RT33

Penser les circulations et les intersections dans le champ de la famille et de la vie privée

L’appel à communications du RT 33 « Sociologie de la famille et de la vie privée » est construit autour des deux notions clés qui guident ce dixième congrès de l’Association française de sociologie (AFS) : « intersection » et « circulation ».  Dans un premier axe thématique, nous interrogerons les politiques publiques et les régulations institutionnelles qui gouvernent les circulations d’individus, de biens, d’idées, de savoirs etc., dans le champ de la famille et de la vie privée. Cet axe sera aussi l’occasion d’appréhender la manière dont les pouvoirs publics réagissent à ces mouvements, qui s’imposent parfois en dehors du contrôle de l’État. Le deuxième axe s’attèle quant à lui à rétrécir la focale pour analyser la manière dont les idées et les biens circulent réellement au sein de la famille et de la vie privée des individus. Nous nous pencherons dans un troisième axe sur les enjeux posés par l’interdisciplinarité dans ce champ de la sociologie. Enfin, un quatrième axe exceptionnel est consacré aux circulations familiales dans le contexte de la guerre en Ukraine. De manière transverse aux quatre axes proposés dans cet appel à communications, nous nous intéresserons particulièrement aux recherches qui privilégient une approche intersectionnelle. Les contributions permettant des comparaisons internationales, soulevant des questionnements connexes ou s’inscrivant de façon élargie dans la thématique de l’appel sont également les bienvenues.   Les politiques publiques et les régulations institutionnelles face aux circulations d’individus, de biens et d’idées Ce premier axe s’intéresse d’abord à la manière dont les politiques publiques et les régulations institutionnelles prennent en charge les parcours conjugaux et familiaux en migration. Sur le versant de la conjugalité, certain·es migrant·es, arrivé·es célibataires, se confrontent par exemple au « marché matrimonial » des pays d’accueil. Quel rôle jouent alors les États dans la gestion des couples mixtes parfois formés ? Sur celui de la parentalité, on questionnera notamment l’action des gouvernements au sujet de l’adoption nationale et internationale. Le recours à cette dernière forme d’adoption, ainsi que les familles formées par des couples mixtes interrogent entre autres l’encadrement politique et institutionnel de la mixité raciale.  Ces questions se posent avec d’autant plus d’acuité dans le contexte d’un déplacement massif de population lié à la guerre en Ukraine, la guerre en Syrie, la prise de l'Afghanistan par les talibans ou encore la persécution politique d'opposition en Biélorussie. Se pose, plus précisément, la question des prérogatives de l’État et/ou des collectivités territoriales dans le domaine de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Dans le cas de l’adoption nationale, comment se prépare le déplacement de l’enfant de son lieu de vie actuel vers sa famille adoptante ? Dans le cas de l'adoption internationale, comment les différents États gèrent ces mouvements d'enfants, qui varient selon les périodes (Mignot, 2015). Quelles sont les règles qui encadrent ces déplacements ? Comment sont-elles reçues et appliquées ? Qu’est-ce qui conduit à une évolution des lois en matière d’adoption internationale ? L’État et les départements encadrent et accompagnent également des familles en difficultés dans le cadre de la protection de l’enfance. Au 31 décembre 2018, un peu plus de 350 000 enfants bénéficient d’une mesure d’aide sociale à l’enfance, dont la moitié d’entre elles correspond à une mesure de placement (DREES, 2020, p.160). Comment l’ASE pense et gère ces déplacements d’enfants du domicile familial vers un lieu d’accueil (domicile d’un⸱e assistant⸱e familial⸱e, pouponnière, maison d’enfants à caractère social, lieu de vie, village d’enfants…) ? Comment ces collectivités territoriales gèrent par ailleurs le(s) déplacement(s) d’enfants d’un lieu de placement vers un autre ainsi que les possibles aller-retour du lieu de placement vers le domicile parental (Potin, 2012). Il s’agit également de penser la place de l’État dans les circulations patrimoniales qui touchent les familles. L’héritage constitue l’une des dimensions les plus intimes et symboliquement chargée des familles, questionnant le rapport de celles et ceux qui restent avec leurs ancêtres. Mais il est aussi, dans nos sociétés de salariat, un « agent de reproduction des inégalités dans le temps » (Observatoire des inégalités, 2022) dont l’analyse est, pour cette même raison, longtemps restée taboue pour les sociologues (Gotman, 1988 ; Segalen et Martial, 2013). Alors que les inégalités sociales ont été mises en lumière lors de la période de pandémie (Oxfam, 2022 ; Lambert & Cayouette-Ramblière, 2021), « l’impôt sur la mort » fait débat. Dans quelle mesure l’État intervient-il dans la taxation de l’héritage ? Quelles sont les lois qui encadrent les transferts monétaires dans la vie familiale ? Quelles sont les institutions / les professionnel·les qui gèrent ces transmissions matérielles familiales ? Cet encadrement varie-t-il suivant les configurations familiales et/ou recoupe-t-il les logiques de stratification sociale ? Enfin, depuis quelques années, les politiques publiques privilégient le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes ou des personnes en situation de handicap. Si leur accompagnement est pris en charge par diverses institutions, elle revient en partie aux proches (Touahria-Gaillard et Trenta, 2019, p.201). Ces derniers peuvent percevoir une aide financière pour les dédommager ou compenser leur aide. La rémunération des aidants est un sujet de controverse puisque, pour certains, elle semble « s’opposer aux valeurs d’amour et de don traditionnellement attachées à la solidarité familiale. » (Ibid., p.214). Comment les politiques publiques encadrent-elles cette circulation d’argent ? Qu’est-ce que ce transfert financier public dit des liens familiaux ? Comment l’État statue-t-il sur la question ?  Circulation des idées et des biens dans les familles et la vie privée  Si les institutions et les autorités publiques construisent et imposent des idées, des normes et des valeurs aux familles, celles-ci ne sont pas uniformément reçues par les individus qui les constituent : comment et par qui sont-elles appropriées, rejetées voire transgressées ? Engagent-elles des tensions au sein du couple, entre les parents et leurs enfants ou entre les enfants d’une même fratrie ? Moins encadré par des formes de contrôle institutionnel, le domaine élargi de la vie privée s’accompagne néanmoins, même si de manière moins explicite et plus diffuse, de la circulation de telles catégories de pensée. Quelle place est-elle par exemple donnée, en société et dans l’analyse sociologique, à la parole minoritaire de celles et ceux qui s’éloignent des conceptions traditionnelles de la famille et/ou du couple ? Quels sont, plus largement, les déterminants sociaux qui président à la circulation ou à l’immobilisation des idées, des normes et des valeurs au sein de la famille et de la vie privée ? Nous connaissons par ailleurs le rôle de la socialisation dans la transmission familiale des savoirs et des pratiques culturelles : comment l’approche intersectionnelle permet-elle d’appréhender les inégalités qui en découlent ?  Les circulations de biens matériels et/ou immatériels amènent également à penser les liens et les relations entre les membres d’une famille. Comment, par exemple, l’aide - financière, matérielle, humaine - circule-t-elle dans la famille ? Que dit-elle des relations familiales et de la parenté ? À ce titre, l’héritage peut également être un indicateur. Tel que le souligne Anne Gotman, l’héritage est souvent relié à l’idée de conflit : « ce qui se dispute autour de l’héritage, ce ne sont pas seulement des biens, mais des liens ; ce qui se négocie à travers lui c’est la place de chacun dans le concert familial, le passif et l’actif des relations entre apparentés » (Gotman, 2017). Comment les membres de la famille gèrent l’héritage et qu’est-ce que celui-ci dit des relations et des places de chacun ? Nous pensons par exemple à l’héritage d’un statut professionnel des parents vers un ou plusieurs enfants d’une fratrie, à un héritage financier et/ou immobilier.  L'idée de « circulation » nous conduit également vers la thématique de la gestion des flux d’informations. La mobilité géographique des individus, de plus en plus à l'œuvre ces dernières décennies, questionne la manière dont les membres de la famille s’adaptent à la distance. Dans ce contexte, quelle place tiennent les nouvelles technologies et dans quelle mesure font-elles - ou non - évoluer les relations ? Que permettent-elles de partager et de faire circuler ? La circulation des individus dans les espaces est également pensée à travers ces questionnements : comment s’organisent les déplacements des membres de la famille dans l’espace public (les parents qui autorisent les enfants, adolescent·es à sortir, à partir de quel âge et jusqu'où ?), dans leur espace privé (possibilité ou non des membres de la famille de circuler dans les espaces personnels tels que la chambre et/ou dans les espaces communs tels que la salle à manger, le salon, etc.) ? ou encore entre deux espaces privés (lorsque les parents se séparent et que les enfants alternent entre deux logements, les couples qui habitent chacun chez soi) ? Dialogues interdisciplinaires et rapport au politique du regard sociologique sur la famille Martine Ségalen et Agnès Martial (2013) rappellent que la naissance de la sociologie de la famille, dans la seconde moitié du 19e siècle, est particulièrement liée aux disciplines de l’histoire et de l’anthropologie, avec l’étude des systèmes de parenté. Les années 1960 et 1970, qui amènent un renouveau de ce champ de la sociologie, sont notamment caractérisées par l’influence de la démographie, à l’exemple de l’enquête d’Alain Girard sur Le choix du conjoint et, plus largement, du développement de la statistique familiale initiée par l’Institut national de la statistique des études économiques (INSEE) et l’Institut national d’études démographiques (INED). Alors que la sociologie de la famille est marquée, depuis le début du 21e siècle, par le retour des questions socioéconomiques, cet axe propose de se pencher sur l’actualité des relations entretenues entre les chercheur·ses qui travaillent sur la famille, et ses disciplines connexes. Cette même interrogation se pose pour les travaux engagés conjointement par des sociologues de la famille et des juristes, psychologues, médecins, épidémiologistes, philosophes, politistes, économistes, etc.. Avec quels autres champs intellectuels et domaines de spécialités les sociologues de la famille dialoguent-ils et construisent-ils leurs recherches aujourd’hui ? Certains objets, concepts ou méthodes se prêtent-ils particulièrement aux discussions interdisciplinaires ? Nous pensons également à des collaborations plus inattendues, à l’exemple de la revue Sociorama qui rend possible l’association de différentes branches de la sociologie avec le monde de la bande dessinée. D’autres institutions permettent la rencontre de sociologues de la famille avec des graphistes ou des designers. On peut par ailleurs évoquer les liens noués entre la sociologie de la famille et les métiers du cinéma. Quels sont les apports ou les limites de « la recherche dans le dessin » ou de la recherche dans le septième art ? Quelles questions ces entrecroisements disciplinaires posent-ils aux chercheur·ses, en matière épistémologique, d’outils et de méthodes ? Par qui, pourquoi et comment ces partenariats sont-ils portés ou bien freinés ?  Ces échanges invitent plus largement à penser la place et le rôle des sociologues de la famille, ainsi que les moyens qui leur sont alloués, en dehors des seuls métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche. Souvent, le regard sociologique porté sur la famille questionne aussi le statut et le rôle du sociologue au sein de l’arène publique démocratique, ce qu’illustre par exemple le cas d’Irène Théry. Elle a notamment présidé le rapport Filiation, origines, parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, remis en 2014 à l’ancienne ministre déléguée à la famille, qui propose une réforme globale du droit de la filiation. En ce sens, les débats qui ont pris place autour de l’extension du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe ainsi que, plus récemment, de l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules, ont montré comment la définition de la famille est une question éminemment politique, en mesure de cristalliser les tensions. En d’autres termes, il convient d’interroger, en même temps que les conditions de possibilité d’une posture d’engagement dans les sciences humaines et sociales, les relations nouées entre le pouvoir politique et les sociologues de la famille et la vie privée. Interroger les circulations familiales dans le conflit militaire en Ukraine Depuis la seconde guerre mondiale, l’Europe n’avait jamais connu un tel déplacement massif de population. Le conflit russo-ukrainien, avec plus de 5 millions d'exilés, les flux migratoires provenant de l’Afghanistan, de la Syrie, de la Biélorussie et de la Russie (suite à la mobilisation « partielle » annoncée par V. Poutine en septembre 2022) ont un impact inévitable sur la circulation (idées, pratiques, savoirs) et les interactions au sein de la société. Cette crise migratoire invite les sociologues de la famille à apporter de nouvelles analyses concernant les trajectoires des familles immigrantes provenant de l’Ukraine (principalement des femmes, des enfants et des personnes âgées) mais aussi d’autres pays. Comment et où sont par exemple accueillies les familles réfugiées en France mais également dans d’autres pays ? Quel est le rôle de l'État mais aussi des organisations internationales et de la société civile dans la gestion de ces flux migratoires familiaux ? L’acheminement de l’aide aux réfugié·es étant complexe, un grand nombre d’acteurs est mobilisé (les collectivités territoriales, l’OFII, les ONG, entre autres). De quelle manière le suivi médical est-il organisé ? Dans ce contexte de migration massive, le Comité des droits de l'enfant est particulièrement préoccupé par la situation des enfants et leur prise en charge dans les pays d’accueil. Comment se déroule l’intégration des enfants des familles réfugiées en France (école, socialisation, langues) ? Si certains sont accompagnés de leurs parents, plusieurs milliers sont orphelins (ou avec des parents restés dans leur pays d’origine) : comment s’organise alors l’adoption éventuelle des enfants et/ou leur placement en famille d'accueil, en établissement ? Comment l’État, les collectivités territoriales gèrent ces adoptions dans le contexte actuel ?   Références bibliographiques mentionnées dans l’appel à communications  DREES, 2020, « Fiche 25. Les bénéficiaires et les dépenses de l’aide sociale à l’enfance », in « L’aide et l’action sociales en France - Perte d’autonomie, handicap, protection de l’enfance et insertion - Édition 2020 », Panoramas de la DREES SOCIAL, p.160-164. Girard Alain, Rault Wilfried, Régnier-Loilier Arnaud, 2012, Le choix du conjoint. Une enquête psycho-sociologique en France, Paris, Armand Colin, « Bibliothèque des classiques », 328 p. Gotman Anne, 2017, « Le pavillon, la famille et l’héritage : itinéraire d’une recherche », SociologieS [En ligne], Dossiers.  Gotman Anne, 2006, L’héritage, Paris, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 128 p.    Lambert Anne, Cayouette-Remblière Joanie, Méda Dominique (dir.), 2021, L’explosion des inégalités: classes, genre et générations face à la crise sanitaire, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, « Monde en cours », 445 p. Mignot Jean-François., 2015, « L’adoption internationale dans le monde : les raisons du déclin », Population & Sociétés, 519(2). Observatoire des Inégalités, 2021, « Rapport sur les inégalités en France, édition 2021 », 176 p. Observatoire des Inégalités, 2022, « Rapport sur les riches en France, édition 2022 », 104 p. Potin Émilie, 2012, Enfants placés, déplacés, replacés : parcours en protection de l’enfance, Toulouse, Érès, « Pratiques du champ social ». Segalen Martine, Martial Agnès, 2013, Sociologie de la famille, 8e éd., Paris, Armand Colin, « Collection U ». Théry Irène, Leroyer Anne-Marie, 2014, Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, Paris, Odile Jacob, 382 p.   Les propositions des communication sont à déposer, avant le 1er février 2023, sur le site de l’AFS : https://afs-socio.fr/rt/rt33/  L’appel à communications est ouvert à tout·e·s les doctorant·es et docteur·es dont les travaux portent sur les enjeux entourant les circulations et les intersections dans le champ de la famille et de la vie privée. Elles seront composées d’un titre et d’un bref argumentaire sur la méthode, les objectifs et les résultats de recherche (max. 1 page). Les réponses seront transmises fin février et les interventions sélectionnées seront inscrites dans le programme que nous vous communiquerons début avril Pour toute question, vous pouvez nous écrire à : rt33famille@gmail.com  Membres du bureau : Maëlys Bar, Nathalie Chapon, Louise Déjeans, Angèle Fouquet, Christophe Giraud, Camille Roudaut, Svetlana Russkikh, Dasha Vedeniapina  












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