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Intersections et circulations en sociologie des groupes professionnels

Intersections et circulations en sociologie des groupes professionnels APPEL A COMMUNICATIONS DU RT1 « Savoirs, travail et professions » Congrès AFS  Lyon  2023 Dans le cadre du 10ème congrès de l’AFS « Intersections - Circulations », le RT1 propose d’examiner comment les dynamiques des groupes professionnels peuvent être saisies à l'aune des concurrences et des tensions qui peuvent surgir à leurs frontières (1), des remaniements de ces frontières dont sont porteuses les injonctions à la polyvalence (2) et de la circulation des savoirs à travers ces frontières (3). Il invite également à interroger la circulation des professionnel.les à travers leurs parcours de carrière (4), à analyser dans une perspective intersectionnelle les recompositions de la morphologie des groupes professionnels (5) et les transformations de la régulation liées à la dimension internationale des activités et des organisations professionnelles (6). La session jointe avec le RT 25 revient plus spécifiquement sur les accords et modalités de coopération entre groupes professionnels limitrophes. 1) Les tensions aux frontières entre groupes professionnels. Cet axe propose de s’intéresser aux conflits et aux tensions qui contribuent à redéfinir les frontières des groupes professionnels. Il s’agit d’étudier comment le partage d’une frontière ou d’un objet de travail peut se traduire par la remise en cause des savoirs et des pratiques d’un groupe par un autre, comme ce fut le cas pour les herboristes contraints par les pharmaciens de cesser leur activité (Gadea & Grelon, 2009). Les communications s’intégrant dans cet axe sont invitées à questionner la façon dont les frontières bougent à la fois à l’intérieur du groupe professionnel (entre segments) et à l’extérieur, entre groupes professionnels. À l’intérieur du groupe professionnel, il en va ainsi lorsqu’un segment entre en contradiction avec l’orthodoxie propre au groupe professionnel d’origine. À l’extérieur du groupe professionnel, la juridiction (Abbott, 1988) peut être menacée par des volontés d’empiétement et d’envahissement. Ces luttes aux frontières peuvent apparaître dans des configurations différentes : tensions entre des logiques gestionnaire et professionnelle par exemple ou bien (tentative de) structuration de nouveaux groupes professionnels, remise en question des savoirs et de la légitimité professionnelle. Les situations de travail en commun ne sont pas anodines puisque les groupes professionnels qui ne parviendraient pas à défendre leur juridiction peuvent se trouver condamnés à disparaître. On pourra alors se demander quelles sont les stratégies utilisées dans ces luttes et les outils mobilisés par les groupes professionnels et leurs segments : peuvent-ils s’appuyer sur les transformations du marché du travail ? En faisant appel à quels savoirs ? Quelles rhétoriques sont mobilisées, et comment se modifient-elles en fonction des arènes dans lesquelles elles sont utilisées ? Quel est le rôle des pouvoirs publics dans ces luttes ? 2) La « polyvalence » : source d’autonomie ou bouleversement des frontières professionnelles  ? Souvent valorisée, la polyvalence permettrait l’enrichissement des tâches, source de développement professionnel. Elle sert alors d’indicateur de la qualité de celle ou de celui qui peut exercer plusieurs activités différentes, et de son engagement personnel et professionnel dans le travail. Partie intégrante du professionnalisme ou de la professionnalité, elle est même parfois revendiquée par celles et ceux qui réclament des délégations de tâches (ou d’actes, ou de prérogatives), voyant dans l’élargissement de leur territoire d’intervention le signe d’un gain en reconnaissance. On retrouve alors la traditionnelle ambivalence de la question du sale boulot (Hughes, 1996) : sa délégation peut-elle représenter une source de valorisation ? Mais la polyvalence peut également ne recouvrir qu’une accumulation de tâches élémentaires, peu valorisées et valorisantes. L’injonction à la polyvalence conduit alors, chez le même employeur, à faire plusieurs métiers et à occuper des postes différents. Ou encore ce sont les conditions d’emploi qui imposent une pluriactivité. Ces attentes, exigences et prescriptions brouillent les frontières entre groupes professionnels, entre métiers, entre spécialités, et font voler en éclats les repères professionnels. Quelles en sont alors les conséquences sur les conditions de travail, sur la reconnaissance des compétences et des mandats ? Et dans ce cadre, comment sont reconnus les savoirs spécifiques, fondés sur des diplômes et/ou de l’expérience professionnelle accumulée ? Les propositions de cet axe gagneront à mobiliser des approches intersectionnelles et/ou socio-historiques. 3) Circulation des savoirs professionnels à l’intersection de différents mondes sociaux Ce troisième axe met l’accent sur la question des savoirs professionnels, et braque l’attention sur les circulations de ces savoirs entre groupes professionnels ou en dehors d’eux. Comment peuvent-ils être appropriés ? Par qui et avec quels enjeux ? Andrew Abbott s’est intéressé à la façon dont la création d’un corpus de savoirs spécifiques peut permettre à un groupe professionnel de protéger sa juridiction (Abbott 1988). Cependant, les savoirs professionnels ne constituent pas des corpus étanches, ils circulent entre différents auditoires, entre différents groupes professionnels et également entre les groupes professionnels et leurs publics. Lors de ces circulations, ils peuvent être partagés, enrichis, faire l’objet de validation ou d’invalidation, ou entrer en confrontation, être réappropriés. Les communications proposées dans cet axe pourront s’intéresser à ces circulations en les interrogeant notamment sous l’angle de la valeur sociale qui peut être accordée aux différents types de savoir (Freidson 2001). On pourra ainsi se demander quels types de savoirs circulent et entre quels auditoires ils circulent.  Quelles sont les hybridations possibles et quels enjeux recouvrent-elles pour les groupes professionnels ? On pense notamment aux rapports entre savoirs produits par les publics (qu’il s’agisse de savoirs dits “profanes” ou “experts”) et savoirs professionnels, comme dans le cas des patients experts dans le monde de la santé ou encore de la participation des usagers dans le monde de l’urbanisme. À l’intersection entre monde académique et politiques publiques, les communications pourront également interroger la manière dont les savoirs produits par les professionnel.les de la science peuvent être repris, instrumentalisés, manipulés, déformés, édulcorés, dans le cadre d’usages institutionnalisés de programmes des politiques publiques. On peut penser par exemple aux discours véhiculés par les dispositifs de lutte pour « l’égalité filles/garçons » au sein de l’Éducation nationale ; à la refonte des programmes de formation dans un objectif d’« universitarisation » de formations professionnelles par l’introduction de la « recherche » ; ou encore aux programmes d’éducation à la « transition écologique » mis en œuvre par des techniciens des sphères ministérielles. On peut également penser, notamment dans le cas des savoirs en sciences humaines et sociales, à la façon dont le savoir scientifique peut être considéré comme un savoir coupable (Hughes, 1992), coupable de ne pas satisfaire les attentes et intérêts des politiques publiques inspirées par l’idéologie néo-libérale. 4) Les carrières à l’intersection des circulations individuelles et des régulations institutionnelles La littérature sur les carrières professionnelles offre au moins deux prises à l’étude de la circulation des travailleuse.eurs : d’une part, sous l’angle des parcours individuels, c’est-à-dire à travers l’analyse des choix, contraintes, influences et déterminismes ayant orienté les parcours d’emploi, de travail et de carrière (horizontale, ascendante et descendante [Arborio, 2013]) des individus, d’autre part, sous celui de l’offre institutionnelle d’itinéraires, c’est-à-dire grâce à l’étude des modes de gestion des ressources humaines, réglementations, textes (ou vides) juridiques qui informent sur ce que les organisations offrent/imposent à leurs personnels (salariés, bénévoles ou libéraux). Revenant aux fondements interactionnistes de la notion de carrière (Darmon, 2008), il s’agira d’examiner comment articuler une dimension individuelle, propre au point de vue subjectif et réflexif des individus en interaction, et une dimension structurelle, recouvrant des processus organisationnels, macro sociaux et/ou politiques. Cette question suscite à la fois des réflexions théoriques et méthodologiques : quelles méthodes de recherche permettent de saisir au mieux l’interaction entre les différentes dimensions ? Est-il possible et nécessaire d’articuler les méthodes qualitatives, quantitatives, et l’étude des archives avec un regard sociohistorique ? Si une approche compréhensive par entretiens donne accès aux logiques suivies, aux explications des bifurcations ou tournants qui ont façonné le cours de la carrière, quel serait l’apport des méthodes quantitatives (telle celle d’Abbott [1995], dite Optimal matching analysis) ? Faut-il encore se méfier de « l’illusion biographique » (Bourdieu, 1986) ? 5) Intersections et dynamiques de segmentation Un autre axe interroge les dynamiques de segmentation des groupes professionnels à partir d’une approche intersectionnelle. Nous accueillons ici les communications qui prennent en compte les rapports sociaux (de classe, de sexe, de race, d’âge, de sexualité, de handicap, etc.) pour analyser les transformations de la morphologie interne d’un groupe professionnel. Quels sont les effets de ces transformations sur les conditions de travail, le contenu de l’activité de travail, sur l’autonomie ou encore sur les pratiques professionnelles ? Comment les changements des propriétés sociales des professionnel.les affectent-ils la position dans les échelles de prestige ou encore le degré de cohésion d’un groupe professionnel ? De quelle manière ces recompositions influencent-elles l’orientation stratégique et le devenir du groupe professionnel ? Quel(s) processus de clôture professionnelle et quelle(s) ségrégation(s) accompagnent ces dynamiques ? Dans quelle mesure les groupes professionnels participent-ils à (re)produire et légitimer des hiérarchies et des rapports de classe, de genre et de race ? Les communications pourront utilement articuler plusieurs rapports sociaux pour analyser les inégalités de carrière à l’intérieur d’un groupe professionnel. Enfin, cette session pourra être l’occasion d’explorer les méthodes d’enquête qui permettent de décrire et d’analyser les dynamiques de segmentation des groupes professionnels en tenant compte de l’imbrication des rapports sociaux. 6) Circulations internationales et régulations De manière classique, c’est vers l’État que se tournent les groupes professionnels en quête de privilèges et protections, et c’est au niveau national que se mettent en place les régulations des services et des marchés professionnels. Avec ce qui fut appelé la « globalisation », les prestations et les professionnel·les ont connu un accroissement de l’intensité et de l’étendue de leur rayon d’action à l’échelle internationale, d’autant plus important que ce processus coïncide historiquement avec l’élargissement de marchés supranationaux comme celui de l’Union européenne (Orzack, 1993, Faulconbridge & Muzio, 2012). Les modes de régulation nationaux se sont trouvés ainsi surplombés à la fois par les compétences exigées par de puissantes firmes privées, telles que les grands cabinets d’audit, et par des dispositions et des organisations visant à garantir la libre circulation des travailleuse.eurs dans des espaces supranationaux (Evetts, 1998). De leur côté, les professionnel·les évoluant dans un environnement supranational ont développé des savoirs et des normes d’action spécifiques, adaptés à des organisations globalisées qui s’écartent des références liées à leurs cadres nationaux d’origine. Il en résulte des situations complexes et mouvantes, dans lesquelles on peut lire à la fois l’obsolescence des modalités nationales de régulation et l’émergence de nouvelles formes de régulation à l’échelle internationale, mais aussi parfois des sursauts de protectionnisme poussant vers la réactivation de monopoles nationaux. Les groupes professionnels peuvent ainsi être confrontés à de profondes mutations, voire, pour certains comme les avoués, à leur disparition, mais les approches sociologiques qui tentent d’en rendre compte s’en trouvent elles aussi questionnées et remaniées. En particulier, la perspective néo-wébérienne, attachée à expliquer comment les professions obtiennent des monopoles protégés par l’Etat au cours de la construction de leur « clôture » (Sarfati-Larson, 1977) a été amenée à revisiter ses principes fondateurs (Adams & Saks, 2018). Cet axe invite donc à aborder la manière dont les groupes professionnels ont traversé les changements apportés par l’intégration européenne, la mondialisation de l’économie, l’internationalisation des formations et des activités, mais aussi à discuter les cadres théoriques à travers lesquels ils sont interprétés. Session jointe RT1-25 Les accords professionnels aux frontières (notamment dans les mondes de la santé) En sociologie des groupes professionnels et du travail, la notion d’« intersection » peut spontanément évoquer des faits sociaux agonistiques, recouvrant des luttes, compétitions, divisions, tensions, conflits, etc. Sans ignorer l’existence de tels rapports de force, les frontières entre groupes professionnels, métiers et travailleuse.eurs peuvent aussi être conçues comme des espaces sociaux de négociation et d’échanges volontairement pacifiés, où chaque partie prenante défend stratégiquement ses intérêts bien compris. Après des pourparlers, souvent orchestrés par des composantes de l’État, des accords sont conclus sur les possibles chevauchements ou cessions (de territoire), transferts et délégations (de compétences), partage (des savoirs), co-construction (de nouveaux métiers), réingénierie des formations (par « universitarisation »). La focale sera mise ici sur ces processus et dynamiques qui se manifestent aujourd’hui, par exemple, dans le monde de la santé à travers un ensemble de dispositifs visant une redistribution négociée des tâches et actes entre professionnel.les (de catégories médicales et paramédicales), notamment au sein d’organisations « pluri » (centres de santé, maisons de santé, etc.). Des situations similaires pourront également être étudiées dans de nombreux autres mondes professionnels. Bibliographie Abbott A., 1988, The system of professions. An essay on the Division of Expert Labor, The University of Chicago Press, Chicago. Abbott A., 1995, « Sequence Analysis: New Methods for Old Ideas », Annual Review of Sociology, n°21, pp. 93-113. Abbott A., Hrycak A., 1990, « Measuring Resemblance in Sequence Analysis: An Optimal Matching Analysis of Musicians’ Careers », American Journal of Sociology, vol. 96, n°1, pp. 144-185. Arborio A-M., 2013, « 8. Histoires de vie, archives et observation du travail au service d'une étude sur les carrières professionnelles », in M. Perrenoud éd., Les mondes pluriels de Howard S. Becker, La Découverte, Paris, pp. 127-145. Adams T., Saks M., 2018, « Neo-weberianism and Changing State-Professions Relations. The case of Canadian health care », Sociologia, Problemas e Práticas, n° 88, pp. 61-77. Bourdieu P., 1986, « L'illusion biographique », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°62-63, pp. 69-72 Darmon M., 2008, « La notion de carrière : un instrument interactionniste d’objectivation », Politix, vol. 21, n°82, pp. 149-167. Evetts J., 2000, « Professions in European and UK markets: the European professional federations », International Journal of Sociology and Social Policy, vol. 20, n°11/12, pp. 1-30. Faulconbridge J., Muzio D, 2012, « The rescaling of the professions: towards a transnational sociology of the professions », International Sociology, vol. 27, n°1, pp. 109-125. Freidson E., 2001, Professionalism, the Third Logic: on the Practice of Knowledge, The University of Chicago Press, Chicago. Gadea C., Grelon A., 2009, « Est-ce ainsi que les professions meurent ? », in Demazière et Gadea, Sociologie des groupes professionnels. Acquis récents et nouveaux défis, La Découverte, Paris, pp. 118-128. Hughes H.C., 1996, Le regard sociologique, Éd. MSH, Paris. Orzack L H., 1993, « International Authority and Professions: The State Beyond the Nation-State », Jean Monnet Chair Series. Fiesole (Florence): European University Institute. Sarfati-Larson M., 1977, The Rise of Professionalism. A Sociological Analysis, University of California Press, Berkeley. Modalités pratiques   Les propositions de communication indiqueront le nom, le prénom, l’adresse mail de chacun.e des auteur.rices, leur appartenance institutionnelle et leur adresse professionnelle. Elles devront comporter un résumé de 4000 signes maximum, titre et bibliographie compris.   Elles seront envoyées à l’adresse suivante : rt1afs@protonmail.com ET sur le site de l’AFS dans la page du RT1 https://afs-socio.fr/congres/lyon-2023  La date limite de réception des propositions est le 31 janvier 2023. Une réponse sera envoyée aux auteurs.trices fin février 2023.  












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