30 Sep Le corps de la maladresse (congrès inter-RT: RT23 et RT41)- 12 et 13 septembre 2024 – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
« La maladresse, rien ne peut nous être plus familier », écrit Henri Wallon en 1928. L’expérience de la maladresse est un fait ordinaire voire quotidien : la maladresse est la norme du geste plus que son anormalité. « La maladresse, c’est l’imperfection habituelle des mouvements » précise-t-il. Elle est moins liée à l’incapacité qu’à l’inattention ou à la fatigue. Il s’agirait d’une sorte de rupture inattendue dans l’agencement d’actions routinières. Dans cette perspective, la maladresse manifeste un rapport ambigu à ses antonymes. Elle est à la fois une embûche de l’habileté, la révélation de son manque, voire sa condition de possibilité. L’idée de maladresse laisse également supposer que l’habileté ne serait pas la simple détention d’un savoir-faire, mais plutôt la capacité à mobiliser ce savoir-faire contre un désordre du mouvement qui guette tout geste intentionnel. La maladresse est donc une incapacité à résister à une mollesse corporelle qui est à la fois congénitale, morale et accidentelle. Cette ambiguïté de la maladresse est présente dans toutes les représentations que l’on a de cette notion : la maladresse est à la fois un caractère congénital d’un individu (« il est maladroit ») et un événement auquel il est confronté (« il s’agit d’une maladresse »).
Si cette notion issue du sens commun a fait l’objet d’une conceptualisation élaborée en psychologie et en sciences de l’éducation, aboutissant aux nosographies de la dyspraxie comme trouble de l’apprentissage, elle demeure aux marges des travaux en sciences sociales sur le travail, sur l’activité ou plus généralement sur le corps. C’est d’ailleurs probablement pour son caractère de concept tout à la fois moral et psycho-physiologique que les sciences sociales l’ont longtemps délaissé, y percevant la tentation de biologiser les normes sociales. L’idée de maladresse est en effet mobilisée à la fin du XIXe siècle dans des discours comme ceux de l’anthropologie physique et de l’anthropologie criminelle en quête de critères congénitaux pour identifier les inclinations morales des individus, voire des groupes culturels et sociaux. À la même époque, l’identification nosographique de la maladresse s’inscrit dans une lecture biomédicale de l’anormalité.
Depuis quatre décennies le corps est revenu au cœur des recherches en sciences sociales, mais la question de l’entrecroisement du biologique et du social, que les travaux séminaux de Marcel Mauss (1936) avaient identifiée, demeure un chantier ouvert. Dans cette perspective, revenir à l’idée de maladresse ne signifie plus réduire le moral et le social au congénital, mais plutôt enraciner dans les corps une problématique qui engage à la fois les gestes et les attitudes dans leur polysémie corporelle, verbale, et relationnelle. C’est afin d’interroger le potentiel heuristique de ce terme de sens commun que ce colloque convie des chercheurs en sciences sociales ayant enquêté sur le corps, le travail, la technique et l’activité à réfléchir à partir des traces de maladresses que leurs données d’enquête peuvent révéler. Ils et elles travailleront autour des trois axes : maladresse et habitus, maladresse et responsabilité(s), maladresse et jugement.
Programme Colloque « Le corps de la maladresse »
12 Septembre 10h30-18h00
10h30-10h45 Accueil
10h45-11h15 Introduction Marco Saraceno (Université Paris 1), Valérie Souffron (Université Paris 1)
11h15-13h15 La maladresse au chevet des sciences de l’activité humaine
Présidence de session : François Vatin (Université Nanterre)
Marco Saraceno, « La maladresse dans l’oeuvre de Henri Wallon, un carrefour pour penser l’activité »
Valérie Souffron, « Droit, adroit et maladroit : une anthropologie du corps chez Robert Hertz »
Christine Noel Lemaitre (Université Aix-Marseille), « Pour une approche située de la maladresse : Du kairos à l’hétérogénéité des savoirs investis dans l’activité »
14h30-15h45 Maladresse et apprentissage
Présidence de session : Caroline Moricot (Université Paris 1)
Barbara Pentimalli (UQAM Montreal) La maladresse des novices comme ressource pour la formation et l’apprentissage corporel du métier
Noémi Ralys (SciencePO Paris), « « C’est le métier qui rentre « – Le rôle central de la maladresse dans un apprentissage par la violence dans les cuisines de restaurants. »
15h45-16h00 Pause
16h00-18h00 Maladresse et habilité professionnelle
Présidence de session : Gwenaëlle Rot (SciencesPo Paris)
Gaetan Godefroy (Université de Toulouse), « Etre maladroit et faire une maladresse »
Clara Ruestchmann (EHESS Paris) : « Là, on voit que c’est pas net »1 : (dé)considération du geste ouvrier dans l’installation d’œuvres d’art contemporain »
Claire Bodelet (SciencesPo Paris), « Une maladresse sous contrôle : le travail des clowns à l’hôpital »
13 Septembre 9h30-13h15
9h30-9h45 Accueil
9h45-11h
La maladresse valorisée dans la fiction
Présidence de session Aurore Koechlin : (Université Paris 1)
Sofiane Bouhdiba (Université de Tunis), « Maladresse et bande dessinée : le justicier maladroit, élément d’équilibre dans l’équipe ?
Thierry Pillon (Université Paris 1), « La maladresse comme vertu. Le personnage du maladroit au cinéma »
11h00-11h15 Pause
11h15-13h15 Maladresse et hierarchies corporelles
Présidence de session : Marie-Pierre Julien (Université Lorraine)
Diego Paz (Université Paris 8), « Maladresse dans le genre : Le corps abject comme cible et vecteur d’action contre les violences LGBTQIA+phobes »
Romain Amaro (Université de Nanterre) « Maladresses psychotropiques », corps dissociés et « bad trips » homosexuels sous drogues.
Louison Ollivier (EHESS), « La maladresse comme catégorisation sociale et raciale : les mannequins noires dans la mode couture française des années 1960 aux années 1980 »