RT5

AAC RT5 Lille 2021

Dans le cadre du thème général « Changer ? » du congrès 2021 de l’AFS, le bureau du RT5 souhaite susciter des propositions de communication selon quatre axes de réflexion, qui pourront devenir des sessions du futur congrès.

Axe 1 : revisiter le rôle des classes sociales dans le changement social

Au moins deux éléments de réflexion liés peuvent alimenter les propositions de communications relevant de ce premier axe. D’une part, le premier élément concerne l’articulation entre les évènements sociaux et les classes sociales. On ne compte plus les débats sur la « fin » puis le « retour » des classes sociales depuis plus de 20 ans (Chauvel, 2001). Ils s’inscrivent notamment dans le prolongement d’événements importants (Gilets jaunes, pandémie, Black Lives Matter, #metoo…) ayant amené à questionner la persistance de la structure sociale précédente, tantôt en ciblant des inégalités de classes, tantôt en s’attaquant à des rapports de domination autres que ceux seulement relatifs aux classes sociales. Dans quelle mesure les classes sont-elles encore au principe de mobilisations et de changements sociaux ? Plus largement, quelle place occupent-elles dans la dynamique de nos sociétés et dans les conflits sociaux qui peuvent, selon les cas, être imbriqués ou structurés autour d’autres rapports de domination (de race, de genre, de génération…) ? Nous proposons alors d’interroger la manière dont des mobilisations et autres évènements majeurs peuvent modifier les perceptions de l’ordre social et participer à la construction des groupes sociaux. Le second élément s’attache davantage à l’évolution de la morphologie sociale dans les processus historiques. Il s’agit d’interroger de manière empirique le thème classique, initié par la philosophie de l’histoire de Karl Marx, de la polarisation sociale. Ici, les propositions chercheront à décrire la modification de la structure des classes, des rapports de classes, ou même des fragmentations de classes permettant de comprendre des changements sociaux d’envergure. Sous cet angle, de nombreuses questions peuvent être posées, notamment en direction des classes sociales, ou fractions de classes, relativement moins étudiées. Par exemple, une approche empirique permettant de mieux situer les catégories intermédiaires dans ces processus historiques serait du plus grand intérêt. On pourrait aussi questionner la façon dont les classes populaires sont ou non amenées à se rapprocher des statuts de petits indépendants, tout en étant davantage précarisées (Abdelnour et Lambert 2014 ; Gros, 2017). Du côté des classes dominantes, il serait possible d’étudier de quelle manière la finance vient remodeler les bourgeoisies et même la structure sociale en général (Boltanski, Esquerre, 2017 ; Herlin-Giret, 2019). De manière transversale, ce sous-axe est une invitation à réfléchir à divers angles d’approches et d’analyses empiriques, tant qualitatives que quantitatives, de la dynamique historique des classes sociales et des rapprochements au sein de l’espace social. Les rapports de classes dans ce processus peuvent être analysés non seulement sous l’angle de la lutte mais aussi sous celui des alliances transclasses (Beaumont et al., 2018), des manifestations du mépris de classes... et de leurs effets sur la structure même des rapports entre les groupes sociaux, que ce soit à partir de leurs conditions matérielles d’existence ou de leurs visions du monde (Caveng et al, 2018).

Axe 2 : questionner les catégories pour penser le changement relatif aux classes sociales

Aujourd’hui, certaines recherches postulent les classes sociales sans toujours les redémontrer, s’inscrivant alors dans des formes quelque peu mécaniques de la pensée sociologique. Des usages routinisés des théories de la reproduction sociale (Bourdieu, Champagne, Thélot…) peuvent conduire à une  conceptualisation des classes sociales comme réalité immuable. Partant, cet axe invite à discuter les concepts, les outils et les méthodes d’analyse des inégalités et de la structure sociales pour les confronter à l’analyse du changement. A partir de travaux empiriques, épistémologiques ou d’histoire des sciences sociales, il s’agirait d’une part d’interroger la portée heuristique des concepts classiques (classes sociales, dispositions, habitus, domination, espace social, reproduction sociale…) mais aussi plus récents (intersectionnalité, enrichissement, post-colonialité et racisation des rapports sociaux, rapports sociaux de sexe…) pour penser simultanément la permanence et les changements de la structure sociale. Les contributeurs pourront, d’autre part, discuter de l’évolution et de la rénovation des catégories et outils statistiques, pour penser la structuration sociale.  Sont-ils à même de rendre compte du changement social induit par les innovations techniques, sociales et économiques contemporaines ? Permettent-ils de juger de la pertinence de la notion de classes sociales afin de saisir ces transformations ? On peut également s’interroger sur l’apport des méthodes ethnographiques ou de l’articulation qualitatif/quantitatif pour analyser plus finement les évolutions à l’œuvre. De manière plus générale, les communications invitant à la discussion des catégories utilisées par la sociologie afin de rendre compte de la structure sociale et de ses évolutions sont vivement encouragées. Si les usages contemporains de la notion de classes sociales se sont largement émancipés d’une philosophie téléologique de l’histoire et d’une vision ahistorique des sociétés, ceux-ci sont-ils aptes à saisir les dynamiques du changement social ? Le cas échéant, quelle matrice théorique alternative ces recherches emploient-elles pour rendre compte des faits sociaux que la notion de classes sociales aurait difficulté à saisir ?

Axe 3 : Classes sociales et changement individuel

La question du changement social se décline aussi à l'échelle individuelle. Comment les individus contribuent-ils aux changements sociaux et comment ces derniers les affectent-ils ? Cet axe incite à articuler deux états du changement social : sous sa forme à la fois objectivée et intériorisée. D'une part, les communications pourront étudier l'incidence biographique des transformations sociales structurelles, en lien avec les appartenances de classe : toutes les fractions de classe ne disposent en effet pas des mêmes ressources pour s'adapter ou contrer ces changements. On peut penser, par exemple, à la précarisation du marché du travail, qui favorise certaines fractions de classe qui y trouvent leur compte, en trouvant à y actualiser des dispositions préalablement incorporées (Bernard, 2017 ; Caveng, 2015), quand d'autres fractions se voient durablement déstabilisées (Beaud et Pialoux, 1999). De même, il sera possible de se demander comment les individus font face à des événements collectifs ou des changements de grande ampleur : le changement climatique, par exemple, appelle à de nouvelles pratiques écocitoyennes qui s'avèrent, pour partie, être des pratiques de classe (Grossetête, 2019 ; Ginsburger, 2020). D'autre part, le changement social pourra s'analyser de manière diachronique, à l'échelle des trajectoires individuelles. L'analyse de la mobilité sociale constitue un premier objet en la matière. Un second objet, moins classique, pourra aussi alimenter cette réflexion : l'incidence d'événements, de crises et de ruptures biographiques (Bessin et al., 2010). Les mobilités sociales soulèvent la question des changements biographiques qu'elles induisent et qui les ont rendus possibles. Les communications pourront questionner les transformations dispositionnelles intervenant à la suite d'une mobilité sociale : par exemple, les transclasses recomposant un habitus « clivé » ou obligés de « se changer » pour concilier des registres de socialisation distincts (Pasquali, 2014), les déclassés cherchant à amortir une trajectoire descendante (Sinthon, 2014). Elles pourront aussi interroger les cas de conversion d'un capital scolaire, physique ou symbolique en vue d'accéder aux élites managériales (Abraham, 2007), sportives (Schotté, 2012), économiques et intellectuelles (Darmon, 2013), ou encore d'assurer ou stabiliser des formes plus modestes de mobilité (Hugrée, 2010 ; Bernard, 2017 ; Crasset, 2017). Les communications pourront également étudier comment un événement biographique (licenciement, longue maladie, rupture familiale) est susceptible d'affecter la trajectoire individuelle, entraînant des bifurcations (Denave, 2015) ou des ruptures biographiques, voire une recomposition des dispositions de l'individu (Darmon, 2011 ; Lahire, 1998). Néanmoins, cet intérêt porté au changement social à l'échelle individuelle ne doit pas faire oublier la pertinence de la prise en compte du phénomène de reproduction sociale dans la société contemporaine. Les communications pourront montrer, enfin, comment la reproduction sociale est perpétuée par des pratiques individuelles (auto-exclusion par exemple) ou bien comment certains individus font l'expérience de « remise à leur place » (ascension sociale interrompue par exemple).

Axe 4 : Classes sociales et injonctions contemporaines au changement

Un quatrième axe de réflexion pourra porter sur les injonctions contemporaines au changement, et aux effets de ces injonctions sur les rapports de classes et les classes sociales elles-mêmes. Il s’agira en premier lieu d’explorer les invitations au changement qui sont formulées aujourd’hui par les classes supérieures (s’imposant éventuellement aussi à leurs propres membres). Les communications pourront porter sur les discours et les pratiques à travers lesquels les individus sont sommés de se montrer « innovants », « adaptables », « flexibles » ou « mobiles », dans la sphère professionnelle (où on exige d’eux par exemple de s’adapter aux changements technologiques, d’accepter les restructurations d’entreprise, de consentir à la mobilité géographique, etc.), comme en dehors (où on leur demande d’acquiescer aux « réformes » économiques, d’adhérer à la « révolution » numérique, de s’adapter aux « mutations » de la société, etc.). En retour, il s’agira également de s’interroger sur les injonctions au changement qui sont adressées aux classes supérieures par les autres classes. Les exigences de changement sont par exemple exprimées dans le domaine de l’environnement, de la santé, de la protection sociale ou des discriminations. Les formes que prennent ces revendications (actions de rue, batailles juridiques, mobilisations sur les réseaux sociaux, etc.) méritent d’être analysées. L’objectif sera d’étudier les formes que prennent ces injonctions et/ou les façons dont les individus et les groupes se les approprient, s’y soumettent, les contournent ou les contestent, tout comme leurs effets sur les relations entre classes et fractions de classe.
Les propositions de communication (une page environ) sont à déposer avant le 30 janvier 2021 sur le site de l’AFS : https://afs-socio.fr/
 

Bibliographie

ABDELNOUR Sarah et LAMBERT Anne. « « L'entreprise de soi », un nouveau mode de gestion politique des classes populaires ? Analyse croisée de l'accession à la propriété et de l'auto-emploi (1977-2012) », Genèses, vol. 95, no. 2, 2014, p. 27-48. ABRAHAM, Yves-Marie. « Du souci scolaire au sérieux managérial, ou comment devenir un «HEC» ». Revue française de sociologie, 2007, vol. 48, no 1, p. 37-66. BERNARD, Lise, La précarité en col blanc: Une enquête sur les agents immobiliers. Presses universitaires de France, 2017 BEAUD, Stéphane et PIALOUX, Michel. Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard. La découverte, 1999. BEAUMONT Amélie, CHALLIER Raphaël et LEJEUNE Guillaume, « En bas à droite. Travail, visions du monde et prises de position politiques dans le quart en bas à droite de l’espace social », Politix, 2018/2 (n° 122), p. 9-31. BESSIN, Marc, BIDART, Claire, et GROSSETTI, Michel. Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, Editions la Découverte, coll.« Recherches », 2010 BOLTANSKI Luc, ESQUERRE Arnaud, Enrichissement. Une critique de la marchandise, Paris, Gallimard, 2017. CAVENG, Rémy, « Marché du travail et dispositions à la précarité une analyse par les transactions et les trajectoires », in QUIJOUX, Maxime (dir.), Bourdieu et le travail, p. 267-282, 2015 CAVENG Rémy, et al. « Des morales de classe ? Dispositions éthiques et positions sociales dans la France contemporaine », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 224, no. 4, 2018, p. 76-101. CHAUVEL Louis, « Le retour des classes sociales ? », Revue de l’OFCE, 79, octobre, p. 315-359, 2001. CRASSET, Olivier. La santé des artisans. De l'acharnement au travail au souci de soi. Presses universitaires de Rennes, 2017. DARMON, Muriel, « Sociologie de la conversion. Socialisation et transformations individuelles » in BURTON-JEANGROS Claudine & MAEDER Christop (dir.), Identité et transformation des modes de vie, Seismo, pp.64-84, 2011 DARMON, Muriel. Classes préparatoires: la fabrique d'une jeunesse dominante. La Découverte, 2013. DENAVE, Sophie. Reconstruire sa vie professionnelle. Sociologie des bifurcations biographiques. Presses Universitaires de France, 2015. GINSBURGER, Maël, « De la norme à la pratique écocitoyenne », Revue française de sociologie, 2020, vol. 61, n°1, p. 43-78. GROS Julien, « Une injonction à l’entrepreneuriat. La clôture par le haut d’un groupe professionnel du bas du monde du travail : les bûcherons indépendants », Revue française de sociologie, 2017/4 (Vol. 58), p. 577-609. GROSSETÊTE, Matthieu, « Quand la distinction se met au vert. », Revue Francaise de Socio-Economie, 2019, n°1, p. 85-105. HERLIN-GIRET- Camille, Rester riche. Enquête sur les gestionnaires de fortune et leurs clients, Lormont, Le Bord de l'eau, coll. « Documents », 2019. HUGRÉE, Cédric. « Le CAPES ou rien ? ». Actes de la recherche en sciences sociales, 2010, no 3, p. 72-85. LAHIRE, Bernard.  L’homme pluriel. Les ressorts de l’action. Paris, Nathan, 1998. PASQUALI, Paul. Passer les frontières sociales: comment les «filières d’élite» entrouvrent leurs portes. Fayard, 2014. SCHOTTÉ, Manuel,  La construction du "talent". Sociologie de la domination des coureurs marocains, Paris, Raisons d'agir, coll. « Cours & travaux », 2012 SINTHON, Rémi. Reconversions extrascolaires du capital culturel : une révision de la mobilité sociale depuis ses marges, 2014, Thèse de doctorat. Paris, EHESS.












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