RT36

TOULOUSE 2025

TOULOUSE 2025 : Environnement(s) et inégalités / AAC RT 36 « Pratiques théoriques ». L'environnement du travail de théorisation (axe 1) L’environnement de travail correspond, pour notre RT, au travail de théorisation, aux différences voire aux inégalités entre les contextes de genèse et de développement des pratiques théoriques. Cette première thématique s’appuie sur deux références majeures, celle de F. Waquet, L’ordre matériel du savoir. Comment les savants travaillent ? (XVIe -XXIe siècles) (éd. du CNRS, 2015) ; et celle de J. Lamy et de J.-F. Bert, Voir les Savoirs. Lieux, objets et gestes de la science (Anamosa, 2021). Les propositions de communication s’intéresseront aux exemples de liens entre environnement(s) de travail et pratiques de théorisation. Une deuxième piste suivie porterait sur le thème suivant : « Une sociologie dans son environnement local : Jean-Michel Berthelot à Toulouse… et ailleurs ». Notre défunt collègue est connu pour sa production dans le domaine de la théorie sociologique. Nous voudrions revisiter ses écrits sous l’angle des pratiques théoriques : comment a-t-il construit son argumentaire et sa modélisation théorique ? Quel est son rapport global à la théorie sociologique ? Notamment à partir de son dernier ouvrage, posthume, L’emprise du vrai. Connaissance scientifique et modernité (PUF, 2008), et du collectif en hommage à son œuvre, dirigé par J.-C. Marcel & O. Martin, Jean-Michel Berthelot. Itinéraire d’un philosophe en sociologie (1945-2006), PUF, 2011. Une troisième piste concernerait la thématique suivante : « Pour des pratiques théoriques à la hauteur des environnements d’enquête ». À l’inverse du manque de matériau justement critiqué dans certaines théorisations « abstraites », il peut arriver que le matériau manque de théorisation « concrète », de pratique théorique qui densifie l’analyse en lien avec le terrain. Elle nous permettrait d’explorer les pratiques théoriques abordant des objets divers en lien avec des terrains peu mis en avant ou difficiles d’accès. Cette piste ouvrirait également la discussion à de nouvelles descriptions, plus denses (Geertz, 1998) de l’environnement. En quoi ce type de terrains pousse les pratiques théoriques à plus d’exigence, moins d’abstraction, plus de cumulativité (Sembel, 2023)? Une quatrième piste aborderait les inégalités d’accès à la théorisation scientifique. Par exemple sous l’angle des inégalités de genre, à partir de l’ouvrage d’H. Charron, Les formes de l’illégitimité intellectuelle. Les femmes dans les sciences sociales françaises, 1890-1940 (éd. du CNRS, 2013). La genèse de cette illégitimité persistante semble se trouver au sein de l’univers scolaire (Éducation & formations, 72, 2005), dans les disciplines scolairement dénommées scientifiques (Blanchard et al., 2016) ou autres. Ces rapports inégalitaires se poursuivent ensuite dans la pratique sociologique, puisque la théorie est, par exemple dans les statistiques, un domaine masculin (Metzger-Debrune, 2023). La question du sous-financement des chercheures vis-à-vis des chercheurs fait aussi partie de l’équation (Larrègue & Wullum Nielsen, 2024). La réflexion peut aussi porter sur les apports de la théorie des savoirs situés en sociologie (Haraway, 1988 ; Harding, 1992). Enfin, la question des « Circulations théoriques dans l’environnement académique » serait abordée autour d’une lecture croisée des collectifs Ideas on the Move in the Social Sciences and Humanities (Sapiro et al., 2020) et Routledge Handbook of Academic Knowledge Circulation (Keim et al., 2023). Théoriser la crise environnementale (axe 3) Les crises environnementales sont-elles des crises politiques comme les autres sur le plan théorique ? Cette question est fondamentale pour répondre à celle des mobilisations qu’elles peuvent susciter, ou pas. Nous répondrions par l’affirmative en nous inscrivant dans la sociologie des crises politiques de M. Dobry (Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, PFNSP, 1986), à partir de deux pistes théoriques. D’abord celle paraphrasant Clausewitz : la guerre environnementale ou la guerre à la nature serait la continuation de la politique par d’autres moyens. Il semble en effet que la cause environnementale et le rapport à la nature soient déterminés par des effets propres aux champs politiques. Ensuite la piste complémentaire de la précédente, celle de la mise en œuvre d’une hypothèse continuiste, qui comprend les crises comme le passage de conjonctures sectorielles routinières à une conjoncture multisectorielle fluide. Cette analyse théorique refuse ainsi l’idée et le paradigme de la rupture et opterait au contraire pour une déconstruction sociologique de la spécificité des objets « environnement » et « nature ». Nous chercherions à savoir où cela nous mène concrètement du point de vue des pratiques théoriques et de leur lien éventuel avec les pratiques militantes et les mobilisations collectives. Théoriser la nature et l’environnement (axe 4) Quels sont les emprunts de la sociologie au paradigme écologique? Une récente journée d’étude internationale sur Aaron Cicourel est venue par exemple, réinterroger son usage du concept de « validité écologique ». Mais le lexique des sciences de l’environnement se trouve chez d’autres sociologues, tels A. Abbott et les « écologies liées » (Abbott, 2005). Enfin, certaines propositions théoriques sont allées jusqu’à penser l’environnement comme une contrainte sociale, en remobilisant le concept d’affordance (Lalhou, 2024). Comment s’imposent parfois à la pratique sociologique de tels emprunts théoriques ? Apportent-ils quelque chose à l’analyse sociologie, ou relèvent-ils d’une pratique de cherry picking critiquable ? Une piste complémentaire porte sur les analyses de l’environnement dans sa dimension sensible, comme le propose par exemple l’ethnographie du sonore (Pecqueux, 2021 ; Voilmy, 2009). Quels sont les outils pratiques et théoriques d’enregistrement, de description et d’analyse du sonore ? L’espace sonore est aussi une projection dans les ondes de l’espace social. Comment rendre compte du déploiement des inégalités et des rapports de dominations dans et par le sonore (Volcler, 2022 par exemple) ? Les travaux entrepris dans cette perspective, dialoguant avec les Sound Studies (Sterne, 2012) ou s’en réclamant donnent un aperçu de la vivacité de ce champ d’enquête. Nous voudrions également aborder les pratiques théoriques et épistémologiques sous l'angle de la pluri- ou de l’inter-disciplinarité. Par exemple, comment un même phénomène environnemental est pensé par différentes disciplines scientifiques et comment articuler ces explications ? Cette piste sera suivie à partir de deux livres, l’un portant sur un objet : P. Marichalar, La montagne aux étoiles. Enquête sur les terres contrastées de l’astronomie (La Découverte, 2024) ; l’autre portant sur une démarche : M. Krause, Model cases. On canonical objects and sites (Univ. of Chicago Press, 2021). En poursuivant de l’inter- à la trans-disciplinarité, nous chercherons à savoir si une sociologie générale de l’environnement et de la nature est possible ? L’orientation du RT incline à penser par l’affirmative, mais l’objet « environnement » et l’objet « nature » tels qu’ils sont construits constituent selon nous une mise à l’épreuve de la généralisation théorique en sociologie. Ce qui pose enfin la question du rôle du/de la sociologue face aux enjeux « sociétaux », et aux questions socialement vives en général, piste que nous voudrions développer dans le dernier axe. Théoriser l’expertise sociologique de crise (axe 5) Face au « défi environnemental » comme face à tout défi, et face à toute demande sociale qui l’accompagne, que peuvent faire les sociologues et la sociologie ? Une réponse possible, autre que celle en termes de militantisme (cf. axe 3), peut être formulée en termes d’expertise. Mais quelle expertise pleinement sociologique est possible et souhaitable face à l’urgence environnementale et aux questions socialement vives en général ? Dans le double et vaste souci de formation des sociologues expert-e-s et de formation à et par la sociologie, nous plaiderions pour une posture professionnelle combinant l’adossement de l’expertise à la recherche collaborative sur la base d’une démarche d’enquête (cf. respectivement : N. Sembel, « L’adossement réflexif à la recherche comme activité heuristique, praxéologique, critique, Questions vives, 33, 2020 ; I. Vinatier et J. Morrissette, « Les recherches collaboratives : enjeux et perspectives », Carrefours de l’éducation, 39, 2015 ; C. Baudelot et C. Robert, « L’enquête, mère de toutes les batailles », in Manuel indocile de sciences sociales : pour des savoirs résistants, La Découverte, 2019 ; C. Ladage et Y. Chevallard, Enquêter avec l’internet : études pour une didactique de l’enquête, Éducation et didactiques, 5, 2011). Références bibliographiques complémentaires Abbott A. (2005), « Linked Ecologies: States and Universities as Environments for Professions », Sociological theory, 23 (3), https://doi.org/10.1111/j.0735-2751.2005.00253.x Blanchard M., Orange S., Pierrel A., Filles + sciences = une équation insoluble ? Enquête sur les classes préparatoires scientifiques, 2016, Rue d’Ulm/Cepremap. Geertz C. (1998), “La description dense. Vers une théorie interprétative de la culture” (trad. A. Mary), Enquête, 6, 73-105. https://doi.org/10.4000/enquete.1443 Haraway, D. (1988). Situated Knowledges : The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective. Feminist Studies, 14(3), 575-599. https://doi.org/10.2307/3178066 Harding, S. (1992). Rethinking Standpoint Epistemology : What Is « Strong Objectivity? » The Centennial Review, 36(3), 437-470. Keim W., Rodriguez Medina L., Arvanitis R., Bacolla N., Basu C., Dufoix S., Klein S., Nieto Olarte M., Riedel B., Ruvituso C., Saalmann G., Schlechtriemen T., Vessuri H. (2023), Routledge Handbook of Academic Knowledge Circulation, Routledge. Lahlou S. (2024), Why People Do What They Do: And How to Get Them to Change, Wiley. Larrègue J., Wullum Nielsen M., (2024), Knowledge Hierarchies and Gender Disparities in Social Science Funding, Sociology, 58 (1), https://doi.org/10.1177/00380385231163071 Metzger Debrune P.-E. (2023), « De la division genrée du travail sociologique. Étude des résumés de thèse de sociologie (1985-2021) », Zilsel. Science, technique, société, 13, 31-59. Pecqueux, A. (2012). Le son des choses, les bruits de la ville. Communications, 90(1), 5-16. https://doi.org/10.3917/commu.090.0005 Sapiro G., Santoro M., Baert P. (2020), Ideas on the Move in the Social Sciences and Humanities, Palgrave/MacMillan. Sembel N. (2023), « The Ampiric response: identifying the maximum point of cumulativity in the international sociology of education », Actes du colloque Sfère-Provence 2021, De Gruyter, 62-69. Sterne, J. (Éd.). (2012). The Sound Studies Reader. Routledge. Voilmy, D. (2009). Présentation du dossier « Ethnographier les phénomènes sonores ». ethnographiques.org, 19. https://www.ethnographiques.org/2009/Voilmy Volcler, J. (2022). L’orchestration du quotidien : Design sonore et écoute au 21e siècle. La Découverte
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