Cette nouvelle édition du congrès de l’Association française de sociologie articule deux termes dont celui d’
environnement, lequel pourra s’entendre au singulier comme au pluriel. Si l’approche des phénomènes sociaux au travers des « inégalités » a été bien balisée par notre discipline, pour en faire une de ses marques de fabrique très tôt dans son histoire, au contraire l’environnement a tardé à apparaître comme un champ de la sociologie, voire s’y est imposé comme légitime de haute lutte, tel que l’a bien rappelé la
dernière journée inter-congrès du RT38. Aussi, ce Réseau Thématique (Sociologie de l’environnement et des risques) peut s’estimer là convoqué dans son cœur de questionnement.
La sociologie clinique, elle, est attentive aux catégories de pensée en tant qu’elles expriment l’état de la société, de ses pratiques et des rapports de force épistémiques. Ces outils de la pensée ordinaire ou scientifique, lorsqu’ils sont institutionnalisés, s’imposent à nous comme des manières de penser (ou de ne pas penser), de sentir et d’agir (ce sont aussi des catégories de l’action). Or le terme d’« environnement » est intéressant à replacer dans une histoire des représentations sociales, d’une part, et à questionner épistémologiquement d’autre part.
Dans un premier temps de la sociologie de l’environnement, ce terme représentait un progrès analytique par rapport à la « nature » (Jollivet, Mathieu, 1989). Mais cette dernière est aujourd’hui elle-même questionnée : faut-il considérer comme Philippe Descola (2005) qu’elle ne serait qu’une catégorie de pensée locale et historique contingente, ou au contraire qu’il « ne [faudrait] pas en finir avec la nature » (Dupouey, 2024) ? Le grand partage avec la culture constitue un trait civilisationnel majeur. Est-il à l’origine d’une surexploitation anthropocénique des ressources, ou sa justification capitalistique ? L’hybridation de la plupart des objets étudiés par les sociologues, entre nature et culture (Latour, 1991), interdirait-elle désormais de penser spécifiquement la part non-humaine des processus qui caractérisent ce que l’on appelait « nature » ? Et donc leurs effets sur la vie humaine, dont les inégalités en particulier ? Les reproches faits à l’environnementalisation de la sociologie (sa centration sur ce qui environne la vie humaine) recoupent ceux adressés aux « milieux », mais de façon inversée. L’environnement serait-il alors la version sociologisée du milieu des écologues, la conception des géographes constituant un positionnement intermédiaire ? Le milieu dont, au passage, on pourrait faire remarquer la part duale, puisque tout en étant l’enveloppe, il pose un taxon comme centre (niche écologique).
À l’heure où ce sont les interdépendances qu’il s’agit d’appréhender avec des « autres qu’humains » pluriels et complexes, qui ne peuvent donc être subsumés sous un singulier, le terme « environnement » instiguerait l’idée d’une espèce humaine située dans un décor unifié, plus ou moins passif. Ce que nous savons qu’il n’est pas. En outre, d’un point de vue de la connaissance n’est-il pas illusoire d’attendre d’une espèce qu’elle se décentre totalement ?
Cette discussion à propos de l’environnement renvoie plus largement à la problématique des catégories de pensée émiques et étiques que nous mobilisons pour aborder la situation contemporaine, avec ses enjeux à la fois épistémiques et sociaux. Cette session croisée accueillera les recherches qui portent sur les processus sociaux ayant contribué à former les catégories de la pensée et de la pratique, qu’elles soient ordinaires ou scientifiques (c’est-à-dire concept) et qui ont été éventuellement institutionnalisées, et qui étudient leurs incertitudes et effets. Ces enquêtes sur les catégories de pensée et d’action peuvent être disciplinées ou pluridisciplinaires et s’adosser à diverses traditions philosophiques et / ou sociologique (Durkheim et Mauss, 1903 ; Fals Borda, 2020 ; Bourdieu, 1993 ; Douglas, 2004 ; Butler, 2006 ; Dujarier, 2021) et / ou anthropologique (Lévi-Strauss, 1962 ; Descola, 2005) ou sémiotique (Mignolo, 2015). Elles peuvent concerner l’« environnement », mais aussi d’autres catégories connexes, telles que « nature », « transition », « bifurcation », « besoin », « progrès », « besoin », « écologie »…
Cette double mise en perspective, historique et sociologique, en contextualisant les termes, offre de saisir comment, dans un moment et un lieu donné, les rapports sociaux sculptent les manières de représenter les problèmes, d’instituer des cadrages et significations, non sans générer des conflits et résistances sociales, elles aussi à documenter et à analyser.
Les propositions de communication sont à déposer d’ici le 15 janvier 2025 sur le site de l’AFS.
- Ces propositions de communication feront environ 5 000 signes espaces compris.
- Elles résumeront les options méthodologiques, empiriques et théoriques envisagées, ainsi que les résultats mis en avant.
- Elles comporteront le titre de la communication et une liste de 5 mots-clés.
Organisation de la session :
Marie-Anne Dujarier :
marie-anne.dujarier@u-paris.fr (RT16)
Christophe Baticle :
cbaticle@aol.com (RT38)
Bibliographie indicative
- Bourdieu Pierre, « À propos de la famille comme catégorie réalisée », Actes de la recherche en sciences sociales, 1993, vol. 100, p. 32-36.
- Butler, Judith, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, Paris, La Découverte, 2005.
- Descola Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
- Dujarier Marie-Anne, Troubles dans le travail : sociologie d'une catégorie de pensée, Paris, PUF, 2021.
- Dupouey Patrick, Pour ne pas en finir avec la nature. Questions d’un philosophe à l’anthropologue Philippe Descola, Marseille, Agone, 2024.
- Durkheim Émile, Mauss Marcel, « De quelques formes primitives de classification contribution à l’étude des représentations collectives », L’Année sociologique, 1903, 6.
- Fals Borda Orlando. Décoloniser les sciences sociales. Une anthologie bilingue de textes (1925-2008) Sous la direction de Liliana Diaz et/y Baptiste Godrie. Editions ECBC, 2020.
- Jollivet Marcel, Mathieu Nicole (dir.), Du rural à l’environnement. La question de la nature aujourd’hui, Paris, L’Harmattan et ARF éditions, 1989.
- Lévi-Strauss Claude, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962
- Latour Bruno, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991.
- Maris Virginie, La part sauvage du monde. Penser la nature dans l’anthropocène, Paris, Seuil, 2018.
- Mignolo Walter D., Habiter la frontière, la désobéissance épistémique. Rhétorique de la modernité, logique de la colonialité et grammaire de la décolonialité, Peter Lang, Bruxelles, 2015.
Rappel :
Pour participer au Congrès, il faudra adhérer à l’AFS et s’acquitter de droits d’inscription. Lors du précédent Congrès de 2023, l’adhésion s’élevait à 41€ pour les non-titulaires et 103€ pour les titulaires ; l’inscription au Congrès à 61€ pour les non-titulaires et 152€ pour les titulaires. Les tarifs pour le Congrès de Toulouse seront légèrement plus élevés (inflation). Les collègues non-titulaires qui ne peuvent être financé.es par leur laboratoire pourront, sur présentation de dossier, être exonéré.es des droits d’inscription et bénéficier d’une aide pour le transport et le logement. La procédure pour la demande d’exonération des droits d’inscription sera précisée plus tard.
L’accès au Congrès se veut le plus inclusif possible :
- * Des dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles seront mis en place.
- * Si vous avez besoin de services d’accompagnement en raison d’une situation de handicap, vous pourrez le signaler dans le cas où votre communication est retenue. Le comité d’organisation mettra tout en œuvre pour essayer de répondre à vos demandes.
- * Si vous avez besoin de services de crèche pendant le Congrès vous pourrez le signaler au moment de l’inscription. Le comité local essayera de proposer un mode de garde."