RT23

Travail de circulation, activités en circulation ?

Le réseau thématique « Travail, activité, technique » (RT23) de l’Association Française de Sociologie (AFS) contribue à une sociologie du travail et des activités professionnelles. Forte d’une longue tradition, la sociologie du travail française embrasse aujourd’hui de nouveaux domaines, enrichie par la rencontre de la tradition interactionniste, de l’ethnographie de la communication, des développements de la psychologie du travail, de l’anthropologie des sciences et des techniques, etc. Au cours des décennies précédentes, des travaux ont entrepris de rouvrir la question de la technicité au travail — corps, espaces, objets, équipements, technologies numériques — après celle du langage. Le RT23 a pour objectif de favoriser les échanges autour de ces perspectives, entre sociologues, et avec les spécialistes des disciplines qui s’intéressent également au travail et privilégient une entrée par l’activité : ergonomie, psychologie, histoire, études littéraires, anthropologie, sciences du langage, gestion notamment.

Suivant ces approches, le RT 23 propose d’aborder le thème du 10ème congrès de l’AFS « Intersections, circulations » en s’intéressant à la circulation comme à une dimension de l’écologie de l’activité et non exclusivement comme une forme ou un attribut de l’action. Il s’agit d’abord d’interroger la circulation  de l’activité elle-même et, partant, ce qui circule précisément (personnes, pratiques, propensions, savoirs, normes, etc.), mais aussi ce qui soutient, freine ou entrave cette circulation (en termes d’espaces, d’objets ou d’infrastructures techniques). En lien avec la notion d’« intersections », une attention particulière peut être portée sur ce qui circule ou reste bloqué « aux frontières » de l’activité ou entre activités, que ces frontières soient professionnelles, techniques, spatiales ou encore temporelles. Il peut s’agir ensuite, en considérant l’activité comme le produit ou l’occasion d’engagements multiples, de s’intéresser à l’engagement dans le travail comme le fruit d’une circulation et d’aller-retours entre expériences multiples, donc entre la temporalité resserrée du cours d’action et le temps long des carrières et des biographies. Il peut s’agir enfin, dans un mouvement réflexif, de s’interroger sur les circulations et les intersections entre disciplines au principe des « théories de l’activité ». Les frontières disciplinaires - et leurs évolutions au cours de l’histoire - mais aussi plus largement entre mondes sociaux (par exemple entre académiques et praticiens) pourront être discutées.

 

1.    Faire circuler l’activité

Les travaux relevant notamment des Workplace Studies ont largement étudié le rôle des infrastructures techniques et des agencements spatiaux dans l’organisation et la concrétisation des activités productives. En mettant l’accent sur l’importance des espaces matériels et conceptuels de rencontre ou d’échange, ils ont révélé la dimension circulatoire de l’activité. Les sessions du RT 23 seront l’occasion de renouveler ces réflexions, à travers des descriptions fines de ce qui circule (ou non) et de ce qui sous-tend ou permet ces circulations.

En poursuivant les travaux sur les configurations spatiales en sociologie du travail (Benedetto-Meyer et Cihuelo, 2016), les communications pourront approfondir la pertinence méthodologique et épistémologique de la catégorie d’espace pour analyser l’activité. Plus précisément, des sessions seront l’occasion d’aborder les questions posées par les nouveaux lieux de production associés au co-working, fablabs, télétravail, etc., ainsi que le rôle des configurations architectoniques, d’aménagement (Pillon, 2016; Weller, 2016) et d’instrumentation de l’espace dans la circulation des activités productives et sa gestion concrète. On pourra aussi s’intéresser à l’aménagement d’espaces « de débat », « de discussion » ou « de collaboration » comme nouveaux dispositifs de gestion (et/ou d’intervention en entreprise), en se penchant sur leur ambition d’optimiser ou d’améliorer les circulations de l’activité (ou des discours sur l’activité). Qu’en est-il en pratique ? Ces espaces permettent-ils aux savoirs, aux normes, aux pratiques ou aux doutes de circuler ? si oui, à quel(s) niveaux(x) ? si non, qu’est-ce qui les en empêche ? Des recherches empiriques interrogeant le rapport entre ces « espaces » de gestion du travail et ceux de la production sont les bienvenues : s’agit-il d’espaces « palliatifs » (Salman, 2021), de « négociation » ou encore de « contrôle » ?

Des communications pourront aussi se centrer sur le rôle des technologies favorisant, ou entravant, la circulation de l’information et la coordination. Ainsi, les notions fondatrices d’objet-frontière (Star, 2010) ou d’objet-intermédiaire (Vinck, 2010) pourront être rediscutées au prisme des notions de circulation et d’intersections ? En quoi se distinguent-elles de celles de médiation ou de traduction ? De quoi permettent-elles (ou empêchent-elles) la circulation : significations, savoirs ou connaissances, acteurs ? Des communications pourront considérer les technologies numériques ou l’IA : qu’est-ce qui est mis en circulation pour permettre une coordination entre deux activités « distantes » ? Les communications pourront notamment discuter les rapports entre la catégorie de « circulation » et celles de  transaction (Bidet, Boutet & Chave, 2013), d’interaction (Licoppe & Tuncer, 2020) ou de coprésence, mobilisés par la sociologie de l’activité pour étudier les configurations de travail équipées en instruments numériques. Des recherches s’inspirant plus explicitement de l’analyse conversationnelle et de l’écologie sémiotique pourront s’intéresser au système signalétique et symbolique, aux inscriptions, qui configurent les circulations, en documentant par exemple dans la perspective des maintenance studies, le travail d’aiguillage et de soin des choses nécessaire à la circulation (Denis, Pontille, 2011, 2020, 2022).

Des communications interrogeant directement les activités professionnelles de gestion et de régulation des flux (Rot & Vatin, 2017) seront particulièrement bienvenues, dans la mesure où elles poseront directement la question du rapport entre la circulation des « choses » (marchandises, personnes, données, transports…) et celle de l’activité. Les risques associés à la circulation pourront aussi être examinés (propagation d’aléas, ruptures de flux, non circulation des connaissances ou informations critiques). Enfin, on pourra aussi considérer la circulation des activités ou du travail au sein et entre organisations, via par exemple l’externalisation ou la sous-traitance d’activités : qu’est-ce qui peut circuler d’une organisation à une autre ? Comment dès lors assurer la continuité de l’activité productive, et, partant,  la circulation de tout ce qui la sous-tend, la produit, la maintient ?

2.    Circuler dans l’activité

L’activité peut être pensée comme le résultat, l’occasion, la rencontre, le tissage, la révision, etc., d’engagements hétérogènes. Comme plusieurs travaux l’ont révélé, l’instabilité et la dispersion des engagements sont des dimensions structurantes de l’activité et de son organisation (Bidet, Datchary & Gaglio, 2019). C’est en ce sens que l’on peut questionner les expériences professionnelles et celles relevant d’autres types d’engagements (bénévole, politique, sportif…) comme le fait de circulations dans l’activité (Bidet, 2011). L’engagement dans le travail peut être en ce sens abordé à plusieurs niveaux. Si les acteurs circulent dans l’activité, en passant d’une orientation pratique ou d’un horizon temporel à un autre, d’une forme d’engagement à une autre, pour se recentrer avec plus ou moins de succès sur « leur » activité ou se rapprocher de leur « vrai boulot », la quête ou la perte de « sens » au travail ou les trajectoires de « reconversion » peuvent être pensées à travers la capacité des acteurs à évoluer au fil des expériences vécues ou à faire face, au contraire, à une carrière bloquée, condamnée à l’immobilité.

Dans le cadre de ce RT sont donc attendues, d’une part  des propositions mobilisant une focale resserrée sur la temporalité de l’activité comme circulation entre des engagements variés, dans la lignée des études sur la multi-activité et les stratégies individuelles et collectives de gestion de la concentration et de la distraction (Datchary, 2011) ; d’autre part, des travaux proposant une focale sur le temps long de la carrière ou plus généralement des biographies et des trajectoires professionnelles (Benarrosh, 2014). Ces deux niveaux d’analyse de la circulation dans l’activité pourront par ailleurs être croisés avec des recherches interrogeant les apprentissages à travers lesquels notre activité se modifie, s’altère, s’enrichit ou se réoriente, en nous déplaçant alors nous-mêmes. Au-delà des enjeux de coordination, quels sont donc les effets de ce qui circule dans l’activité ?

3.    Intersection(s) entre activité(s)

Depuis l’annonce d’un « Practice Turn » dans l’approche des sciences sociales, les concepts d’activité et de pratique sont devenus un véritable carrefour intellectuel, un « espace » de circulation de recherches issues de traditions et d’épistémologies différentes et parfois éloignées. On a pu définir cet espace comme un « carré » (Licoppe, 2008), résultat d’intersections entre différentes traditions. Filant cette métaphore, nous souhaitons rouvrir la réflexion sur les formes d’intersections émergentes, mais aussi les nœuds qui se sont relâchés pour renouveler cet espace de recherche (Gherardi, 2017). Les récentes tentatives de clarification des différentes « théories de l’activité » (Dujarier, Gaudart, Gillet et Lénel, 2014) ont en effet montré que s’il existe un « espace partagé », la circulation des théories au sein de cet espace est fortement influencée par des facteurs exogènes. Selon que l’on mène des travaux en ergonomie ou en sociologie, dans un espace francophone, anglophone ou germanophone, les intersections délimitant l’espace de recherche sont différemment posées. Par exemple, les relations entre les théories historico-culturelles de l’activité, de l’acteur-réseau et/ou de l’anthropologie des techniques sont plus ou moins reconnues.

Cette question peut être abordée historiquement en suivant l’évolution de la constitution de cet espace de recherche depuis les premiers projets d’une « ergologie » au début du XXe siècle (Saraceno, 2018 ; Vatin, 2006) jusqu’à l’idée des « ergo-disciplines » (Daniellou, 2015). Cela permettra soit de suivre sur le temps long l’évolution du sens attribué à la notion d’activité sous l’effet des intersections entre sciences, soit de se concentrer sur des moments particuliers de l’histoire en cherchant à rendre compte des conditions qui ont permis des intersections spécifiques. Ainsi, des communications pourront étudier les conditions qui ont favorisé certaines intersections, comme celle fondatrice entre sociologie du travail et ergonomie (Borzeix, 2003). D’autres pourront étudier l’impact qu’a eu l’entrée dans le carré de l’activité de nouvelles approches, comme celles de la collaboration homme-robot. De façon complémentaire, on pourra étudier la sortie de l’espace de circulation de certaines approches, comme avec la biotypologie qui se présentait comme un catalyseur de toutes les sciences du travail dans les années 1930 avant de disparaître après-guerre. La question pourra également être abordée avec les outils de la sociologie des sciences, en retraçant la circulation des traductions, des théories, des réseaux et des acteurs qui favorisent les intersections composant l’espace de l’activité. Par exemple, des communications pourraient revenir sur la traduction tardive de l’œuvre de Leroi-Gourhan en anglais qui a fortement limité sa circulation (Soulier, 2018), ou sur la complexe réception de l’œuvre de Vygotsky en France (Clot, 2012).

Plus généralement, et d’un point de vue plus méthodologique, des communications s’intéressant aussi conditions d’une circulation des chercheurs sur des terrains d’enquête dits difficiles, ou d’une circulation d’idées et d’expériences entre monde de la recherche et monde des praticiens sont tout à fait bienvenues.

Session croisée avec RT 41 – :  Voir appel dédié

Consignes aux auteurs

  Pour que les sessions soient des moments de discussion, où chacun participe à l’enquête en train de se faire, nous veillerons à ce que les faits présentés soient « discutables ». Nous insisterons sur la nécessité d’appuyer les propositions de communication sur des données d’enquêtes solides, quelles que soient la nature des matériaux analysés et les méthodes mises en œuvre : nous nous intéressons ainsi à la présentation d’activités précises, finement documentées, où les descriptions des acteurs, des institutions, des techniques ou dispositifs concernés sont clairement exposés. Pour donner à voir une sociologie au travail, on pourra donc renoncer aux signes du travail fini et présenter les matériaux bruts, les supports concrets de l’analyse, au-delà des classiques citations d’entretiens ou des « vignettes illustratives ». Dans la catégorie des matériaux, nous rangeons à égalité les sources statistiques, documentaires, orales, d’observation, archivistiques, vidéo, etc.   Les propositions de communication (4000 signes max.) devront fournir des indications sur ces points.   Tous les publics de chercheurs et chercheuses, enseignants-chercheurs et d’enseignantes-chercheuses, de doctorant·e·s, sont concernés par cet appel. Le RT 23 est composé de sociologues, anthropologues et historiennes et historiens : toutes les disciplines des sciences humaines et sociales sont les bienvenues, dans la mesure où l’objet des communications s’inscrivent dans les axes énoncés ci-dessus.   Les propositions de communications (titre, résumé, proposition) seront entièrement gérées à partir du site de l’AFS. Il sera donc nécessaire d’ouvrir un compte sur le site avant tout dépôt de proposition.   La date limite d’envoi des propositions est fixée au 31 janvier 2023.   Toutes les propositions seront examinées par les membres du bureau des RT41 et RT23 qui feront connaître ensuite leur décision. Les réponses seront délivrées à partir du mois de mars 2023. Compte tenu du temps limité dont nous disposons et de la nécessité d’entendre et de discuter les exposés présentés, toutes les propositions ne pourront pas être retenues   Une proposition acceptée pour le congrès ne sera effectivement prise en compte que dès lors que les conférenciers et conférencières auront satisfait aux exigences de l’AFS :
  1. adhérer à l’Association Française de Sociologie (ou en s’assurant que leur adhésion est à jour) ;
  2. s’inscrire au congrès, sur le site : https://www.afs-socio.fr/

Le colloque se déroulera du 04/07 au 07/07 à Lyon. Tous les renseignements pratiques seront mis en ligne progressivement sur le site de l’Association Française de Sociologie.

Contacts :

Marco Saraceno (Université de Reims Champagne-Ardenne – PSMS) - marco.saraceno@univ-reims.fr

Stéphanie Tillement (IMT Atlantique – LEMNA) - stephanie.tillement@imt-atlantique.fr












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