Contre le verrouillage des sciences entrepris par Trump et Milei, mobilisons-nous ! – Tribune Libération Mars 2025

Contre le verrouillage des sciences entrepris par Trump et Milei, mobilisons-nous ! – Tribune Libération Mars 2025

Le collectif des associations AFS (Association française de sociologie), AFSP (Association française de science politique), ASES (Association des sociologues enseignants du supérieur) et OALA (Observatoire des atteintes à la liberté académique)

Chasse aux sorcières, suspension du financement public de projets au nom de la lutte contre les «wokes», coups de rabots dans les budgets… le président des Etats-Unis et son homologue argentin se livrent à une attaque sans précédent contre la recherche scientifique, dénoncent plusieurs associations d’universitaires, qui appellent à se mobiliser ce vendredi aux côtés du mouvement Stand up for Science.

Ce vendredi 7 mars, le mouvement Stand up for Science organise une journée de mobilisation en France afin de défendre les libertés académiques, gravement mises à mal par différentes attaques de part et d’autre de l’Atlantique. Donald Trump et Javier Milei se présentent comme les chantres de la liberté d’expression. Pourtant, les deux hommes, qui président respectivement l’exécutif aux Etats-Unis et en Argentine, en ont une conception bien singulière. La liberté d’expression semble en effet devoir s’arrêter aux seules personnes qui partagent leur vision du monde, mélange tout à la fois de rejet de l’Etat social et des services publics, de défense du patriarcat, de chauvinisme et de négationnisme climatique.

Au nom de la lutte contre le signifiant flottant du «wokisme», Donald Trump et Javier Milei cherchent non seulement à museler les groupes ou personnes qui ne pensent pas comme eux, opposant·es ou activistes progressistes, mais aussi à mettre au pas le monde académique : étudiant·es, enseignant·es, chercheur·ses et autre personnel de l’Enseignement supérieur et de la recherche. En témoignent un certain nombre de projets et d’actions déjà entreprises par les gouvernements états-unien et argentin.

La plus visible et spectaculaire est sans doute le mémorandum rédigé par les équipes de Donald Trump enjoignant aux cadres de la National Science Fondation de refuser de financer systématiquement tout projet contenant une liste de plus de 120 mots-clés, parmi lesquels «minorités», «égalité», «climat» «diversité», «LGBT», «ethnicité», «socio-économique», «systémique», «biais», «victimes» et même… «femmes» (1) ! Et pour éviter des stratégies de contournement comparables à celles du jeu Taboo, l’administration compte également mobiliser une intelligence artificielle afin de débusquer tous les contenus «subversifs». Ce néo-maccarthysme s’incarne également dans les stratégies de nomination à la tête des institutions et des établissements de recherche, comme l’illustre la situation en Floride, où le gouverneur républicain, Ron DeSantis, a multiplié les nominations d’administrateurs dans le but de limiter les programmes de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI). Parmi les personnes nommées, on retrouve notamment Scott Yenor, élu président du conseil d’administration de l’université de Floride occidentale à Pensacola, qui a pu décrire les universités américaines comme des «camps d’endoctrinement», et a qualifié les programmes DEI de «grave danger pour l’unité nationale» (2).

En outre, la chasse aux sorcières est lancée contre tout·es celles et ceux qui critiquent le gouvernement et notamment son soutien à l’Etat d’Israël. Ce qui se traduit notamment par le renvoi de professeur·es et d’étudiant·es, et même l’expulsion de celles et ceux qui n’ont pas la nationalité états-unienne.

Enfin, l’enseignement supérieur et la recherche ne sont pas épargnés par les coupes drastiques et ciblées dans les dépenses publiques. Placé à la tête d’un nouveau «Département de l’efficacité gouvernementale», le milliardaire Elon Musk, a non seulement «invité» l’ensemble des fonctionnaires en désaccord avec la politique de Trump à démissionner, avec en contrepartie le maintien de leur salaire jusqu’en septembre prochain (3), mais il leur a donné plus récemment quarante-huit heures pour justifier de leur activité, menaçant d’interrompre leur contrat en cas de non-réponse. Le chaos engendré est ainsi «indescriptible», pour reprendre les termes du journal le Monde.La revue Science évoque pour sa part une «décimation» en cours dans les agences scientifiques fédérales.

En Argentine, les coups de rabot sont tout aussi brutaux et déjà largement ressentis dans l’enseignement supérieur et la recherche. Le gouvernement Milei, via son ministre de la Dérégulation, prépare en effet un décret qui «viserait à réduire le budget de l’organisation, à limiter le nombre de nouvelles recrues dans la carrière de chercheur ou chercheuse et à modifier son système de financement». Cela pourrait compromettre gravement le développement de projets de recherche dans de multiples disciplines, et affecter à la fois les chercheur·ses établi·es et les jeunes scientifiques qui sont formés et qui prévoient de poursuivre leur carrière en Argentine.

L’Observatoire des atteintes à la liberté académique (Oala) tient à alerter sur ces atteintes extrêmement graves faites à la recherche et à l’enseignement supérieur : au-delà des scientifiques, c’est la démocratie qui est attaquée. Comme le montre le Liberal Democracy Index, les pays où la liberté académique régresse sont aussi ceux où les droits humains, le pluralisme, la paix mais aussi les institutions démocratiques sont menacés. Si elles ne sont pas aussi spectaculaires que dans les Amériques, de semblables menaces pèsent également en Europe. Le cas de la France est à ce titre exemplaire : l’Enseignement supérieur et la Recherche vient de voir son budget amputé de près de 1,2 milliard d’euros ; la direction du CNRS entend, à travers l’annonce récente de la désignation de «Key Labs», soit une poignée de laboratoires «clés» sur lesquels seraient concentrées les ressources matérielles et humaines, priver la plupart des laboratoires de sa tutelle ; le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCÉRES), agence chargée de contrôler la «qualité» des laboratoires comme des formations, au cours de différentes «vagues» qui se font par roulement, a, lors de la dernière d’entre elles (la vague «E») émis de manière inédite une pluie d’avis défavorables ou réservés sur un très grand nombre de formations (licences et masters) dans des universités qui correspondent globalement aux territoires appauvris de la République (Mayotte, Réunion mais aussi Nanterre, Créteil, Amiens, Vincennes Saint-Denis, etc.), provoquant stupeur et fortes inquiétudes parmi les collègues concernés.

L’Oala affirme son soutien aux universitaires basés·es aux Etats-Unis et en Argentine et appelle les instances de l’enseignement supérieur et de la recherche française à se mobiliser le 7 mars prochain, aux côtés de la communauté scientifique, pour rejoindre le mouvement Stand up for Science initié aux Etats-Unis.

(1) Voir l’article d’ Emmanuel Clévenot : « Femme», «climat»… Trump interdit des mots dans les articles scientifiques,Reporterre, 12 février 2025.

(2) Voir l’article de Jacob Rampino , «DeSantis appoints controversial trustees to UWF board, including anti-DEI advocate», 2 février 2025.

(3) Sur la situation états-unienne, lire l’entretien récemment accordé par Joan Scott à la revue Mouvements.

Texte intégral de la tribune: https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/contre-le-verrouillage-des-sciences-entrepris-par-trump-et-milei-mobilisons-nous-20250306_SVK2YFSXAVFK7NX43T5L7VBPJY/













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