Depuis le début des années 2010, on assisterait à l’émergence et la croissance rapide d’une véritable « industrie du bien-être » à l’échelle mondiale. Dans un rapport de 2023 largement repris dans de nombreux champs médiatiques nationaux, le Global Wellness Institute estimait ainsi que cette « industrie » avait connu une croissance de plus de 64 % depuis 2013, avec un chiffre d’affaires de 5 600 milliards de dollars en 2022. La France représente le sixième plus gros marché du bien-être au monde (après les États-Unis, la Chine, l’Allemagne, le Japon et le Royaume-Uni), pour des dépenses totales de 172 milliards de dollars. Selon cette organisation internationale à but non lucratif créée pour rendre visible et consolider ce marché (Kumar, Nazir et Nisar, 2023), l’industrie du bien-être regroupe onze secteurs d’activité allant de la médecine traditionnelle au secteur immobilier en passant par la santé mentale, l’activité physique et sportive, les spas, le tourisme ou les médecines alternatives. L’idée d’une « industrie du bien-être » est largement relayée par les discours de nombreux acteurs économiques se définissant eux-mêmes comme des spécialistes du bien-être (studios de yoga, salons de massage ou de beauté, bains thermaux, centres de médecines alternatives, etc.), mais elle est aussi relayée dans des productions culturelles à destination du grand public, comme par exemple une docu-série de Netflix intitulée L’industrie du bien-être : potions et poisons (2020).
À la même période, un certain nombre de publications et manifestations scientifiques en France ont cherché à se saisir sociologiquement de la catégorie de « bien-être » et de ce qu’elle recouvre. En 2014 – l’année même où était fondé le Global Wellness Institute –, L’Année sociologique publiait un numéro intitulé Sociologie du bien-être, mettant notamment en avant les débats portant autour de la définition de cette catégorie très polysémique, de ses déterminants sociaux, et des possibilités ou non de le mesurer à travers des indicateurs. L’un des contributeurs du numéro concluait ainsi à l’existence d’un champ de recherches spécifiques sur le bien-être, dont la constitution en France était plus tardive que dans les pays anglo-saxons (Pawin, 2014).
Le projet de cette session thématique est légèrement différent. Son ambition n’est pas tant d’aboutir à une définition de ce que serait « le bien-être », à en évaluer la présence ou l’absence dans certains milieux ou espaces sociaux, que de prendre au sérieux l’idée qu’il existerait un domaine spécialisé et relativement autonome de la vie sociale consacré à la circulation marchande de services et produits destinés au bien-être des individus.
Pour ce faire, cette session thématique a pour ambition de rassembler des chercheurs et chercheuses qui travaillent à construire certaines facettes de cette « industrie du bien-être » en objet sociologique – qui enquêtent sur les acteurs et actrices qui s’en revendiquent, développent une offre de bien de salut d’un genre particulier, et circulent entre différents sous-espaces de cette « industrie » ; les pratiques, techniques et dispositifs que recouvre la catégorie de « bien-être » ; les différents groupes sociaux en direction desquels les professionnel·les du bien-être proposent leur expertise ; les différentes organisations et institutions qui font exister et incarnent les promesses de bien-être et les façonnent en retour.
Plusieurs enquêtes empiriques menées ces dernières années témoignent de la vitalité d’un domaine de recherche émergent, qu’il s’agisse de travaux sur le yoga en France (Affre-Garcia et al., 2024 ; Fraysse, Salamero et Doga, 2023 ; Garcia et al., 2023), la méditation (Faure et Tralongo, 2023), le fitness (Charissou et Garcia, 2020 ; Jarthon et Durand, 2017) ou les arts chinois du corps (Bataille, 2023-2024) ; la médecine chinoise (Parent, 2014), l’offre transnationale de soins ayurvédiques (Hoyez, 2012) ou les influenceurs et influenceuses santé (Sedda, Botero et Orellana, 2022) ; les méthodes de coaching et les dispositifs managériaux pour développer le bien-être au travail (Piedagnel, 2023 ; Salman, 2021) ou encore les travaux rassemblés lors du colloque « "Développez-vous !" Pratiques et ambivalences du développement personnel » organisé en 2021 par l’IRIS.
Cependant, en dépit de la multiplication des enquêtes et des projets de recherche, qui témoignent d’un intérêt croissant pour un objet multiforme et aux contours flous, il n’existe pas d’espaces de discussion et d’échanges permettant de confronter les expériences de terrain, de monter en généralité et de discuter de la pertinence heuristique d’une notion profane – celle « d’industrie du bien-être » – à l’efficace indéniable. Par ailleurs, dans la mesure où cet objet chevauche des sous-champs scientifiques aussi divers que la sociologie de la santé, la sociologie économique, la sociologie du travail et des professions, la sociologie du sport, de la consommation, des inégalités, du corps, des religions ou de la sexualité, il rentre difficilement dans le cadre des RT de l’AFS.
Cette session thématique a donc pour ambition de créer un tel espace, qui prend d’autant plus de sens dans le cadre d’un congrès consacré à la thématique « Environnement(s) et inégalités ». Ainsi, parmi les questions qui pourront guider les propositions de communication : Que dit l’étude de l’objet « bien-être » de la production et la reproduction des inégalités sociales, et quels sont les rapports de pouvoir, les tensions et les contradictions qui s’y réfractent ? Quels sont les environnements dans lesquels se développe « l’industrie du bien-être » et ses acteurs et actrices (« client·es » ou pratiquant·es, professionnel·les, gérant·es des structures, etc.) ? Dans quelle mesure l’existence de « l’industrie du bien-être » constitue-t-elle, comme l’avancent certain·es (Illouz, 2008 ; Teste, 2023), le symptôme d’une individualisation et d’une dépolitisation des rapports sociaux ? Peut-on y voir, dans un contexte d’aggravation de la crise écologique, des velléités de s’extraire de son environnement ?
Modalités de soumissions
Les propositions de communication de 3 500 signes maximum devront préciser les éléments suivants :
Nom, prénom du(des) auteur.e(s)
Rattachements institutionnels
Courriel de contact
Titre de la communication
Calendrier
Vendredi 17 janvier à 23 h 59 : dépôt des propositions de communication sur le site de l’AFS
Mi-avril 2025 : réponse
8-11 juillet 2025 : congrès de l'AFS à Toulouse
Bibliographie
Affre-Garcia E., Rizzardi D., Bataille P., Fraysse M., 2024, « Diffusion et réceptions-appropriations des normes corporelles sur internet. Le cas du Yoga sur Instagram », Réseaux, 244, 2, p. 259‑299.
Bataille P. (dir.) Enseigner le « bien-être » dans un contexte de mondialisation culturelle. Le cas des arts chinois du corps en France, Initiative de Recherche à Grenoble Alpes, 2023-2024.
Charissou L., Garcia M.-C., 2020, « Management « par corps » : logiques de mise en place d’un apprentissage corporel chez les professionnels du fitness », Sciences sociales et sport, 15, 1, p. 167‑194.
Faure S., Tralongo S., 2023, « Pratiques de la méditation. Une approche sociologique », Regards sociologiques, 61‑62, p. 21.
Fraysse M., Salamero E., Doga M., 2023, « Yoga, plus qu’un loisir, un travail sur soi ? », The Conversation.
Garcia M.-C., Fraysse M., Bataille P., Lefèvre B., 2023, « En quête de contrôle de soi. Ressorts de l’engagement dans la pratique du yoga d’individus diplômés du « supérieur long » », Regards sociologiques, 61‑62, 1, p. 35‑50.
Hoyez A.-C., 2012, « « L’ayurveda, c’est pour les Français ». Interroger recours aux soins, systèmes de santé et expérience migratoire », Revue européenne des migrations internationales, 28, 2, p. 149‑170.
Illouz E., 2008, Saving the Modern Soul: Therapy, Emotions, and the Culture of Self-Help, Berkeley, University of California Press, 294 p.
Jarthon J.-M., Durand C., 2017, « Identités féminines et vieillissement : le fitness entre revendication d’une volonté personnelle et soumission à des normes sociales ? », Movement & Sport Sciences - Science & Motricité, 96, 2, p. 85‑96.
Kumar J., Nazir F., Nisar Q.A., 2023, « Empowering wellness worldwide: A critical analysis of the Global Wellness Institute (GWI) journey 2014-2021 », Revista Turismo & Desenvolvimento, 41, p. 263‑287.
Parent F., 2014, « “Seuls les médecins se piquent d’acupuncture” ? Le rôle des associations professionnelles de praticiens dans la régulation de pratiques professionnelles de médecine chinoise en France », Terrains & travaux, 25, p. 21‑38.
Pawin R., 2014, « Le bien-être dans les sciences sociales : naissance et développement d’un champ de recherches », L’Année sociologique, 64, 2, p. 273‑294.
Piedagnel C., 2023, Fabrique et usages de la convivialité par le management contemporain. Ethnographie au sein de deux entreprises, These de doctorat, Normandie.
Salman S., 2021, Aux bons soins du capitalisme : le coaching en entreprise, Paris, Les Presses de Sciences Po.
Sedda P., Botero N., Orellana M.H., 2022, « Influenceurs et influenceuses santé : les récits et les savoirs du corps sur les réseaux sociaux », Études de communication, 58, 1, p. 7‑23.
Teste C., 2023, Politiser le bien-être, Paris, Binge audio éditions (La collection sur la table).Informations pratiques
Pour participer au Congrès, il faudra adhérer à l’AFS et s’acquitter de droits d’inscription. Lors du précédent Congrès de 2023, l’adhésion s’élevait à 41€ pour les non-titulaires et 103€ pour les titulaires ; l’inscription au Congrès à 61€ pour les non-titulaires et 152€ pour les titulaires. Les tarifs pour le Congrès de Toulouse seront légèrement plus élevés (inflation). Les collègues non-titulaires qui ne peuvent être financé.es par leur laboratoire pourront, sur présentation de dossier, être exonéré.es des droits d’inscription et bénéficier d’une aide pour le transport et le logement. La procédure pour la demande d’exonération des droits d’inscription sera précisée plus tard.
L’accès au Congrès se veut le plus inclusif possible :
* Des dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles seront mis en place.
* Si vous avez besoin de services d’accompagnement en raison d’une situation de handicap, vous pourrez le signaler dans le cas où votre communication est retenue. Le comité d’organisation mettra tout en œuvre pour essayer de répondre à vos demandes.
* Si vous avez besoin de services de crèche pendant le Congrès vous pourrez le signaler au moment de l’inscription. Le comité local essayera de proposer un mode de garde.