au sein d’un de ces entreprises en restructuration : la SFC, un établissement de crédit d’envergure nationale. J’y entre d’abord comme salarié, en charge de la prévention des risques psychosociaux. Puis après quelques mois, je cumule ce statut avec celui de chercheur sous convention CIFRE. J’engage alors une démarche de recherche « au plus près du terrain » combinant observation participante, entretiens et co-construction itérative des hypothèses que j’étaye par une analyse clinique des conditions de productions de connaissance dans ce contexte (notamment l’implication et le contre-transfert).
À la suite de prévisions de difficultés financières, la SFC est contrainte par décision réglementaire d’engager de profondes transformations de son organisation et de ses activités, qui passe par des vagues de licenciements collectifs massifs (au début), le tout en vue d’une fermeture annoncée pour 2035. Elles engagent alors des plans de transformations et de suppression d’emploi, encadrés par des dispositifs d’accompagnement au reclassement et au retour à l’emploi. En complément des dispositifs de préparation aux licenciements ou de prévention des risques liés aux transformations, les mesures financières occupent une place centrale au sein des dispositifs dits de « gestion sociale » : primes « de fidélisation », indemnités de licenciement, monétisation de congés, frais liés au reclassement, prise en charge de formations... Ce large panel de mesures ne manque pas d’interroger par la diversité des usages de l’argent dans la relation de travail et des formes de rémunération au sein de la SFC alors qu’il s’agit de tenir ensemble des logiques à la fois « contradictoires, antagonistes et complémentaires » » (Gaulejac et Hanique, 2015). quand il s’agit d’une part de fermer pour transformer, transformer pour fermer et d’autre part pour l’organisation et les salariés de payer et être payé pour fermer de payer et être payé pour transformer.
Interpellé comme acteur de ces dispositifs, comme salarié, et comme sujet bénéficiaire de ces montants, je peux formuler l’hypothèse que, alors que l’argent marque de sa présence l’ensemble du processus de restructuration, il est également au cœur des reconfigurations subjectives du rapport au travail des salariés.
Ces reconfigurations nous paraissent en tension entre deux mouvements. D’une part, une reconfiguration allant vers un renforcement des situations d’assujettissement des individus salariés où l’argent se fait outil d’emprise organisationnelle qui s’immisce jusqu’à l’intimité du sujet. D’autre part, des modalités de reconfiguration plus « constructives » : où l’argent soutient des processus de subjectivation et des formes de résistance du sujet qui s’expriment par des détournements des rapports « instrumentaux » et le développement de capacité de créativité et de résistance dans les rapports sociaux du salariat contemporain.
Beaujolin-Bellet R., Schmidt G., 2012, Les restructurations d’entreprises, Paris, La Découverte (Repères), 128 p.
Didry C., Jobert A., 2010, L’entreprise en restructuration: dynamiques institutionnelles et mobilisations collectives, Rennes, France, Presses universitaires de Rennes, 271 p.
Gaulejac V. de, Hanique F., 2015, Le capitalisme paradoxant: un système qui rend fou, Paris, Éditions du Seuil (Économie humaine), 272 p.
Guyonvarc’h M., 2017, Performants... et licenciés : Enquête sur la banalisation des licenciements, Rennes, Presses Universitaires de Rennes (Le sens social), 264 p.
Mercure, D. (dir.), 2020, Les transformations contemporaines du rapport au travail, PU LAVAL (Sociologie contemporaine), 226 p.
Pagès M., Gaulejac V. de, Bonneti M., Descendre D., 1979, L’emprise de l’organisation, Paris, Desclée de Brouwer, 263 p.
Raveyre M., 2005, « Le travail dans le management des restructurations : entre déni et omission », La Revue de l’Ires, n° 47, 1, p. 95‑115
RT Session 4 L'épistémologie clinique dans les recherches actuelles : échanges et AG du RT
jeudi 09:00 - 10:30 Cette session propose d\'ouvrir un espace d\'échange entre sociologues cliniciens sur les questions épistémologiques soulevées dans les recherches actuellement menées.
Ce dialogue sera suivi de l\'AG.
RT Session 5
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