Proposition de communication RT38 – Appel thématique - Axe 1
viticulture - agroécologie - sobriété - transition écologique - intrants chimiquesEn France, une baisse significative de la demande d’électricité a été observée depuis 2022, les plus fortes économies étant réalisées par les ménages. Plusieurs études ont été menées pour interpréter cette baisse de la consommation (Rte, 2024). Celles-ci reconnaissent unanimement l’insuffisance des seuls facteurs climatiques ou météorologiques pour l’expliquer. Elles proposent deux pistes interprétatives. L’augmentation des prix de l’énergie exercerait une forme de contrainte à la sobriété toujours à l’œuvre durant l’année 2023, en particulier dans le domaine du chauffage (CRÉDOC, 2023; Destin commun, 2023). L’autre piste s’éloigne de la seule explication par le signal-prix, en faisant l’hypothèse d’une reconfiguration des pratiques de chauffage et d’hygiène pouvant en partie être expliquée par les campagnes nationales d’incitation à la réduction des consommations, relayées par les institutions, les opérateurs et les fournisseurs d’énergie (Brauer et al., 2024). Cette tendance est confirmée par les instituts de sondage en France (IFOP, 2023). Comment saisir les motivations autres qu’économiques d’une diminution significative des consommations, en particulier l’appropriation d’une certaine sobriété énergétique par les citoyens ?
Notre communication se fonde sur l’analyse secondaire d’une enquête originale centrée sur les motivations et représentations autour des consommations d'énergie pendant et dans l'immédiat après hiver 2022-2023. Le dispositif combine une enquête par questionnaire (N=905) et un corpus d’entretiens semi-directifs (N=62) auprès de ménages ayant déménagé durant l’hiver 2022-2023 en Nouvelle-Aquitaine. Il permet de saisir des caractéristiques des ménages, de leurs logements et de leurs pratiques.
En réponse à une question sur la sobriété énergétique, les discours recueillis portent sur les pratiques domestiques déclarées, sur les pratiques d’autrui, et sur les politiques publiques de promotion des gestes de réduction de la consommation, à un moment où elles étaient particulièrement visibles. A travers l’articulation de ces trois objets de discours, on se propose de saisir la valorisation d'une forme de sobriété énergétique liée au chauffage dans les espaces domestiques, en la contrastant avec le caractère plus conflictuel d’autres pratiques, recueilli dans la même enquête. A partir de cette exceptionnalité de consensus, notre communication travaille l’hypothèse d’une congruence de sens produite par l’inscription des pratiques individuelles dans le cadre plus vaste d’un effort collectif, médié par les messages de sobriété diffusés pour limiter la tension sur le réseau électrique.
L’enquête a recueilli des récits de pratiques de réduction des consommations formulées, non pas sous l'angle de la contrainte économique, mais d'un ensemble d'autres arguments impliquant des histoires familiales, des valeurs, ainsi que des discours de justification et de comparaison avec autrui. En fin d’hiver 2023, une majorité de personnes enquêtées valorise discursivement la modération du chauffage, avec une remarquable stabilité dans les entretiens. L’analyse des déterminants socioéconomiques de ces comportements de réduction à l’aide d’un modèle de régression créé à partir des données de l’enquête quantitative, montre que la modération du chauffage n’est pas corrélée avec les niveaux de revenus (Haine and Desvallees, 2025). Des énoncés de stigmatisation d’autrui permettent de situer sa propre consommation comme étant bonne et juste : on travaillera l’hypothèse de la constitution d’une norme de sobriété énergétique concernant le chauffage, à la suite de (Brugidou, 2013). On questionnera la manière dont la politique publique a contribué à la constitution de cette norme.
Cependant, les discours sur les autres pratiques liées à l’environnement tranchent avec l’unanimité des discours autour de la modération du chauffage : leur caractère conflictuel et marqué par la place dans l’espace social est cohérent avec les résultats d’autres recherches (Bouillet and Grandclément, 2024; Comby, 2024; Coulangeon et al., 2023). Ainsi, les pratiques de réduction des consommations d’eau chaude s’avèrent socialement situées, liées à une situation de vulnérabilité. Même si les pratiques de modération du chauffage ont été adoptées, les discours d’hostilité aux politiques environnementales du gouvernement ont traversé les entretiens. La forme de sobriété qui a suscité l’adhésion est loin d’une perspective plus subversive de la sobriété retracée par L. Semal et B. Villalba (2018), ou même de nuances de la sobriété permettant de penser la consommation dans un monde contraint, recensées par la typologie proposée par l’association Negawatt (Salomon and Jedliczka, 2013). Les contrastes dans les discours entre, d’une part le chauffage et les autres pratiques environnementales ; d’autre part une sobriété inscrite et recadrée dans un moment de politiques publiques et une sobriété à la définition plus large, nous permettent de questionner les conditions d’adoption d’une politique environnementale.Mots-clés : Imaginaire socio-technique, décroissance, véhicule électrique, modernisation écologique, analyse de discours
Pour l’appel thématique « la dimension soustractive des rapports à l’environnement » du RT38.
Cette communication explore la qualification scientifique des déchets industriels dangereux. Ce processus, réalisé en laboratoire vise à leur attribuer le statut de « combustible de substitution » et permettre leur « co-incinération », notamment dans les fours des cimenteries. En deux parties, elle présente d’abord le quotidien de ces laboratoires, puis analyse un cas de micro-controverse, où un désaccord entre deux laboratoires sur la qualification d’une même matière met en lumière les tensions et les enjeux sous-jacents à ce processus.
Mots clés : Ignorance, injection souterraine, expertise, nommer les déchets, luttes définitionnelles Depuis 1975, et toujours en activité, une exploitation particulière du sous-sol se déroule dans le bassin industriel de Lacq : Crétacé 4000. Elle consiste en l’injection de substances liquides dans l’ancien réservoir de gaz naturel exploité entre 1950 et 2013. Ce qui est injecté provient des résidus des industries chimiques locales : eaux polluées, déchets, effluents, eaux salées – autant de noms utilisés pour désigner ces substances.
Dans cette communication, je retrace l’histoire de deux de ces noms et leurs impacts sur la visibilité ou l’invisibilité des déchets dans cette activité industrielle. Mon analyse repose sur une étude de cas approfondie, fondée sur des données collectées pendant ma thèse : archives diverses, entretiens, suivi de presse et rapports d’expertise. Pour interpréter ces données, je mobilise la littérature des STS Underground et des Ignorance Studies, qui offrent des outils analytiques pour comprendre les pratiques de production de savoirs sur le sous-sol, tout en révélant l’ignorance engendrée par ces mêmes mécanismes.
Les luttes autour de la définition de ce qui est ou n’est pas un déchet dans le cas de Crétacé 4000 sont principalement menées par des acteurs industriels et politiques locaux, dans des arènes fermées dominées par des détenteurs de pouvoirs économiques et politiques. Ces acteurs cherchent à éviter que les substances injectées soient qualifiées de déchets. Leur stratégie, couronnée de succès, repose sur deux termes employés à des moments distincts – « eaux polluées » et « effluents industriels » – ainsi que sur les études et expertises qui les accompagnent.
Dans les années 1990, Crétacé 4000 devient un sujet de débat entre le ministère de l’Environnement, des élus locaux, l’industrie (Elf, puis Total) et la DREAL. Le ministère souligne l’absence de fondement légal pour ces injections – aucun texte de loi ne les autorisant ni ne les interdisant explicitement. En réponse, plusieurs études sont commandées. Celles-ci, centrées sur les alternatives techniques et économiques à l’injection, concluent à l’impossibilité technique et au coût prohibitif, selon les industriels, d’un traitement en surface. Cependant, ces études ne questionnent pas la pertinence d’une production industrielle générant des résidus prétendument « intraitables », une évaluation fondée sur des critères économiques définis par les industriels eux-mêmes.
Les promoteurs de l’activité s’appuient sur ces études pour justifier l’injection comme une solution environnementale, affirmant qu’elle évite le rejet des « eaux polluées » dans le Gave de Pau. Ce terme, utilisé à l’époque, met en avant le caractère polluant et dangereux de ces substances, légitimant ainsi les injections.
Par la suite, le débat évolue sous l’effet des directives et législations nationales et européennes, qui mettent l’accent sur la catégorie des déchets, utilisée par le ministère de l’Environnement pour qualifier ce qui est injecté. Les acteurs locaux s’opposent fermement à cette qualification, affirmant que ces substances ne sont pas des déchets. Les expertises de cette période se concentrent principalement sur les caractéristiques géologiques du sous-sol, notamment son étanchéité. Les connaissances approfondies produites sur le sous-sol contrastent avec l’absence de données complètes, détaillées et accessibles sur la nature des substances injectées.
L’attention portée au sous-sol et l’invisibilisation des substances injectées sont associées à un nouveau terme : « effluents industriels ». Ce terme, promu par les acteurs de Crétacé 4000, vise à exclure délibérément la catégorie de déchet. En 2003, « effluent industriel » devient le nom officiel pour désigner ces substances dans l’article 84 de la loi sur la prévention des risques technologiques et naturels. Cet amendement résout l’insécurité juridique entourant Crétacé 4000 et rend les déchets juridiquement invisibles, tout en maintenant leur présence sur le territoire.
Mon étude aboutit à deux résultats principaux qui ouvrent des perspectives pour d’autres cas similaires. Premièrement, la littérature a déjà montré que la capacité à qualifier une substance de déchet repose sur des acteurs dotés de pouvoirs politiques et économiques. Mon analyse met en lumière une stratégie spécifique : l’usage de noms différents selon les contextes. Cela ouvre des pistes méthodologiques pour examiner d’autres cas. Deuxièmement, je montre que les savoirs produits par les études permettent de rendre invisibles certains aspects susceptibles de provoquer des débats autour des déchets et de leur gestion.
Cette communication s’inscrit dans l’axe 3 « Les perdant·es et les gagnant·es », de l’appel à communication intitulé« Pratiques, inégalités environnementales et promesses technologiques face à la question des déchets », de la session croisée entre les RT29 et RT38. Elle explore la question des inégalités environnementales dans l’adoption et la mise en pratique du zéro déchet au quotidien, dans un contexte d’application locale d’une politique d’incitation à réduction des ordures ménagères.
Cet exposé repose sur une recherche menée dans un territoire à la fois périurbain et rural situé en Nouvelle-Aquitaine. La méthodologie employée est mixte (questionnaire, entretiens et observations). Cette communication propose ainsi de participer aux récentes réflexions relevant de la justice environnementale : qui sont les gagnants et les perdants des politiques d’incitation à la réduction des ordures ménagères ? De quelles natures sont les inégalités produites ou amplifiées ?
Parmi les enseignements offerts par cette recherche, deux grands résultats seront présentés lors de la communication. Premièrement, l’adhésion au zéro déchet dépend fortement de la position sociale, mais aussi du sens qui lui est attribué, dépassant parfois largement la question climatique. Secondement, sa mise en application quotidienne se cumule à des inégalités, voire les amplifie, déjà omniprésentes dans le territoire et la population ciblée.