Proposition de communication de Bastien GUILLERMIN
Doctorant en sociologie (dirigé par Daniel THIN) au sein de l’Université Lumière Lyon 2 et membre du Centre Max Weber.
bastien.guillermin@univ-lyon2.fr
L’objet de la communication que nous proposons de réaliser est d’étudier des processus de socialisation à la maladie s’opérant entre pairs et en dehors du monde médical. À cette fin, nous souhaitons présenter une analyse produite à partir de notre thèse de doctorat réalisée auprès d’anciens salariés de l’industrie chimique souffrant de pathologies associées à l’amiante.
Dans une logique de continuité avec les éléments de définition que Bourdieu, au fil de ses recherches, a donnés aux notions respectives de « champ » et de « capital », cette communication se propose d’analyser la restructuration du champ musical au prisme d’un « capital spécifique » (Mauger, 2006) émergent, et d’ainsi apporter une contribution au travail définitionnel de ces deux concepts fondateurs, notamment pour ce qui tient à la sociologie de l’art. De façon plus précise, ce sont les conditions de transfert de ce capital spécifique, passant – schématiquement – du champ scientifique au champ artistique, ainsi que les conséquences qu’une telle circulation induit sur les formes esthétiques et la structure du champ musical actuel, qui constituent la problématique centrale de cette communication.
La méthode déployée s’est avant tout centrée sur les techniques contemporaines de composition, et en particulier sur les compositeurs de musique assistée par ordinateur, dont le langage propre aux systèmes de notations contenus dans les logiciels qu’ils utilisent apparaît comme une manifestation idéal-typique de ce capital spécifique. Des entretiens approfondis et des observations de procédés compositionnels ont ainsi été menés auprès de 12 musiciens, dont la particularité était double : tous se revendiquaient partiellement ou totalement autodidactes dans leur pratique de la composition, et leur instrument de prédilection était leur logiciel de musique. Un questionnaire à destination des créateurs de musique (en un sens élargi), comptant un peu plus de 1150 répondants, a également été déployé afin de saisir, par une ACM, des régularités plus larges entre, notamment, l’origine et la trajectoire sociales du musicien, ses formations musicale et extra-musicale, ses supports/instruments de prédilection et l’esthétique de ses compositions.
Dans un premier temps de la communication, on cherchera à définir, au travers des pratiques observées, le capital spécifique en jeu dans la restructuration du champ musical. Après avoir identifié des procédés compositionnels principalement axés sur la quête du « timbre » (dont la logique plus spécifiquement musicologique se trouve en partie formalisée dans certains écrits d’histoire de la musique, entre autres : Albèra, 2015 ; Solomos, 2013), en rupture plus ou moins franche avec une approche « classique » d’abord intéressée par les règles de hauteur entre les notes (les règles d’harmonie et le système tonal notamment), on mettra en évidence le lien qui unit ces techniques compositionnelles avec des savoirs ou des savoir-faire étrangers aux enseignements musicaux à proprement parler. On montrera ainsi que le faible degré de rationalisation (au sens de Weber, 1998) et d’institutionnalisation de ces techniques à l’intérieur du champ musical, dont la revendication majoritairement autodidacte des musiciens-enquêtés en constitue le premier indice, s’explique par leur appartenance d’origine au champ scientifique, et plus précisément à des savoirs traditionnellement associés à la science physique et à des parcours plutôt « scientifiques » que « littéraires » ou « artistiques ». Ce capital spécifique, scientifique d’abord, « réfracté » à l’intérieur du champ musical ensuite (à l’instar de ce que décrit Bourdieu à propos du champ pictural, 2013 : 419), constitue ainsi, aussi bien un langage esthétique qui participe au renouvellement des formes musicales, qu’un droit d’entrée nouveau qui participe à la redéfinition du champ musical et du métier de « compositeur » (cf. entre autres : Le Guern, 2018 : 12).
À partir d'une enquête de terrain consacrée aux pratiques de chine, typiques du pôle "cultivé" des classes moyennes, cette communication se donnera moins pour objectif de mettre au jour les enjeux attachés aux circulations des individus et des choses entre différents espaces, dont les frontières ne coïncident qu’imparfaitement (types de marchés, lieux d’approvisionnement, régions de l’espace social, mais aussi registres de normes : bienséance, critères de la valeur économique, esthétique, etc.), que de montrer comment au sein de ces catégories sociales, la maîtrise du passage des frontières (dans l’espace géographique/marchand et/ou dans l’espace des goûts) rend possible une dénégation sincère des classements qui, dans le même mouvement, favorise leur renforcement.
Du fait de certaines dynamiques macrosociales ainsi que des évolutions dans les stratégies de présentation d’elles-mêmes des écoles de commerce d’élite, on remarque aujourd’hui au sein de ces dernières une hétérogénéité relativement plus importante des propriétés sociales des jeunes qui les fréquentent (Lazuech, 1999) qu’à l’époque de réalisation des travaux de Bourdieu (1989) sur l’esprit de corps unissant les élèves de telles institutions. Une analyse qualitative et quantitative appuyée sur une réflexion intersectionnelle permettra toutefois de montrer la persévérance d’une pluralité d’inégalités, conduisant à la relative relégation de certains jeunes au sein des activités associatives et réseaux de sociabilité étudiants, processus qui affectera leurs trajectoires professionnelles ultérieures. Il sera alors montré que si certaines des dispositions des élites les mènent à réprimer publiquement les comportements les plus frontalement stigmatisants de leurs camarades envers les membres les moins bien dotés de leurs cohortes, de pareils mécanismes conduisent à sanctionner simultanément, au nom de la préservation de la « communauté », du « réseau » collectif et de l’« ouverture d’esprit », les jeunes voulant rendre manifestes les inégalités dont ils s’estiment victimes. C’est donc un nouveau registre ou mode d’exclusion, plus indirect, mis en place par les élites de manière plus ou moins consciente que nous essayerons de mettre au jour.