RT18

AAC RT18 Lille 2021

Dans le champ des relations professionnelles comme dans le reste de la société, la crise sanitaire liée à la pandémie du coronavirus a brutalement posé la question du changement. En tant qu’événement inattendu, elle semble avoir produit une coupure entre un avant et un après, déplaçant les limites du possible et du pensable. Elle a libéré une multitude de discours relatifs à la redéfinition et à la revalorisation des activités essentielles, à la moralisation ou à la démocratisation des entreprises, ou encore à l’élaboration d’un modèle productif davantage protecteur de la nature et du vivant. Elle a provoqué faillites et bénéfices records selon les secteurs économiques, bouleversant les rapports de forces entre les acteurs du capitalisme de plateforme et les industries traditionnelles, mais aussi entre employeurs et salarié·es à la faveur d’un assouplissement accru du droit du travail. Les suppressions d’emplois, la socialisation massive des revenus et la réorganisation des activités sous contrainte sanitaire transforment les sociabilités professionnelles et le rapport au travail, autant que les stratégies d’action syndicale. À y regarder de plus près, nombre de ces évolutions étaient en réalité en gestation, que l’on songe aux réflexions sur la gouvernance des entreprises ou sur le « verdissement » du capitalisme, à la digitalisation de l’économie et des relations de travail, à la flexibilisation du droit du travail ou à l’attention syndicale aux problématiques d’environnement. La crise sanitaire, avec ses répliques sur le terrain économique et social, semble ainsi surtout donner l’occasion d’une accélération sans précédent de ces évolutions. Notre appel à communication entend ainsi contribuer à l’analyse des échelles et des temporalités du changement dans les relations professionnelles et dans le syndicalisme, en replaçant les bouleversements liés à l’actualité sociale et sanitaire dans des évolutions de plus longue durée.

Axe 1 – Pratiques syndicales et usages du droit au regard des transformations récentes du Code du travail

Le changement se lit tout d’abord à l’aune des nombreuses évolutions législatives intervenues ces dernières années dans le droit du travail, avec notamment la loi du 8 août 2016 et les ordonnances du 22 septembre 2017. Ces réformes ont concerné des domaines très variés, affectant les règles des négociations collectives, le recours aux prud’hommes, les licenciements collectifs, etc. La principale tendance de ces nouvelles lois est de faire des accords d’entreprise l’outil privilégié de la régulation des relations de travail comme en témoigne la nouvelle organisation du code du Travail dans lequel les dispositions prévues par la loi ne disparaissent pas, mais deviennent supplétives, c’est-à-dire ne s’appliquent qu’en l’absence d’un accord d’entreprise. En parallèle, les différentes instances de représentation du personnel (délégué·es du personnel, comité d’hygiène et sécurité et des conditions de travail, comité d’entreprise) ont disparu au profit d’une instance unique, le comité social et économique (CSE). Comment les acteur·rices – représentant·es de direction, du personnel, délégué·es syndicaux, salarié·es – se saisissent de ces nouveaux dispositifs ? En quoi la multiplication des nouveaux textes législatifs encourage-t-elle certaines formes de judiciarisation – ou au moins de juridicisation – des relations professionnelles ? Assiste-t-on à des pratiques d’« endogénéisation du droit » très diversifiées ou, au contraire, similaires selon les entreprises ? Dans quelle mesure les activités syndicales sont-elles affectées par la disparition des anciennes instances de représentation du personnel et l’arrivée des CSE ? En partenariat avec le RT 13 « sociologie du droit », cette session cherche à étudier les usages du droit des syndicats, des employeurs et des salariés au regard des récentes évolutions du Code du travail.

Axe 2 – L’action collective des travailleur·ses atypiques

La multiplication des contrats courts ou à temps partiel et des formes d’emploi discontinu – du travail « atypique » au regard de la norme de l’emploi stable et continu – constitue depuis longtemps un défi lancé aux capacités de représentation collective du syndicalisme. Le développement plus récent de formes d’activité indépendantes comme l’auto-entrepreneuriat accentue la fragmentation des intérêts et des expériences professionnelles, particulièrement au sein des jeunes générations, parmi les femmes et les personnes racisées où se concentrent ces diverses formes de travail précaire. Quelles stratégies les organisations syndicales développent-elles face à ces évolutions ? Assiste-t-on à l’émergence d’acteurs, collectifs ou associations, distincts des syndicats traditionnels ? Dans quelle mesure ces transformations des formes de mise au travail se répercutent-elles au sein des organisations militantes elles-mêmes ? En quoi les socialisations précaires des plus jeunes modifient-elles, notamment dans les syndicats ou les associations, le rapport au travail militant ? Comment peuvent s'organiser collectivement les travailleur·ses dans le secteur associatif ou les syndicats, « contre » leur employeur « militant » ? Comment se réorganise, dans des formes de concurrence ou de complémentarité, le cumul des activités syndicales ou associatives, militantes et bénévoles ? En partenariat avec le RT35 « sociologie des mondes associatifs », cette session entend explorer les formes diverses – syndicales, associatives ou autres – par lesquelles s’expriment les intérêts des travailleur·ses « atypiques ».

Axe 3 – Vers une numérisation du travail et des relations professionnelles

L’évolution est également technologique avec la poursuite de que certain.es nomment la « numérisation » du travail. Dans ce sens, les évolutions du droit du travail ont été justifiées par la volonté de « construire les bases d’un nouveau modèle social à l’ère du numérique » (titre III de la Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels). Le « droit à la déconnexion » ou le télétravail constituent ainsi par exemple des « nouveaux » objets de la négociation collective, d’autant plus dans le contexte de la pandémie mondiale qui a impliqué un passage massif en télétravail, sans que l’on en mesure bien les effets sur les travailleur·ses et sur les collectifs de travail. Il convient alors d’interroger autant ce que cette « numérisation » du travail fait aux travailleur·ses que la manière dont elle transforme les objets de régulations, les manières de dialoguer et de consulter, poussant les organisations collectives à davantage avoir recours au numérique : usage des réseaux sociaux, développement de plateformes d’assistance numérique, lancement de consultations électroniques, etc. Ces usages peuvent conduire à transformer et à renouveler les liens qu’entretiennent élu·es, adhérent·es, militant·es et travailleur·ses. En partenariat avec le RT25, « Travail, organisations, emploi », cette session propose d’étudier la régulation des changements technologiques et leur utilisation par les organisations collectives, en prenant en compte ce que ces transformations font au travail, aux travailleur·ses et aux régulations du travail. Ces questionnements sont particulièrement féconds pour étudier les rapports de genres et de rapports sociaux de sexe. Quel est l’impact du télétravail pour les femmes ayant en charge aussi le travail domestique ? Comment cela s’exprime ? Quelles sont leurs revendications spécifiques ?

Axe 4 – Quelles négociations et conflits en contexte de réorganisations ? 

Avec la déstabilisation des mondes économiques, il y a fort à craindre d’une montée des faillites, des plans sociaux et une amplification des processus de restructuration dans les entreprises. Les diverses mises en cause de la pérennité des emplois prennent aujourd’hui de nombreuses formes : suppressions de postes, licenciements, faillites, contrats courts ou très spécifiques comme les CDI de chantier…  Elles se sont accentuées dans le contexte des nouvelles difficultés économiques, issues de la crise sanitaire liée au Covid-19, avec entre autres la multiplication des annonces de suppressions de postes, de licenciements et de fermetures d’usine. Parfois, les menaces sur l’emploi s’ancrent dans des mutations économiques de plus long terme du fait des transformations sectorielles, technologiques ou des marchés : les relations de travail peuvent être alors durablement marquées par la crainte des restructurations et du chômage. Ces diverses pressions des directions d’entreprises sur l’emploi salarié affectent ainsi les conditions de travail et les relations sociales au sein des entreprises. L’évolution législative a multiplié les incitations à négocier autour de ces enjeux avec les plans de sauvegarde des emplois (PSE) et les divers accords de compétitivité dont le dernier en date est l’accord de performance collective (APC), instauré par les ordonnances du 22 septembre 2017. Ces dispositifs donnent l’opportunité aux employeur·ses, de négocier avec les syndicats des modifications substantielles des conditions de travail des salari·ées au nom de la préservation de l’emploi et de la compétitivité des entreprises. En quoi la « cause de l’emploi » affecte-elle les relations professionnelles ? Dans quelle mesure les employeur·ses et les syndicalistes utilisent les nouveaux dispositifs conventionnels pour transformer les conditions de travail au nom de la préservation de l’emploi ? Quels conflits – larvés ou ouverts, individuels ou collectifs, pris en charge par les syndicats ou non – émergent dans ce contexte ? Comment évoluent, plus généralement, les répertoires de négociations et de conflits à l’épreuve des changements organisationnels auxquels sont confrontés les salariés et leurs représentants syndicaux ?

Axe 5 – Relations professionnelles et syndicalisme à l’aune de la crise sanitaire

Enfin, face à des changements aussi brutaux et rapides que ceux induits par la pandémie mondiale sur le monde du travail, comment sont pensées collectivement les évolutions liées à la crise sanitaire ? La crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 a représenté une mise à l’épreuve des capacités collectives de régulation dans les entreprises privées comme dans les organisations publiques. Dans les EHPAD comme dans les cliniques et les hôpitaux, elle a frontalement soulevé la question des conditions de travail et celle des moyens, des salaires et des emplois. En provoquant un éclatement des cadres temporels du travail (gardes prolongées, etc.), une exposition accrue aux risques professionnels et une réorganisation des activités (et des services (priorisation des activités par exemple), elle a impacté les professionnels de santé dans leur travail, mais aussi dans le rapport travail/hors travail. Elle a pu donner lieu à l’expression d’une conflictualité aux manifestations singulières. Elle a pu aussi faire l’objet d’intenses discussions et de négociations avec les représentants du personnel et les organisations syndicales. Ailleurs, les plans de continuité d’activité puis de reprise d’activité ont pu faire l’objet d’une importante mise en discussion avec les représentants des salariés, voire de conflits, ou au contraire procéder d’une démarche unilatérale sans délibération ni débat. En partenariat avec le RT19 de l’AFS (Santé, médecine, maladie et handicap), nous envisageons de rassembler dans une session conjointe un ensemble d’interventions qui reviendraient sur ce moment exceptionnel, en prenant appui sur un matériau empirique récolté précisément pour analyser cette crise ou bien dans le cadre d’enquêtes en cours poursuivant d’autres objectifs mais qui ont pu aider à percevoir ce qui s’est joué dans ce moment.
Les propositions de communication préciseront la démarche de recherche adoptée. L’analyse de cas étrangers ou la comparaison internationale sont les bienvenues. Elles sont à déposer avant le 30 janvier 2021 sur le site de l’AFS (voir en bas de cette page). Elles doivent impérativement indiquer le ou les axes dans lesquelles elles peuvent s’insérer. Afin d’organiser la discussion scientifique, les auteur·es des propositions acceptées devront envoyer une version détaillée de leur contribution (30 000 à 50 000 signes tout inclus) avant le 1er juin.












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