RT3

AAC RT3 Lille 2021 : Déviants, délinquants et changement social : entre conformisme et transformations sociales

Le 9ème congrès de l’Association Française de Sociologie s’intéresse au processus de changement. En sociologie, le « changement social » est, en effet, un concept central. Pour définir le changement social, les théoriciens classiques du changement (Comte, Marx, Durkheim, Weber, Simmel…) font une distinction entre l’évolution sociale et le changement social. L’évolution sociale serait l’ensemble des transformations que connaît une société pendant une longue période alors que le changement social serait l’ensemble des transformations d’une société observables et vérifiables sur une plus courte durée. Un changement social, c’est d’abord un phénomène collectif mais aussi un changement de structure qui doit bouleverser durablement l’organisation sociale ou l’univers mental, pas seulement d’un individu ou de quelques-uns mais bien d’une collectivité relativement importante. Le changement social affecte donc le cours de l’histoire d’une société comme cela se produit lors d’une révolution. Aujourd’hui, quelles que soient les orientations théoriques privilégiant des grilles d’explications du côté du système ou des acteurs, la plupart des sociologues qui pensent les transformations des sociétés tentent de chercher les facteurs endogènes et/ou exogènes déterminant le changement social. Certains insistent ainsi sur les facteurs structurels comme l’influence des techniques, de la démographie, de l’économie, d’autres sur les facteurs culturels comme les valeurs, les croyances et les idéologies tandis que des actionnalistes pensent que le conflit est au cœur du changement social. Dans tous les cas, le changement social, outre le fait qu’il se distingue de l’évolution sociale s’oppose à la reproduction sociale en tant que mécanisme de renouvellement sans modification profonde des rapports sociaux et au conformisme compris comme l’acceptation des modèles et des normes dominantes propres à une société ou à un groupe. Dans ce cadre, le réseau « Normes, déviances et réactions sociales » (RT3), souhaite penser le rapport des déviants et délinquants avec le changement social et le conformisme. Il s’agit d’interroger les dynamiques de conformité et de non-conformité dans la déviance et la délinquance à l’aune du changement social et/ou de la reproduction sociale :
  • à quelles conditions et de quelles manières des producteurs de désorganisation et de désordres s’inscrivent-ils dans des processus de contre-stigmatisation et de non-conformité facteurs de réorganisation, d’innovation, de transformation et de changement social ?
  • à contrario, pourquoi et comment des déviants et délinquants incarnent-ils des figures de résistance au changement ? Pour quelles raisons adoptent-ils des comportements conformistes au sein de leur milieu « non-conformiste » et se comportent-ils comme des réactionnaires producteurs de « conformisme déviant », de rapports de domination et participent-ils, paradoxalement, au maintien de l’ordre ?
Il s’agit également questionner le rapport au changement social des acteurs de la réaction ou de la contrainte sociale en charge de la régulation, voire de la répression des conduites et comportements déviants et délinquants :
  • quelles sont les représentations, raisons et conditions d’agir des acteurs de la régulation sociale contribuant à la transformation et au changement social facteur de progrès social ?
  • pourquoi et comment certaines pratiques et manières jusqu’au-boutistes et autoritaires de penser la régulation, voire la répression des déviants et délinquants contribuent-elles à la production de la violence, de la délinquance et de contre-logiques réactionnaires ?
Pour répondre à ces interrogations, les propositions peuvent se situer au croisement de plusieurs axes :

1er axe : Conformisme et changement social des déviants et délinquants

Ce premier axe a pour but de questionner, d’une part, la façon dont les individus et les groupes qualifiés « déviants » ou/et « délinquants » (ré)agissent face aux changements, et d’autre part, la manière dont leurs pratiques engendrent le changement. Selon les époques, un fait catégorisé comme déviant peut ne plus l’être et devenir banal, lambda et non problématique. L’évolution temporelle peut aussi, inversement, faire advenir comme illégal quelque chose qui ne l’était pas auparavant. Mais que faire de ces statuts déviants/non déviants en changement ? Comment les acteurs de la déviance s’inscrivent dans ces évolutions ? Comment affrontent-ils ces changements d’étiquettes et ceux de norme ? Ainsi, le rapport avec la norme est fluctuant et multiple. Les pratiques d’acteurs et des groupes déviants peuvent tendre vers la norme pour mieux dévier ou bien s’intégrer. Derrière une même pratique déviante, il peut y avoir une perspective de conformisme ou, au contraire, de maintien de la déviance. Entre la résistance et le conformisme, comment ils (ré)agissent face aux changements et aux transformations sociales ? Enfin, si les individus et les groupes sont étiquetés comme déviants/délinquants en raison de leurs comportements qui transgressent des normes acceptées par tel groupe social ou par telle institution, ils possèdent également une marge d’autonomie qui leur permet d’accepter et de refuser la définition de leur statut. Notamment, lorsque les déviants constituent un groupe organisé, la négociation peut conduire au retournement du stigmate et au changement de statut déviant. Comment les acteurs déviants et délinquants sont porteurs de dynamiques de changement ? Dans quelle mesure participent-ils à neutraliser et à changer le processus qui les assigne à une étiquette de déviant / Délinquant ?

2ème axe : Conformité, non-conformité et changement social des acteurs de la réaction sociale

Le deuxième axe propose un questionnement sous plusieurs angles, sur les acteurs de la réaction sociale dans leur rapport à la conformité et au changement. D’une part, il cherche à comprendre dans quelle mesure ces acteurs – ou entrepreneurs de morale – participent au changement dans la perception et la compréhension de la déviance. On peut penser ici par exemple, à la manière dont les travailleurs socio-sanitaires contribuent à modifier les perceptions et la prise en charge des populations toxicomanes, orientée vers une réduction des risques plutôt qu’une criminalisation. D’autre part, cet axe questionne comment ces acteurs peuvent eux-mêmes avoir des pratiques perçues comme déviantes au sein de leur propre champ d’intervention et dans quelle mesure celles-ci participent, ou non, au changement social. Pensons aux tribunaux sociaux, où des acteurs du milieu judiciaire, et plus spécifiquement des procureurs, collaborent en sortant de leur rôle traditionnel, avec des intervenants sociaux en vue d’adresser des réponses plus adaptées à certains problèmes sociaux. Ainsi, et de manière plus générale, il s’agit de comprendre comment les actions et les interactions d’acteurs du monde policier, judiciaire, pénal, carcéral, socio-sanitaire, etc avec les personnes déviantes, peuvent participer – ou non, au changement social. De quel changement ou transformation sociale s’agit-il ? Ces acteurs de la réaction sociale contribuent-ils à rendre tolérable certains comportements déviants ou au contraire tendent-ils à développer des attitudes de résistance au changement ? À quelles conditions deviennent-ils des porteurs du changement social ? Quels sont les éléments déclencheurs et les conditions favorables pour que ces changements s’institutionnalisent ? Comment sont-ils perçus par leurs pairs, leur institution ? Quelles sont les résistances auxquelles ils font face ?   Voici autant de questions qui peuvent être abordées dans cet axe. De même, ces réflexions peuvent être questionnées dans différents champs, que ce soit le travail social, la police, les pratiques pénales, les tribunaux sociaux, la criminalité économique etc.

3ème axe : Le changement des approches méthodologiques et les approches méthodologiques pour appréhender le changement et les réactions sociales.

Ce troisième axe vise à interroger les enjeux méthodologiques de la recherche sur la déviance et les changements éventuels qu’elle opère ou qui lui sont associés. Dans un premier temps, il s’agit d’étudier le changement des approches méthodologiques en sciences sociales. À cet égard, le contexte contemporain et récent offre aux chercheurs de nouveaux outils pour enquêter sur les déviances comme sur d’autres objets sociologiques. Nous pensons, par exemple, aux nouvelles approches d’enquête liées au numérique qui constitue à la fois un objet, un instrument et un terrain d’enquête, grâce notamment à la relative traçabilité des pratiques en son sein. Plusieurs questionnements ainsi se posent : Comment les traces laissées en ligne par les internautes offrent-elles l’occasion d’analyser les formes de déviance et les réactions sociales à celles-ci ? Comment se concrétisent les approches s’appuyant sur le recueil et l’analyse de données issues des mondes numériques (plateformes de réseautage, de média sharing, sites web, …) ? Comment les sociologues adaptent-ils leurs méthodes aux nouvelles opportunités fournies par le numérique et quelles sont les difficultés à les mettre en œuvre ? Quelles approches peuvent être proposées par les humanités numériques afin d’analyser les phénomènes déviants et la complexité des interactions entre les acteurs ? Par ailleurs, ce sont parfois des changements structurels qui viennent infléchir nos pratiques d’enquête : la crise sanitaire liée à la COVID19 étant un parfait exemple de ces changements. Comment adapter nos approches méthodologiques dans ce nouveau contexte ? Y a-t-il d’autres « changements structurels » qui influent sur les pratiques d’enquête ? Dans un deuxième temps, cet axe souhaite rassembler des communications portant sur la pertinence des approches méthodologiques pour appréhender les changements concernant le champ de la déviance et des réactions sociales. Dans la mesure où le changement ne peut s’appréhender que dans la durée, quelles approches méthodologiques s’avèrent les plus pertinentes pour interroger le changement social dans les mondes de la déviance et les réactions sociales qu’ils provoquent ? Entre approches quantitatives et approches qualitatives, démarches explicatives et démarches compréhensives, enquêtes synchroniques et enquêtes longitudinales, comment peut se reconfigurer l’effort méthodologique pour aborder les changements sous-tendus par le rapport à la norme et à la déviance ? Par exemple, l’approche comparative peut-elle se déployer non plus entre différents terrains d’étude mais entre différentes périodes ou moments d’une même réalité, d’un même terrain ? En outre, dans quelle mesure l’approche ethnographique est-elle en mesure d’apporter un éclairage qualitatif sur les dynamiques de changement et de continuité ? Comment peut-on mobiliser la méthode des récits de vie individualisés pour donner à penser des dynamiques de changement plus structurelles ? Enfin, cet axe n’exclut pas de proposer des communications qui interrogent les manières dont le chercheur s’adapte à son objet, à son terrain d’enquête et à ses enquêtés, quand ceux-ci relèvent de la déviance voire de l’illégalité. Il s’agit en particulier d’interroger les types de réflexivité à mettre en œuvre dans les enquêtes auprès des groupes déviants et des acteurs de la réaction sociale. Par exemple, quels enjeux déontologiques et éthiques soulèvent les recherches participatives ou celles fondées sur des techniques d’observation participante auprès de groupes déviants ou délinquants ? Quelle approche doit adopter le chercheur afin de s’engager dans son objet d’étude tout en gardant la distanciation nécessaire à une analyse critique de son objet ? Il est avéré que les chercheurs de terrain sont parfois amenés à reproduire des pratiques déviantes pour mener à bien leur travail. Ainsi, quelles questions éthiques cela impose-t-il ?   Références bibliographiques Barats C. (dir.) (2013), Manuel d’analyse du web, Paris, Armand Colin. Beaud S., Weber F. (2003), Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte. Becker, H. S. (1985). Outsiders : études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié. Becker H. (2002), Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris, La Découverte. Bernier, S., Bellot, C. et Sylvestre, M-E. (2011). La judiciarisation des personnes en situation d’itinérance à Québec : point de vue des acteurs socio-judiciaires et analyse du phénomène. Rapport de recherche, The Homeless Hub, Université de York. Brodeur, J.-P. (2003). Les visages de la police. Montréal : Presses de l’Université de Montréal. Boucher M. (dir.) (2015), Enquêter sur les déviances et la délinquance. Enjeux scientifiques, politiques et déontologiques, Paris, L’Harmattan. Boucher M. (2010), Turbulences. Comprendre les désordres urbains et leur régulation, Paris, éd. Téraèdre. Boudon, R. (1991). La place du désordre, Paris, éd. Puf/Quadrige. Bouillon F., Fresia M., Tallio V (dir.) (2005). Terrains sensibles. Expériences actuelles de l’anthropologie, CEA-EHESS, Paris. Boullier D. (2019), Sociologie du numérique, Paris, Armand Colin. Coser, L-A. (1982). Les fonctions du conflit social, Paris, éd. Puf. Dahrendorf, R. (1972), Classes et conflits de classes dans la société industrielle, Paris/La Haye, éd. Mouton. Fassin D., Bensa A. (dir.) (2008) Les politiques de l'enquête. Épreuves ethnographiques, Paris, La Découverte. Fernandez, F. (2010). Emprises. Drogues, errance, prison : figure d’une expérience totale. Paris : Larcier. Fortin, V. et Raffestin, I. (2017). Le Programme d’accompagnement justice – itinérance à la cour municipale de Montréal (PAJIC) : un tribunal spécialisé ancré dans le communautaire, Revue générale de droit, vol. 47, p. 177-208. Goffman E. (1975), Stigmate, les usages sociaux des handicaps, trad. fr., Paris, éd. de Minuit (1reéd.en anglais : 1963). Merton, R-K. (1997). Eléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, éd. Armand Colin. Moore, W. (1963). Social change, Englewood Cliffs, Prentice Hall. Nisbet, R. (1969). Social change and history, New-York, Oxford University Press. Ogien, A. (2012). Sociologie de la déviance. Paris : PUF. Oualhaci A. (2016), Se faire respecter, ethnographie des sports virils dans des quartiers populaires en France et aux Etats-Unis, Rennes, Presses universitaires de Rennes. Robert, P. (2005). La sociologie du crime, Paris, éd. La Découverte. Rocher, G. (1969). Introduction à la sociologie générale (tome III), Montréal, éd. HMH. Touraine, A. (1974). 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Les auteurs indiqueront dans leur proposition une adresse électronique sur laquelle ils peuvent être contactés. Les avis du comité de sélection leur seront transmis d’ici fin mars 2021 au plus tard.   Comité scientifique : Manuel Boucher, Giorgia Macilotti, Thibaut Besozzi, Mohamed Belqasmi, Laura Delcourt, Costa Delimitsos, Lucile Franz, Mathias Dambuyant, Isabelle Raffestin, Irem Nihan Balci.












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