RT36

Intersections et circulations en théorie(s)

RT 36 « Pratiques théoriques », appel à communications en vue du congrès de Lyon 2023 Dans la perspective d’exploration des pratiques théoriques ancrées dans un contexte qui nous anime depuis 2017 et la nouvelle dénomination de notre RT, nous attendons pour ce Congrès de l’AFS 2023 des contributions qui interrogent les pratiques de circulation des théories, notamment dans une perspective de mise en pratiques de l’intersectionnalité. Qu’est-ce que les contextes de circulation et d’intersectionnalité font aux pratiques théoriques et à l’ordre matériel du savoir (Waquet, 2015), constitué de lieux, objets et gestes (Bert et Lamy, 2021) ? Plusieurs questions en découlent, que les exemples sur tous les objets, les plus variés, jusqu’aux plus incertains ou discrets, peuvent illustrer. Ce RT propose un temps de réflexion pour toutes celles et tous ceux qui souhaitent interroger leur travail de théorisation. Axe 1 : Circulations théoriques Le passage de la thématique « classique » de la circulation des idées à celle de la circulation des pratiques théoriques que nous privilégions, fera l’objet d’un premier axe de propositions de communications. Notre objectif est de faire de la circulation des idées elle-même un objet d’étude. Nous cherchons à décrire les circulations sous l’angle des échanges, hybridations, appropriations et enjeux de luttes que sont les réceptions et les traductions (Schick, 2017 ; Heilbron, Sapiro, 2002 ; Sapiro, 2008 ; des exemples dans Sapiro, 2012). Réceptions : dans la lignée des travaux sur les controverses scientifiques (Gingras, 2014) ou non scientifiques, et de l’étude comparative des revues (par exemple Journée « Publish or perish/ENS, 2010 ; en particulier, Déchaux, 2010), que font les comptes rendus aux théories qu’ils recensent (par exemple Baciocchi, 2012 ; Béra, 2012) ? Est-il possible de tout dire et son contraire concernant un ouvrage ou une théorie scientifiques ? Que dit la pratique théorique de la recension, des controverses qu’elle alimente et du champ dans lequel elle prend position ? Traductions : que font les traductions, en tant que pratiques théoriques à part entière, aux travaux qu’elles traduisent (Akrich, Callon, Latour, 2006 ; par exemple, Brunet, 2011) ?  Comment la traduction comme pratique théorique assume-telle le risque de « trahison » qui lui est inhérent ? Comment les traducteur-trice-s travaillent-ils sur un plan scientifique ? En sociologie, sont-ils avant tout des spécialistes de la langue d’origine et de sa traduction, ou sont-ils avant tout des sociologues ? Des exemples de circulations de concepts fameux traduits seront les bienvenus ; d’autres exemples de circulations de relectures de traductions par l’auteur traduit également ; ou une sociologie de la traduction dans les domaines les plus variés (par exemple, Lassave, 2006 ; Durand, Baret, Krohmer, 2018). Les réceptions et traductions doivent-elles rechercher, atteindre, un idéal de « pureté » linguistique, ou doivent-elles accepter l’hybridation comme pratique théorique inévitable ? Les sociologues, lorsqu’ils écrivent, anticipent-il sur les réceptions et traductions possibles ? Quel place cette anticipation ou d’autres formes de « régulation » de leur pensée occupe-t-elle dans leurs propres pratiques de travail ? Produit d’hybridations en aval, toute théorie l’est-elle aussi d’échanges en amont ? Quelle est la place des relectures par les collègues plus ou moins proches, connus ou anonymes, avant et pendant les soumissions de publications ? Des communications abordant l’ampleur mais aussi les limites de ce travail scientifique qui a pris une dimension nouvelle depuis les incitations voire injonctions à la publication, seront les bienvenues. Dans quelle mesure une pratique théorique est-elle le produit d’une entreprise collective (par exemple Pollak, 1979 ; Besnard, 1979 ; Béra, Marcel, Mosbah-Natanson, 2019), souvent invisible (Waquet, 2022) ? Quelle est la division du travail dans ce processus de circulation sociale des idées ? Sous l’angle des pratiques théoriques, les notions d’auteur-e et d’œuvre sont-elles aussi, avant tout, des constructions sociales ? D’où tiennent-elles leur légitimité aussi répandue, acceptée ? Notre appel à communications privilégiera à nouveau l’illustration de ce point par des exemples fameux, permettant de revisiter sous un angle sociologique l’histoire de la sociologie. Une autre direction est indiquée par l’appel de l’AFS : celle de l’interdisciplinarité comme pratique (Prud’homme, Gingras, 2015). Quelles pratiques théoriques découlent de la circulation interdisciplinaire (i.e. Louvel, 2015 ; Larrègue, Lavau, Khelfaoui, 2021) ? Que fait l’interdisciplinarité aux concepts utilisés par des disciplines différentes et qui se rencontrent ? L’interdisciplinarité n’a-t-elle de légitimité scientifique que par un travail de pratiques théoriques qui s’hybrident, et non par un travail théorique abstrait, essentiellement incantatoire ? Quelles circulations, quelles hybridations, vont dans le sens d’une science sociale unifiée ? Au contraire, lesquelles vont dans le sens inverse d’une consolidation des frontières entre les disciplines ? La question des pratiques de circulation permet d’interroger celle de l’autonomie d’une discipline, notamment de la sociologie (Heilbron, 2006, 2020 ; Duval, 2022) : une discipline cloisonnée est-elle une discipline plus autonome ? L’autonomie disciplinaire va-t-elle de pair avec l’autonomie scientifique ? L’autonomie disciplinaire n’est-elle qu’une étape historique intégrant la disparition des disciplines et allant vers l’autonomie scientifique d’une science sociale unifiée (Joly, 2017, 2020) ? Axe 2 : Circulations intersectionnelles   Nous souhaitons aborder particulièrement les pratiques théoriques sous l’angle de l’intersectionnalité (par exemple Harper & Kurtzman, 2014 ; Lépinard, 2015 ; Meyer, 2017 ; Kocadost, 2017 ; Gallot, Noûs, Pochic, Séhili, 2020). Dans cette perspective plusieurs questions se posent. Puisque les pratiques théoriques existaient avant l’apparition de la théorisation intersectionnelle, il serait intéressant d’étudier comment une nouvelle thématique, appelée à devenir incontournable, surgit dans la routine des pratiques théoriques, comment elle les revisite, les réoriente, ou suscite au contraire des résistances, une ignorance, voire un refus de prise en compte (Omer-Houseaux, 2008 ; Bilge, 2009) ? Est-ce que toute théorie contient, potentiellement ou réellement, une dimension intersectionnelle ? Cette dimension apparaît-elle à un moment particulier de la réflexion théorique et de sa mise en pratique ? L’intersectionnalité constituant alors un dénominateur commun à toute théorie, un passage obligé pouvant conduire à une stabilisation durable de sa circulation, survenant à des moments et selon des modalités différentes, dont les processus et les seraient types à décrire (Chauvin, Jaunait, 2015). Quelles seraient alors les pratiques théoriques caractéristiques de cette étape ou de cette stabilisation ? Que faut-il déconstruire, reconstruire, pour qu’une pratique théorique soit intersectionnelle ? Est-ce qu’au contraire, une impossible intersectionnalité de certaines théories, à argumenter, les déligitimerait, faisant du critère intersectionnel un « juge de paix » pour les temps aussi bien présent qu’à venir, et permettant également de revisiter les théories passées ? Inversement, le critère de la circulation pratique des théories permet-il de critiquer la théorisation intersectionnelle abstraite, coupée de la pratique sociale et du métier de sociologue ? Autre aspect de la thématique proposée par l’AFS : que fait cette pratique théorique vers l’intersectionnalité en termes de disciplines (par exemple Bouchard, 2016) ? En quoi l’intersectionnalité questionne, critique, revisite la sociologie ? Et ouvre vers la pluridisciplinarité, l’interdisciplinarité, la transdisciplinarité ? Comment repenser la nécessaire autonomie disciplinaire dans cette optique ? Une autonomie transdisciplinaire est-elle possible ? Une science sociale unifiée est-elle nécessairement intersectionnelle, ne peut-elle être qu’intersectionnelle ? En quoi l’intersectionnalité permet-elle de repenser la notion de frontière ? Frontière entre objets, frontière politique, frontière géographique, mais aussi frontière entre paradigmes ? Du point de vue des pratiques théoriques toujours, la transgression d’une frontière est-elle un saut vers l’inconnu, vers la dispersion, ou un retour aux fondamentaux et, partant, à un réel universel ? Des questions de portée plus générale encore (Lépinard, Mazouz, 2021) seront les bienvenues. L’intersectionnalité peut-elle connaître la destinée « doxique » des théories en vogue qui dominent et s’installent dans le paysage et dans champ ? Peut-elle nourrir une démarche dogmatique, une scolarisation coupée de la démarche scientifique, à son tour ses « bases », ses « incontournables », ses « traditions », ses « pères » ou « mères » fondateur-trice-s ? L’intersectionnalité est-elle un chemin plus court, plus efficace, plus co-construit, vers les recherches collaboratives, vers la sociologie publique (i.e. Davis, 2015) ? Permettrait-elle d’associer plus de praticiens, d’intellectuels, à la sociologie, et à son métier ? Pour toutes ces raisons, l’intersectionnalité dérange-t-elle ? Quelles pratiques de domination questionne-t-elle, lui résistent-elles ? Constitue-t-elle une garantie contre toute domination, du fait de la radicalité de ses questionnements ? Cette radicalité scientifique, nourrie par l’enquête, devrait-elle être le propre de toute pratique théorique ? Quels seraient les concrétisations professionnelles de la radicalité intersectionnelle ainsi promue ? Qui a peur de l’intersectionnalité ? Qui peut s’en passer ? Doit-elle, peut-elle, être « réduite », comme une « poche de résistance », ou au contraire développée, soutenue, quelle que soit sa dimension critique ? Enfin, l’intersectionnalité a-t-elle des limites ? Peut-elle être à son tour dépassée ? Quelle serait l’étape suivante en termes de pratiques théoriques ? L’intersectionnalité contribue-t-elle à l’objectif de la sociologie générale et de la science sociale unifiée, ou bien constitue-t-elle un frein, si elle renforce une démarche de cloisonnement en studies ou en expertise ? Quelles pratiques théoriques renforcent de tels cloisonnements ? Lesquelles permettent de les éviter, pour adosser les studies à la sociologie générale ou l’expertise à la recherche scientifique ? *** La date limite de dépôt des propositions de communication sur le site de l’AFS est le 30 janvier 2023. Ces propositions ne dépasseront pas 5000 signes, comporteront un titre et 3 à 5 mots-clés, et devront traiter l’un ou l’autre de ces axes (ou les deux, si cela s’avère pertinent), en envisageant explicitement les aspects théoriques précédemment exposés dans l’argumentaire. En phase avec le cadrage scientifique adopté par le RT 36 « Pratiques théoriques », nous souhaitons mettre en avant le lien entre théorisation et recherche empirique, et non pas figer dans l’abstrait la problématisation théorique des concepts ou des paradigmes.   Bibliographie Akrich M., Callon M., Latour B. (dir.) (2006), Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Paris, Presses des mines. Baciocchi S. (2012), « Les recensions des Formes du vivant de leur auteur (1912-1917) », Archives de sciences sociales des religions, 159, 17-27. Béra M. (2012), « Les comptes rendus de Durkheim à L’Année sociologique », Contextes, en ligne. Béra M., Marcel J.-C., Mosbah-Natanson S. (2019), « L’histoire de l’Année sociologique, de l’ère des pionniers à la normalisation », L’Année sociologique, 69, 11-19. Bert J.-F., Lamy J. (2021), Voir les savoirs. Paris : Anamosa. Besnard P. (1979), « La formation de l’équipe de l’Année sociologique », Revue française de sociologie, 20, 7-31. Bilge S. (2009), « Théorisations féministes de l'intersectionnalité », Diogène, 225, 70-88. Bouchard J. (2016), « Intersectionnalité et interdisciplinarité : une connexion nécessaire pour comprendre et réaliser l’effectivité des droits humains », Droits Fondamentaux, 13, en ligne. Brunet L. (2011), « Introduction : Le travail de traduction », L’Année psychanalytique internationale, 7-9. Chauvin S., Jaunait A. (2015), « L’intersectionnalité contre l’intersection », Raisons politiques, 58, 55-74. Davis K. (2015), « L’intersectionnalité, un mot à la mode. Ce qui fait le succès d’une théorie féministe », traduction de F. Bouillot, Cahiers du Cedref, 20, en ligne. Déchaux J.-H. (2010), « La Revue française de sociologie et la recension critique », Journée d'étude "Publish ou Perish ! Les revues des sciences sociales, de la création à la publication : les enjeux académiques et scientifiques de la diffusion du savoir", Paris, Centre Maurice Halbwachs. Durand S., Baret C., Krohmer C. (2018), « La sociologie de la traduction comme grille de recherche-intervention : le cas d’un projet de prévention des risques psychosociaux dans un hôpital public », RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise, 30, 3-28. Duval J. (2022), « À propos de l’autonomie de la sociologie », Actes de la recherche en sciences sociales, 243-244, 74-85. Gallot F., Noûs C., Pochic S., Séhili D. (2020), « L’intersectionnalité au travail », Travail, genre et sociétés, 44, 25-30. Harper E., Kurtzman L. (2014), « Intersectionnalité : regards théoriques et usages en recherche et en intervention féministes », Nouvelles pratiques sociales, 26, 15-27. Heilbron J. 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Le Marché de la traduction en France à l’heure de la mondialisation. Paris, CNRS éditions. Sapiro G. (dir.) (2012), Traduire la littérature et les sciences humaines, 137-162. Schick S. (2017), « La traduction comme enjeu de pouvoir », Hypothèses, 20, 315-324. Waquet, F. (2015), L’ordre matériel du savoir, Paris, CNRS Editions. Waquet, F. (2022), Dans les coulisses de la science. Techniciens, petites mains et autres travailleurs invisibles, Paris, CNRS Editions.












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