De la particule nucléaire radioactive aux monticules d’emballages plastiques, en passant par les biodéchets ou les résidus de l’industrie, l’accumulation des déchets et les pollutions qui en résultent sont au cœur de la question environnementale. Nous souhaitons articuler, dans cette session croisée entre les RT29 et RT38, des préoccupations sur la production et la circulation des savoirs, et des attentions aux rapports de pouvoir au cœur des enjeux d’écologisation. L’objectif est d’initier une discussion à partir des acteur·rices qui qualifient, s’engagent ou sont engagés par l’accumulation des déchets, et à les mettre en regard des ordres politiques et économiques qu’ils participent à construire. Une attention particulière sera ainsi portée aux multiples (re)qualifications des déchets, à leurs déplacements ainsi qu’aux inégalités sociales et environnementales.
Pratiques et promesses technologiques face à l’accumulation des déchets
Un premier axe porte sur les promesses technologiques qui visent à identifier et réduire les quantités de déchets en circulation ou à dépolluer des espaces contaminés. Elles peuvent viser la transformation des déchets en ressources, comme dans le cas de l’économie circulaire. Dans le cas des projets de remédiations, ces promesses peuvent aussi avoir pour conséquence de déplacer les pollutions et d’en créer de nouvelles.
Ces dynamiques, souvent portées par des laboratoires industriels et des innovations techniques, interrogent les processus de requalification des déchets et les inégalités produites par ces reconfigurations. Les
repair studies offrent également une approche pertinente pour penser les déchets et leur prise en charge. Elles s’intéressent aux pratiques de gestion des déchets dans un cadre quotidien ou professionnel, qui reposent sur des savoirs spécifiques, souvent invisibilisés, mais qui participent à la construction sociale de la notion de déchet.
Les communications qui s’inscrivent dans cet axe pourront répondre aux questions suivantes : Comment les changements de statut des déchets peuvent-ils s’opérer au fur et à mesure que les déchets circulent ? Dans quelle mesure ces changements s’articulent-ils à différentes échelles de gestion des déchets ? Comment cela affecte-t-il les pratiques professionnelles et quotidiennes ? Dans quelle mesure ces promesses technologiques définissent-elles un rapport au risque particulier ? En quoi cette économie des promesses technologiques génère-t-elle des conflits de cadrage autour des problèmes de déchets, leurs causes et leur gestion ?
(Re)qualifier les déchets
Un deuxième axe porte sur la production de connaissances et la qualification des déchets, qu’ils soient industriels, domestiques ou toxiques. Trois approches nous apparaissent complémentaires sur cette question.
Une première approche se situe dans le prolongement des travaux qui se sont intéressés aux luttes entre groupes d’acteur·ices pour définir ce qui est considéré comme polluant, dangereux, ou acceptable (Chateauraynaud et Debaz, 2017). Les communications pourront par exemple soulever les controverses environnementales qui structurent l’élaboration des déchets comme catégorie administrative. Quels types de connaissances (économiques, sensorielles, politiques…) les acteur·ices mobilisent·iels pour parler des déchets ? Comment les savoirs, les normes et les technologies entrent-ils en concurrence pour la gestion et l’évacuation des déchets ?
Une deuxième approche porte sur la manière dont les déchets sont catégorisés par la science réglementaire (Jasanoff, 1990). Elle met en lumière des processus socio-techniques complexes, où se mêlent enjeux politiques, économiques et sociaux. Dans quelle mesure la qualification des déchets à partir d’indicateurs, de seuils et de normes influence-t-elle la manière dont les acteur·ices s’engagent ou sont engagé·es par les déchets ? Qu’en est-il de ces « restes », tantôt résidus, polluants, contaminants, produits “up-cyclés” valorisés, dont la taille varie de la particule nucléaire radioactive aux monticules de déchets industriels enfouis sous terre, incinérés ou exportés ? Qu'est-ce qu’un déchet ? À partir de quand un objet ou une substance est-elle considérée comme un déchet ?
Une troisième approche s’intéresse au fait que lorsque les acteur·ices sociaux qualifient les déchets, iels participent à les rendre visibles ou au contraire à les invisibiliser. C’est pourquoi il semble intéressant de questionner la place des savoirs marginalisés ou dévalorisés dans l’histoire industrielle et scientifique des déchets. Cet éclairage résonne avec les préoccupations des sociologues de l’environnement sur les inégalités environnementales, tout en mobilisant la sensibilité des STS à la matérialité des infrastructures et à la co-production des savoirs scientifiques et politiques. En quoi la production de savoirs sur les déchets (par la quantification, les seuils de toxicité, les normes de recyclage) est-elle indissociable des configurations politiques et des rapports de pouvoir ?
Les perdant·es et les gagnant·es
Appréhender la pollution en termes de seuils, de stocks à gérer et de particules mesurables, ne peut faire oublier une vision plus globale des déchets, en abordant notamment les enjeux de justice environnementale. Le troisième axe de cette session croisée s’intéresse aux gagnant·es et perdant·es des nouvelles formes de gestion des matières, aux formes d’expertise qui en découlent ainsi qu’aux impacts différenciés sur les populations. En effet, les risques sanitaires et environnementaux causés par les résidus sont inégalement distribués dans le temps et dans l’espace (Boudia
et al, 2022). De nombreux travaux se sont plus spécifiquement intéressés à la manière dont les catégories scientifiques et politiques invisibilisent certains acteurs et territoires, ainsi qu’au racisme (Bullard, 2000) et à la violence (Nixon, 2011) qui en découlent. L’accumulation de déchets, leurs déplacements et leurs circulations mettent en lumière des inégalités post-coloniales et des asymétries de pouvoir (Liboiron, 2021; Hecht, 2023).
En quoi la gestion des déchets, leur ramassage et leur traitement, mettent-ils en relief à la fois les inégalités au cœur des territoires « nettoyés » et ceux qui ne le sont pas, des publics chargés de ramasser et trier, les personnes exposées ? Comment mettre en relation les effets corporels des déchets, mais aussi les manières dont les infrastructures scientifiques et technologiques reproduisent des inégalités ? De et vers quels espaces géographiques les déchets circulent-ils ? Qui bénéficie de ces circulations ?
Les propositions de communication sont à déposer sur le site de l’AFS.
- Les propositions de communication ne dépasseront pas 5000 signes espaces compris.
- Elles résumeront les options méthodologiques, empiriques et théoriques envisagées ainsi que les résultats mis en avant. Une attention particulière sera donnée à l'ancrage sociologique et empirique des travaux.
- Elles comporteront le titre de la communication et une liste de 5 mots-clés (afin de faciliter leur regroupement dans des sessions thématisées).
- Elles indiqueront si la proposition correspond à l'appel thématique ou à une session croisée inter-RT. Auquel cas, nous vous invitons à bien vérifier les modalités spécifiques de soumission à cette session. Pour les propositions concernant les sessions croisées, vous pouvez aussi redoubler ce dépôt par un envoi aux contacts mentionnés.
Comité d’organisation
Justine Berthod,
Justine.berthod@sorbonne-nouvelle.fr
Lisa Claussmann,
lisa.claussmann@minesparis.psl.eu
Aymeric Luneau,
aymeric.luneau@sciencespo.fr
Sophie Tabouret,
sophie.tabouret@ehess.fr
Léo Tertrais-Flamand,
tertraisflamandleo@protonmail.com
Bibliographie indicative
Boudia, Soraya, Creager, Angela N. H., Frickel, Scott, Henry, Emmanuel, Jas, Nathalie, Reinhardt, Carsten, & Roberts, Jody A. 2022.
Residues : Thinking Through Chemical Environments. New Brunswick, NJ:Rutgers University Press.
Bullard, Robert D. 2000.
Dumping In Dixie: Race, Class, And Environmental Quality. 3rd ed. Boulder, CO: Westview Press.
Chateauraynaud, Francis, and Josquin Debaz. 2017.
Aux bords de l'irréversible. Sociologie pragmatique des transformations. Paris: Petra.
Hecht, Gabrielle. 2023.
Residual Governance: How South Africa Foretells Planetary Futures. Durham, NC: Duke University Press.
Jasanoff, Sheila. 1990.
The Fifth Branch: Science Advisers as Policymakers. Cambridge, MA: Harvard University Press.
Liboiron, Max. 2021.
Pollution Is Colonialism. Durham, NC: Duke University Press.
Nixon, Robert. 2011.
Slow Violence and the Environmentalism of the Poor. Cambridge, MA: Harvard University Press.