Le réseau thématique « Travail, activité, technique » (RT23) de l’Association Française de Sociologie (AFS) contribue à une sociologie du travail et des activités professionnelles. Forte d’une longue tradition, la sociologie du travail française embrasse aujourd’hui de nouveaux domaines, enrichie par la rencontre de la tradition interactionniste, de l’ethnographie de la communication, des développements de la psychologie du travail, de l’anthropologie des sciences et des techniques, etc. Au cours des décennies précédentes, des travaux ont entrepris de rouvrir la question de la technicité au travail — corps, espaces, objets, équipements, technologies numériques — après celle du langage. Le RT23 a pour objectif de favoriser les échanges autour de ces perspectives, entre sociologues, et avec les spécialistes des disciplines qui s’intéressent également au travail et privilégient une entrée par l’activité : ergonomie, psychologie, histoire, études littéraires, anthropologie, sciences du langage, sciences de gestion notamment.
Suivant ces approches, le RT 23 propose d’aborder le thème du 11
ème congrès de l’AFS « Environnement(s) et inégalités » en saisissant l’environnement comme une dimension de l’activité et non comme un seul espace ou un décor où elle se déploierait. Il s’agit d’abord d’interroger l’activité de l’environnement lui-même. Celui-ci, en effet, par ses modalités d’existence, participe directement aux productions humaines, et aux rapports de force associés, possiblement inégaux. On peut ensuite considérer les activités qui se donnent comme objectif de protéger, transformer, et façonner l’environnement. Ce dernier, dans une acception large, peut renvoyer à l’environnement professionnel, technique, spatial, matériel ou domestique. Les communications pourront questionner ce que « produire » un environnement, c’est-à-dire un milieu d’activité (Schwartz, 2020), signifie. Il peut s’agir enfin, dans un mouvement réflexif, de sonder les rapports entre les théories de l’activité et les théories de l’environnement. Les premières ont-elles d’emblée écologisé les sciences sociales (Quéré, 2024) ? Avec la montée en puissance des enjeux politico-écologiques, de récents travaux, dénonçant l’impact négatif de la production humaine sur l’environnement naturel, amènent à réinterroger les rapports entre activités de travail et la nature ou le vivant (Rigoulet et Bidet, 2023). Nous attendons donc des contributions explorant les apports possibles de la sociologie de l’activité pour penser la place des techniques et du travail, dont la production, face aux défis écologiques.
1. L’activité de l’environnement et les transactions
Les travaux relevant notamment des
Workplace Studies ont largement étudié le rôle des infrastructures sociotechniques, des environnements matériels et des agencements spatiaux dans l’organisation et la concrétisation des activités productives. Ces recherches ont mis l’accent sur les échanges complexes qui se jouent entre les acteurs et leur contexte d’activité. L’environnement, considéré comme l’ensemble des éléments matériels, sociaux et conceptuels dans lequel l’activité se déroule, ne se limite pas à un objet sur lequel le sujet agit ni à un ensemble de contraintes qu’il subit. L’environnement façonne « nos manières de voir, sentir et agir » (Rigoulet et Bidet, 2023, p. 12). Dans cette perspective, les recherches en sociologie de l’activité ont mobilisé le concept de « transaction », étayé par le philosophe pragmatiste John Dewey (Foucart, 2013), pour penser comment les échanges avec l’environnement jouent dans l’agentivité. Cela implique de dépasser le subjectivisme philosophique qui considère que l’acteur choisit de manière détachée comment utiliser ou intervenir dans l’environnement, pour mettre l’accent sur l’importance de « l’expérience » dans la « co-genèse continuée des organismes et de leur milieu » (Bidet et Gayet-Viaud, 2023). L’action se construit au travers des multiples transactions entre organismes et environnements, par lesquelles ils sont l’un et l’autre transformés.
Les sessions du RT 23 seront l’occasion de prolonger ces réflexions à travers des descriptions fines de ces transactions. Il s’agira explicitement de donner à voir la manière dont les environnements agissent comme des véritables « partenaires » des acteurs (Quéré, 2006, 2024). L’on pourra donc étudier par exemple comment les environnements informent ou appuient les acteurs dans la prise en charge de leur activité.
En poursuivant les travaux sur « l’agir distribué » (Bidet, 2008), les communications pourront approfondir la pertinence épistémologique des catégories d’environnement et de transaction pour l’étude des activités humaines. Plus précisément, les sessions seront l’occasion d’aborder les questions de la délégation de certains pans de l’activité humaine à des artefacts techniques ou des agencements matériels, et d’analyser les inégalités qui peuvent en résulter. Comment par exemple participent-ils de processus de redistribution des rôles et des pouvoirs au sein des organisations de travail ? On pourra aussi s’intéresser aux activités qui impliquent de composer avec des environnements instables, qu’ils soient naturels ou artificiels. Via quelles pratiques, quelles techniques de traduction les environnements peuvent-ils devenir effectivement des partenaires pour l’action, ou au contraire des adversaires ? Comment les actions et les corps des acteurs sont-ils façonnés, transformés à travers l’immersion dans des environnements ?
2. Produire, transformer, conserver un environnement
Si l’environnement n’est jamais un simple objet sur lequel se déploie l’activité, il peut être néanmoins l’objectif explicite d’un large faisceau d’activités humaines. De l’aménagement domestique et urbain, à l’activité de gestion forestière (Glinel, 2023) en passant par les activités de conception (Triclot, 2024), le design et la maintenance (Denis et Pontille, 2022 ; Rot, 2023), de nombreuses pratiques et activités de travail visent à produire, transformer ou conserver un milieu. Les communications attendues devront questionner les dynamiques de travail, d’appropriation et de régulation qui contribuent à la composition d’un environnement souhaitable. Nous encourageons des contributions qui s’intéressent aux dimensions matérielles, symboliques et sociales de ces pratiques. Qu’est-ce que signifie « produire » un environnement ? Comment les acteurs individuels ou collectifs, par leurs pratiques et stratégies, participent-ils à la fabrication d’un milieu, qu’il soit professionnel, technique, naturel ou domestique ?
Les contributions sont en ce sens invitées à repenser l’activité de composition d’un milieu de vie ou de travail comme une dimension essentielle des activités humaines (Schwartz, 2020). Il s’agit de penser la production de l’environnement dans ses dimensions pratiques, axiologiques, voire politiques, sans cesse renouvelée par des débats de normes et de valeurs sur ce qui fait milieu, comment et pour qui.
Cette production, loin de se limiter à la protection statique d’un état initial, s’inscrit dans un processus dynamique où les acteurs sont amenés à coordonner des activités ordinaires et expertes ou émergentes afin de définir la valeur de ce qui est développé, maintenu ou transformé. La production, la transformation ou le maintien de l’environnement implique donc des activités d’adaptation, d’appropriation et de personnalisation, qu’il s’agira de documenter.
De même, l’activité de conservation de l’environnement, souvent perçue comme une préservation passive ou une résistance à la dégradation, peut être envisagée comme une activité productive à part entière. Protéger un écosystème, maintenir des espaces naturels ou restaurer des milieux endommagés ne relève pas simplement de la sauvegarde de l'existant, mais implique la mise en œuvre de savoirs, de techniques et d’organisations.
3. Sociologie de l’activité et pensée écologique
A l’heure où les préoccupations écologiques s’imposent de manière croissante, il apparaît nécessaire de réinterroger les approches et les cadres théoriques de la sociologie de l’activité. Les théories de l’activité, notamment en sociologie du travail, font des pratiques de composition ou de transformation du milieu une caractéristique anthropologique essentielle. Ces approches ont souligné l’importance de l’environnement dans la réalisation des activités humaines, mais aussi, en retour, comment nos activités productives et ses équipements techniques et gestionnaires affectaient l’environnement. La montée en puissance des enjeux politico-écologiques s’est accompagnée de discours anti-productivistes, dénonçant les dégâts provoqués par les productions humaines sur la biosphère et prônant une reconnexion sensible au vivant. Insistant sur le couplage inéluctable du travail de transformation et de production et de la vie humaine, les théories de l’activité ont pu être perçues comme des justifications anthropologiques de pratiques d’exploitation et de pillage de milieu naturel, et opposées, de manière parfois caricaturale, à la pensée écologique appelant à limiter voire cesser l’intervention technique sur les milieux naturels.
Ces débats, déjà relativement datés entre les pensées marxistes, insistant sur le caractère créateur et émancipateur du travail, et l’écologie politique, pointant les dangers qu’une société construite autour de l’idée de production ferait peser sur l’environnement naturel, sont relancés dans un contexte d’urgence écologique. Cette opposition soulève des tensions entre, d'une part, l’insistance sur la nécessité de gérer rationnellement les environnements naturels qui participent à l’activité productive, et, d'autre part, les demandes de préservation et de non-intervention humaine dans les équilibres écologiques. Comment concilier ces deux perspectives, souvent contradictoires, dans une réflexion unifiée sur le travail et l'environnement ? Plusieurs pistes de réflexion sont d’ores et déjà avancées : «
se demander d’urgence ce que nous pouvons, désirons et devons vraiment encore produire, comment, par et pour qui – quels vivants, quelle humanité ? », comme le suggèrent Rigoulet et Bidet (2023, p. 10) ou ce à quoi nous tenons ou sommes prêts à nous défaire (Bonnet et al., 2021). Plus largement, cela ouvre des opportunités pour penser la redirection des activités de production, dans un sens favorable à l’humain comme à son environnement, mais aussi la hiérarchie entre activités, promouvant une revalorisation d’activités souvent invisibles ou méjugées, telles que la maintenance (Denis et Pontille, 2022), l’enquête ou le démantèlement (Bonnet, Landivar et Monnin, 2021).
Nous attendons des contributions qui poursuivent ces débats, en examinant si et comment la sociologie de l’activité et la pensée écologique peuvent s’intégrer épistémologiquement. Les communications pourront explorer les points de friction entre ces deux cadres théoriques, mais aussi proposer des pistes pour les articuler de manière pertinente. Les propositions pourront par exemple se pencher sur des expériences concrètes de réorganisation du travail en réponse aux crises écologiques.
Références citées
Bidet, A., & Gayet-Viaud, C. (Eds.). (2023).
L'engagement comme expérience. Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales.
Bonnet, E., Landivar, D., & Monnin, A. (2021).
Héritage et fermeture : une écologie du démantèlement. Éditions divergences.
Denis, J., & Pontille, D. (2022).
Le soin des choses : Politiques de la maintenance. La Découverte.
Halloy, J., Monnin A., Nova N. (2020). Au-delà du low tech : technologies zombies, soutenabilité et inventions, in ATTARD I.
et al., Low tech : face au tout-numérique, se réapproprier les technologies, Paris, Ritmio.
Rigoulet, V., Bidet A. (2023).
Vivre sans produire. L’insoutenable légèreté des penseurs du vivant, Vulaines sur Seine, Éditions du Croquant, Détox, 150p.
Quéré L. (2006), L’environnement comme partenaire”, in Barbier J. et Durand M. (Eds.),
Sujets, activités, environnements Approches transverses. PUF, 7-29.
Quéré L. (2024).
Self-action, interaction et transaction. Comment ‘écologiser’ les sciences sociales ?, chapitre 2 in Louis Quéré,
Au commencement était l’acte, Bibliothèque de Pragmata, 3, en ligne.
Rot, G. (2023).
Travailler aux chantiers. Hermann.
Schwartz, Y. (2020). Activité (s) et usages de soi: quel (s) «milieu (x)» pour l’humain?.
Les Études philosophiques, (1), 93-123.
Triclot M. (Ed.) (2024).
Prendre soin des milieux. Editions matériologiques.
Consignes aux auteurs
Pour que les sessions soient des moments de discussion, où chacun participe à l’enquête en train de se faire, nous veillerons à ce que les faits présentés soient « discutables ». Nous insisterons sur la nécessité d’appuyer les propositions de communication sur des données d’enquêtes solides, quelles que soient la nature des matériaux analysés et les méthodes mises en œuvre : nous nous intéressons ainsi à la présentation d’activités précises, finement documentées, où les descriptions des acteurs, des institutions, des techniques ou dispositifs concernés sont clairement exposés. Pour donner à voir une sociologie au travail, on pourra donc renoncer aux signes du travail fini et présenter les matériaux bruts, les supports concrets de l’analyse, au-delà des classiques citations d’entretiens ou des « vignettes illustratives ». Dans la catégorie des matériaux, nous rangeons à égalité les sources statistiques, documentaires, orales, d’observation, archivistiques, vidéo, etc.
Les propositions de communication (
4000 signes max.) devront fournir des indications sur ces points.
Tous les publics de chercheurs et chercheuses, enseignants-chercheurs et d’enseignantes-chercheuses, de doctorant·e·s, sont concernés par cet appel. Le RT 23 est composé de sociologues, anthropologues et historiennes et historiens : toutes les disciplines des sciences humaines et sociales sont les bienvenues, dans la mesure où l’objet des communications s’inscrivent dans les axes énoncés ci-dessus.
Les propositions de communications (titre, résumé, proposition) seront entièrement
gérées à partir du site de l’AFS. Il sera donc nécessaire d’ouvrir un compte sur le site avant tout dépôt de proposition.
La
date limite d’envoi des propositions est fixée au
17 janvier 2025.
Toutes les propositions seront examinées par les membres du bureau du RT23 qui feront connaître ensuite leur décision. Les réponses seront délivrées à partir du mois de mars 2025. Compte tenu du temps limité dont nous disposons et de la nécessité d’entendre et de discuter les exposés présentés, toutes les propositions ne pourront pas être retenues
Une proposition acceptée pour le congrès ne sera effectivement prise en compte que dès lors que les conférenciers et conférencières auront satisfait aux exigences de l’AFS :
- adhérer à l’Association Française de Sociologie (ou en s’assurant que leur adhésion est à jour) ;
- s’inscrire au congrès, sur le site : https://www.afs-socio.fr/
Le colloque se déroulera du 8 au 11 juillet 2025 à Toulouse. Tous les renseignements pratiques seront mis en ligne progressivement sur le site de l’Association Française de Sociologie.
Contacts :
Marco Saraceno (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – CETCOPRA) - marco.saraceno@univ-pari1.fr
Stéphanie Tillement (IMT Atlantique – LEMNA) - stephanie.tillement@imt-atlantique.fr