Cette proposition de communication porte sur les usages du numérique par les familles de classes moyenne et supérieure dans le cadre de leurs choix alimentaires et des tâches domestiques y afférant. À partir d’une enquête par monographies familiales, menée auprès des parents et des enfants de 24 familles habitant en zones urbaines ou périurbaines de la région lyonnaise, il s’agira de comprendre pourquoi et comment les familles utilisent les outils numériques dans la gestion de leur alimentation quotidienne et comment cela oriente ou modifie leurs pratiques de consommation. On montrera que ces outils ont une place importante dans le travail alimentaire des familles, qui les utilisent comme moyens d’information sur les produits qu’elles consomment, comme supports de choix distinctifs, mais aussi comme arguments à l’intérieur même de la sphère familiale pour faire accepter certaines transformations des habitudes alimentaires quotidiennes, telle que la réduction de la consommation de viande.
Modération : Jean Philippe Nau & Noémie Roques
Modération : Eric Dagiral & Sidonie Naulin
Sur les réseaux socionumériques, de nouvelles formes de prescriptions apparaissent : une entrepreneure individuelle appelée « créatrice de contenus » propose un produit à son audience après avoir été rémunérée. L’écologie est concernée par cette prescription en ligne mais le caractère militant de ce type d’activité influe sur les pratiques marchandes. À partir d’une ethnographie en ligne, de scraping du web et d’entretiens, nous étudions la façon dont se créent des conflits moraux pour la définition de l’activité de créations de contenus. Alors qu’entreprises et communautés d’abonnés refusent la marchandisation et la rémunération d’une activité vue comme militante, les créatrices de contenus s’organisent et travaillent à faire reconnaitre leur activité comme une profession, fondée sur une éthique de travail et des pratiques écoresponsables normées.
Lors de cette communication, nous proposons de revenir sur le processus de plateformisation de la finance en Afrique à travers le cas du mobile-banking. Ce dispositif de finance numérique, affiché par les organismes de développement comme porteur d’inclusion financière dans les pays pauvres - où les taux de bancarisation sont très faibles - a été critiqué en lien avec les logiques néocoloniales qu’il perpétue et la marchandisation du développement dont il participe. L’objectif de notre proposition sera de porter le regard sur le rôle endogène joué par la critique dans la production et l’usage du mobile-banking. D’un côté, nous examinerons la réflexivité professionnelle des producteurs de ces plateformes (à partir d’un exemple de FinTech) sur les spécificités économiques et culturelles de l’Afrique et la manière dont il convient de s’y rapporter ; de l’autre, nous analyserons (à partir du cas sénégalais) les dynamiques collectives de rejet et d’adhésion à ces dispositifs et aux rôles sociaux que leur usage requiert. Cela nous permettra d’éclairer les conflits idéologiques dont ce dispositif est à la fois l’expression et le support, lesquels portent notamment sur la place que devrait occuper l’Afrique dans la modernité économique, et la possibilité qu’elle soit porteuse d’une modernité alternative.
Le concept de carrière possède en sciences sociales une longévité certaine attestée par un usage fécond dans différents domaines de la sociologie comme le remarquait Coavoux (2010). Outil interactionniste d’objectivation (Darmon, 2008), le concept de carrière se prête particulièrement à la constitution de catégories - par le biais d’agrégation qualitative - et qui doivent être comparable entre elles (Chapoulie, 1996, Becker, 2016) et que l’enquête permet de mettre à jour (Hughes, 1996, 165)
Pour cette communication nous mobilisons le concept de carrière dans le sens de H. Becker dans son ouvrage Outsiders (1985), appliqué ici à la consommation de vêtements de seconde main. L’objet de cette communication s’insère dans un contexte de renouveau du secteur de la seconde main textile, secteur historiquement centré sur la revalorisation (Barles 2011) - grâce à la montée en puissance du référentiel du développement durable (Hammam, 2011) et de l’économie circulaire (Ezvan, 2020) . Ceci est attesté à la fois dans la littérature mais aussi dans les politiques publiques mises en place à l’échelle européenne (voir le Pacte vert pour l’Europe en 2020, ou encore Stratégie de l’Union européenne pour des textiles durables de la Commission européenne, adoptée en 2022) et présentes dans plusieurs pays (par exemple, le Programme Régional en Économie Circulaire en Région Bruxelloise – PREC - ou encore La feuille de route économie circulaire française - FREC). Ce secteur souffrant d’une surproduction massive, la seconde main apparaît au niveau des consommateur·ice·s comme une solution a priori peu coûteuse pour agir à leur niveau sur des problématiques environnementales.
Dans ce cadre, cette communication analyse les pratiques de consommation de seconde main textile – appelées consommation circulaire - montrant la constitution, dans une optique biographique, dynamique et diachronique, d’une carrière de consommation circulaire. La carrière de consommation est ainsi marquée par des apprentissages séquentiels, pour in fine, devenir un mode de vie, sauf si l’expérience échoue et provoque un retour en arrière dans les habitudes. Toutefois ces carrières de consommation ne sont pas hors sol mais bien imbriquées dans un espace urbain. Ces carrières doivent alors être mises en relation dans l’enquête avec les pratiques spatiales de ces mêmes consommateur·rice·s. Ainsi, nous examinons s’il est possible d’étendre le concept de carrière, pris dans son itération beckerienne, (Becker, 1985) dans ses implications spatiales, dans le contexte de la consommation circulaire de seconde main textile.
Pour cela, nous utilisons deux outils méthodologiques : l’entretien semi-directif et les cartes mentales. Quarante-six entretiens semi-directifs d’une durée allant de 1 h à 2 h ont été menés auprès de consommateur·ice·s bruxellois·e·s, avec guide d’entretien, sur les pratiques de consommation textile dans des commerces d’économie circulaire en Région de Bruxelles-Capitale, entre novembre 2018 et mars 2021. Ces entretiens étaient complémentés par la réalisation d’une carte mentale à la fin de chaque entretien qui visait à interroger la spatialisation de cette consommation, du point de vue de l’enquêté·e, dans une perspective d’objectivation des pratiques. Si le·a consommateur·ice a été étudié·e plongé·e dans son environnement d’achat (Badot, 2005), peu d’études ont été réalisées sous le prisme de la carte et de la spatialité urbaine. Reprenant les distinctions décrites par Robert Kitchin (1994), notre but est à la fois de nous servir des cartes mentales dans le sens d’une représentation analogique de l’espace (la carte mentale est comme une carte) et dans un sens d’une métaphore de l’espace, la carte mentale étant utilisée comme si elle était une carte, agissant ainsi comme si les enquêté·e·s avaient une carte dans la tête (Kitchin, 1994). Les cartes mentales demandent aux enquêté·e·s une « définition verbale et non verbale » de leur espace de consommation (Lévy, Fauchille, et Povoas 2018). Notre but est de comprendre le sens donné à un espace de consommation ordinaire circulaire.
Cette enquête a ainsi mis au jour six types de carrière de consommateur·ice·s circulaires qui embarquent chacun une série de compromis dans leurs pratiques. Ces compromis apparaissent également à l’échelle urbaine et dans l’espace fréquenté par les consommateur·ice·s par l’intermédiaire de l’analyse des cartes mentales. Iels construisent à partir de leurs pratiques une cartographie de compromis de Bruxelles lors de leurs déplacements : l’espace commercial n’est ni neutre, ni foncièrement vénal, ni foncièrement éthique : il est, à l'instar des types de carrières, producteur de compromis à différentes échelles, attestant des tentatives des consommateur·ice·s de mettre en accord leurs pratiques avec leurs valeurs.
Bibliographie indicative
Becker, H. S. (1985). Outsiders : Études de sociologique de la déviance. Editions Métailié.
Darmon, M. (2008). La notion de carrière : Un instrument interactionniste d’objectivation. Politix, n° 82(2), 149. https://doi.org/10.3917/pox.082.0149
Hamman, P. (2011). La « ville durable » comme produit transactionnel. Espaces et sociétés, 147(4), 25. https://doi.org/10.3917/esp.147.0025
Kitchin, R.-M. (1994). Cognitive Maps : What are they and why study them ? Journal of Environmental Psychology, 14, 1‑19.
Lévy, J., Fauchille, J.-N., & Povoas, A. (2018). Théorie de la justice spatiale : Géographie du juste et de l’injuste. Odile Jacob.
À partir d'une enquête de terrain consacrée à la relation esthétique aux objets de seconde main, au sein des fractions cultivées des classes moyennes, notre communication portera sur les tentatives stratégiques d’appropriation, de neutralisation, voire de retournement, du stigmate de « mauvais goût ». Nous montrerons, d’abord, de quelle manière les « infractions » revendiquées comme telles participent d’un effort de distinction à l’égard de goûts prêtés à d’autres fractions de classe, plus ou moins concurrentes. Nous insisterons, ensuite, sur le fait que, si ces stylisations se donnent parfois pour des réhabilitations des goûts (et des modes de vie) populaires, elles s’accompagnent généralement de dénégations des rapports sociaux de classe, ou bien encore de mises à distance des principes de mise en forme et d’appréciation typiques des catégories les plus dominées. Il s’agira, enfin, de montrer que tous les agents ne sont pas égaux dans la maîtrise des écarts aux normes esthétiques : tandis que les plus dotés en capitaux peuvent s’appuyer sur une connaissance des espaces de calcul relativement stables, les plus démunis doivent davantage se replier sur des repères fondés sur leurs affects et la particularité des situations d’acquisition et/ou d’intégration domestique des objets.