RT17

Emprise et déprise physique

Congrès de l’Association Française de Sociologie – Lyon, du 4 au 7 juillet 2023

« Intersections, Circulations ».

Réseau thématique 17 : Gestion politique du corps et des populations

(Prochainement : Corps et sciences sociales)

 

APPEL A COMMUNICATION DU RT 17

Remise de propositions avant le 30 janvier 2023 sur le site de l’AFS https://afs-socio.fr/rt/rt17/

Emprise et déprise physique

 

Argumentaire  
  1. Noli me tangere : l’ « emprise », un nouvel intolérable ?
Le terme d’« emprise » a connu ces dernières années une inflation discursive et médiatique sans précédent, parce qu’il a permis de comprendre des mécanismes – pas seulement psychologiques – de domination et de prise de contrôle du champ d’expérience d’autrui : domination masculine, harcèlement moral ou sexuel, sidération prolongée d’individus précisément « sous emprise » et de contrôle des corps et des esprits dans l’espace domestique ou professionnel. Comprise comme un processus continu, l’emprise renvoie à la manipulation par les mots et à la réduction mentale et physique des échappatoires possibles pour les individus piégés (fuite, exit, dénonciation, plainte). Or elle semble faire de plus en plus l’objet d’un « intolérable » : certains travaux montrent que l’accentuation du procès d’individuation a pris la forme singulière à partir des années 1960 d’une extraordinaire poussée de délégitimation de l’emprise physique sur l’individu et d’une forte légitimation de toute réappropriation de soi comme corps. Tout se passe comme si la libido dominandi et le rapport à l’autorité et au pouvoir de celui qui se trouve en situation de dominant avaient connu une accélération de leur « civilisation » (Elias). Si bien que dans plusieurs domaines, l’emprise recule et laisse place plutôt à la « désemprise ». Dans le domaine du soin, par exemple, on observe de plus en plus un retrait de l’emprise physique, voire un refus du toucher. Les gynécologues, même en situation d’urgence, adoptent des précautions verbales avant de procéder à un toucher vaginal. Les échographes qui suivent des femmes enceintes agissent parfois en présence d’un tiers, afin d’acter du professionnalisme de leurs actes, et d’éviter l’accusation de violences obstétricales. Idem pour le toucher rectal avec la mise en place récente d’une procédure sophistiquée de consentement (entre les codes de déontologie médicale de 1979 et 1995). D’anciennes pratiques jusque-là bien tolérées, comme l’enveloppement des enfants autistes, pour les apaiser, ont été jugées archaïques et violentes, et ont été interdites en 2016, alors même que certains parents les trouvaient efficaces. Dans l’espace domestique et familial, on observe le même mouvement avec l’effacement progressif de la fessée et des sanctions physiques sur les enfants, ainsi que la répression des violences conjugales sexuelles et physiques. A l’école, on note aussi le retrait des sanctions physiques et la prévention, voire le soupçon, de l’emprise physique et sexuelle sur les enfants et les adolescents. Sans parler, pendant l’épidémie de Covid, de l’injonction à la « distanciation sociale », qui était en réalité essentiellement physique, et aux gestes « barrières ».   2.L’emprise « légitime » : touchers de soin, touchers bienveillants, touchers consentis A l’inverse, dans nombre d’activités le contact, le toucher, le rapprochement des enveloppes corporelles font l’objet d’une ferveur nouvelle, voire d’une véritable militance professionnelle, notamment autour du début et de la fin de vie : retour de l’allaitement, haptonomie entre le père et l’enfant à naître, peau-à-peau entre la mère et le nouveau-né ; importance accordée à la caresse en soins palliatifs et nouveaux soins de « superficie » accordés au mourants, lavés, parfumés, coiffés. Mais relèvent aussi de la même exigence civilisationnelle maintes thérapies alternatives récentes : kinésithérapie douce avec « toucher à distance » et sans imposition des mains, manipulations ostéopathiques « softs », massages comme pratique thérapeutique, de détente ou sexuelle... A rebours de la séparation sociale, le consentement au contact et l’accès au corps restent au cœur de nombreuses pratiques sociales incluant des tiers. Que l’on songe aux interventions consentis sur le corps, type massages, tatouages, piercings, injections diverses, ou implants capillaires. Tout un discours socialement et médiatiquement puissant insiste sur les bienfaits du corps manipulé, pour le bien-être, l’aide à la personne, le soin pour la détente et même pour une sexualité épanouie (massage prostatique, pratiques BDSM qui impliquent la contrainte et l’entravement du corps). Autour de la naissance et des nourrissons, Maï Le Dû a pu montrer par exemple que le toucher médical traditionnel des soignants sur le corps du nouveau-né, réputé aujourd’hui empreint d’une relative « brutalité » tendait à se voir disqualifié au profit d’une imposition douce de la main qu’elle a appelé le « toucher affectif ». L’haptonomie en serait un exemple. Autour des mourants, les soins palliatifs ont mis à l’honneur la caresse, mais aussi les soins doux du corps (laver, coiffer parfumer), autant de toucher non intrusifs, cantonnés à la superficie de l’enveloppe corporelle. Au sein du discours écologiste et de retour à la nature, on trouve une insistance sur les bienfaits du contact : contacts avec les animaux, avec la nature, les arbres, l’eau, avec les plantes (par exemple tinctoriales), et avec autrui dans une perspective de bienveillance, d’empathie et d’émotions partagées. L’emprise médicale sur le corps reste, elle, particulièrement présente, voire indispensable dans le traitement, la guérison, ou les opérations de transition de genre, de prélèvement de sperme, d’ovocytes, d’adjonction de prothèses, etc., que nous comprenons dans le cadre d’une lutte contre le destin biologique.   3.Pistes d’analyse et hypothèses provisoires Le thème proposé cette année à la réflexion des congressistes de l’AFS présente donc trois visées : cerner l’extension de ce mouvement de déprise et le dater ; identifier les emprises résiduelles ; enfin, et surtout examiner avec soin le renouvellement des formes de touchers (ou d’emprise) jugées socialement acceptables. Quel rapport social à son propre corps et à celui de l’autre – et à travers lui quel rapport social à soi et aux autres - traduit ce refus croissant d’être touché ? Inversement : comment comprendre le maintien de contacts corporels dans nombre d’activités, et surtout leur relance, leur promotion et leurs mutations dans le cas des soins et de l’aide à la personne ? Les travaux précédents du RT consacrés au déclassement de corps vulnérables, abimés, jugés « illégitimes » dans l’espace urbain, comme ceux relatifs au dégoût ressenti par les professionnels du sanitaire et du social nous avaient surtout permis de constater que se sont notamment intensifiés les sentiments d’intolérance et de refus du contact avec certains corps (vulnérables, dégoutants) et que se sont mis en place des dispositifs pour lutter contre cette évolution. Il s’agit donc ici de retravailler à nouveaux frais et dans d’autres domaines la question de l’acceptabilité sociale des contacts corporels et de l’exigence de séparation entre les corps, et au-delà, entre les individus. Une de nos hypothèses est que la mise à distance du corps dans certaines pratiques est liée d’une part à des inquiétudes sociales (méfiance nouvelle à l’égard des caresses prodiguées aux enfants, liées aux affaires de pédophilie, aux attitudes et aux gestes des hommes vis-à-vis des femmes ou des minorités sexuelles dans le contexte post Me too), sanitaires (prévention des gestes techniques d’intrusion physique, refus de la promiscuité en période de pandémie). Accentué par l’épidémie de Covid, le refus du toucher et de certains contacts s’est donc accru : limitation du serrage de mains, port de gants et de masques dans l’espace public, injonction à respecter des distances minimales avec les autres, à l’air libre ou dans les espaces clos ou encore injonction à prendre ses distances et à ne plus s’approcher des individus fragiles (personnages âgées, immunosupprimées, immunodéprimées), avec des effets de perturbations des rapports sociaux, de limitation de la communication non-verbale et de la sociabilité. Mais l’actuelle mise à distance du corps répond d’autre part à une logique plus politique de vigilance à toute « violence » faite aux corps (par exemple, le développement du bracelet électronique, pour limiter les humiliations et les violences internes à l’institution carcérale et combattre aussi sa surpopulation). Même en situation de « domination rapprochée » (Memmi), l’exit se développe, créant des espaces propices à la distanciation physique. C’est ainsi que nombre de domestiques, même parmi ceux au service de familles ultra-riches, ne dorment désormais plus sur place. La question que nous posons ici a un double objectif. Elle a une ambition politique : il s’agit de mettre au jour les mécanismes et les outils de l’évitement de l’emprise et, très concrètement, du contact physique. Elle a aussi une ambition épistémologique : Jusqu’à quel point la déprise est-elle synonyme d’individuation, de sortie de l’emprise, de la violence et de « liberté » retrouvée ? Assiste-t-on dans l’actuel gouvernement des conduites individuelles et collectives a une substitution de l’emprise physique par une autre forme, comme celle d’un « gouvernement par la parole », d’une « biopolitique déléguée », d’un consentement éclairé, d’un gouvernement par la psychologisation, par la persuasion, etc. ? La reconstitution de la mise à distance des corps ne devra donc pas empêcher les intervenants de mettre en valeur la sédimentation et donc la mixité aujourd’hui des modes de gouvernement des conduites. La sollicitation de la parole et du consentement n’empêche pas complètement le recours à des emprises physiques sous des formes renouvelées. On pense par exemple aux camisoles médicamenteuses dans un hôpital devenu pourtant plus sensible aux droits des usagers. Ce recours se fait-il alors en dernière instance, quand les autres modes de gouvernement des conduites ont échoué ? In fine, nous attendons des auteurs qu’ils étudient le retrait, la reconfiguration ou la légitimation « de la main » et de l’emprise physique sur leurs propres terrains d’enquête, en se focalisant de préférence sur les secteurs sanitaire et social, familial et scolaire. L’intérêt de ce questionnement est qu’il permettrait de réunir sur ce thème de l’emprise consentie et de la déprise à la fois des sociologues et des anthropologues du corps, de la santé, de la famille et de l’éducation, et des spécialistes des politiques publiques de protection des individus. Une attention aux micro-scansions historiques de ces phénomènes et à leur datation sera attendue. Ce n’est qu’au terme de cet itinéraire que des hypothèses pourront être avancées sur les causes possibles des mutations constatées. Nous serons, plus marginalement, intéressés par des travaux étudiant l’emprise et la déprise physique dans la fiction. Elle est en effet – en particulier dans les films et les séries - un lieu privilégié d’enregistrement de ces phénomènes : injonctions au soin et à la transformation corporelle (la série Nip/Tuck), au transhumanisme (série Ad Vitam de Thomas Cailley et Sébastien Mounier), à la fusion humain-machine avec érotisation du corps aux états-limites (Titane de Julia Ducournau, Crash de David Cronenberg), refus aussi de l’emprise masculine (The Handmaid’s Tale, Orange is the New Black, I May Destroy You, vagin denté du film Teeth de Mitchell Lichtenstein servant de mécanisme de défense physique), ou des formes d’empowerment féminin, comme dans Buffy contre les Vampires….   Envoi des propositions de communication   Les propositions de communication (3000 signes maximum, espaces compris, hors bibliographie) présenteront l’objet de la recherche, le questionnement et la problématique, le terrain, les catégories et la méthodologie utilisée pour le recueil des données (ou à défaut, les corpus systématiques de sources si ce travail n’est pas lié à un terrain) et quelques références bibliographiques. L’AFS a mis en place une procédure centralisée de soumission des propositions de communication sur le site. Les propositions de communication (3000 signes maximum) devront donc être envoyées jusqu’au 30 janvier 2023 sur le site de l’AFS (https://afs-socio.fr/rt/rt17/), en indiquant éventuellement le ou les axes au(x)quel(s) les propositions se rattachent. Les propositions comprendront les éléments suivants :
  • Nom, prénom du/des auteur-e-s
  • Fonction et institution de rattachement
  • Adresse mail
  • Titre de la communication
  • Proposition de communication (3000 signes maximum espaces compris, hors bibliographie)
Les propositions devront impérativement être déposées sur le site de l’AFS (https://afs-socio.fr/rt/rt17/) au plus tard jusqu’au 30 janvier 2023. Vous recevrez un accusé de réception dans les jours qui suivront. En cas de problème ou de question, merci de nous contacter aux adresses suivantes (dominique.memmi@cnrs.fr, gilles.raveneau@univ-lyon2.fr, emmanuel.taieb@sciencespo-lyon.fr) en indiquant en objet de votre message : AFS-RT17 congrès 2023. Les réponses seront transmises par courriel mi-mars et les interventions sélectionnées seront inscrites dans le programme que nous vous communiquerons mi-avril. Les propositions seront sélectionnées en fonction de leur qualité scientifique et de l’originalité du matériau empirique mobilisé. Un texte de présentation des communications acceptées (5 pages environ), devra ensuite être envoyé avant le 15 juin 2023 pour permettre aux discutant-e-s de préparer les sessions.   Pour le bureau du RT 17 : Dominique Memmi (CNRS - CSU), dominique.memmi@cnrs.fr Gilles Raveneau (Université de Lyon 2, EVS), gilles.raveneau@univ-lyon2.fr Emmanuel Taïeb (Sciences Po Lyon, Triangle), emmanuel.taieb@sciencespo-lyon.fr  












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