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AAC RT6 Lille 2021 : Les temporalités de la protection sociale et des solidarités : formes, figures, échelles et rythmes.

Par ses caractéristiques épidémiologiques autant que par les registres d’action publique de son traitement, la pandémie du Covid-19 a reposé dans des termes inédits, des questions de fond sur les dispositifs de protection sociale : qu’est-ce qu’être protégé et se protéger collectivement sachant que l’exposition au risque sanitaire est incomparablement plus grave pour certains d’entre nous ? Quels sont les logiques et les contours de ce nouveau « nous » dont la figure a été mobilisée par les politiques pour faire advenir une sorte d’union sacrée face à la crise ? Comment les échelles d’action, du local au global, ont-elles été réarticulées pour penser-panser la pandémie, le cas échéant, dans un rapport renouvelé aux valeurs ? Au-delà des espaces, les solidarités s’inscrivent dans des temporalités également diverses : celles, si longues des cultures et des communautés, celles plus situées à l’échelle de la vie humaine des familles, des professions ou organisées par des contrats privés, et que dire enfin des solidarités instituées ? Ces dernières s’inscrivent à la fois dans une symbolique de longue durée, mais s’épuisent souvent dans le court terme des réformes sans lendemain, ou encore, errent sans fin dans les méandres d’une mise en œuvre administrative à la temporalité insaisissable. Comment intégrer l’incertitude radicale de l’avenir socioéconomique imposée par la pandémie dans l’élaboration, la conduite et l’évaluation des politiques sociales ?

Le contexte singulier dans lequel les sociologues de l’AFS sont invités à échanger sur la thématique-problématique « Changer ? » incite à ouvrir plus largement la rencontre à des réflexions non seulement sur les temporalités dans les politiques sociales et les solidarités mais aussi sur les temporalités de leurs analyses. Ainsi la période a-t-elle notamment conduit à redécouvrir en France combien le pasteurisme avait nourri le solidarisme de Léon Bourgeois, la découverte de notre condition microbienne ayant donné un modèle pour penser les maux sociaux comme des maladies contagieuses. Elle a aussi et peut-être surtout exercé des effets de sidération. Nos activités ordinaires de chercheurs pouvant nous paraître dérisoires en même temps qu’elles étaient pratiquement empêchées, soulevant la question du recul nécessaire pour comprendre ce qui arrive. Sans aucun doute, plus d’un an après que le virus est entré dans nos vies, des rapports distanciés et raisonnés empiriquement pourront-ils être produits sur la reconfiguration des problèmes sociaux et des solidarités à l’épreuve de la crise, de ses conséquences et de sa gestion, et le présent appel les sollicite.

Notre appel est cependant animé par un souci de réflexivité à propos des liens entre régimes temporels des politiques et de l’action sociale et sanitaire et régimes temporels de la recherche, laquelle nécessite un calme examen des faits.

Axe 1 - Caractériser et théoriser le changement dans et par les politiques sociales : des enjeux d’intelligibilité évidents mais exigeants

Caractériser le changement dans et par les politiques sociales renvoie à des enjeux d’intelligibilité exigeants. Du fait même de leur nature de sciences historiques, les sciences sociales empiriquement fondées sont confrontées aux transformations incessantes du cours des choses qu’elles scrutent. L’identification et la qualification de « changements » correspondent donc à cette mission première consistant pour elles à rendre l’historicité intelligible. « Métamorphoses » de la question sociale, « tournant néolibéral », « crise de l’Etat-Providence », « nouvelles règles du social », « nouvel âge des solidarités »,… le tropisme de la nouveauté, de la crise et du déclin, parfois forcé par les logiques éditoriales, dit bien ce souci et nourrit un travail salutaire de discussion et révision scientifiques sur les scansions identifiées et leurs critères. Sur ce premier axe, sont ainsi attendues des contributions portant sur l’actualité des réflexions épistémologiques et méthodologiques de l’analyse du changement dans les politiques sociales.

Entre autres pistes, la dimension temporelle du changement social peut être problématisée à partir d’une triple difficulté : l’irréversibilité, la non-linéarité et l’incertitude, qui soulèvent de lourds enjeux d’un point de vue intergénérationel. La première difficulté est liée à la succession des générations au cours du temps. Elle implique des phénomènes d’irréversibilité, qui conduisent à réfléchir, d’une part, à la problématique du juste héritage (ce qui renvoie tant aux transferts sociaux descendants qu’à la thématique de l’Etat social écologique), d’autre part, à celle de la juste créance (ce qui renvoie aux enjeux des transferts sociaux ascendants et de soutenabilité financière à long terme). La deuxième difficulté est liée à la non-linéarité du temps, qui est nécessairement créatrice de différences au regard de la situation faite aux différentes générations en termes de dotations ou d’opportunités. La troisième difficulté concerne l’anticipation de ces différences, c’est-à-dire l’incertitude de ce qui est à advenir. Ces difficultés retentissent sur les enjeux et l’impact de l’action publique dès lors qu’elle est inscrite à l’échelle intergénérationnelle.

D’un point de vue plus méthodologique, quelle est l’actualité des débats entre des démarches causales, plutôt orientées vers la sophistication statistique, et des démarches compréhensives, plus attentives au déroulement, aux processus, aux articulations entre changement de vocabulaire et changement factuel ? Les enjeux méthodologiques posent aussi la question de la mesure du changement (enquêtes, données, seuils, mise en nombres et en indicateurs, catégorisation, etc.). Ils sont centraux au regard des fonctions assignées aux politiques publiques qu’on les formule en termes de garanties de ressources, de redistribution, de correction des inégalités, etc. ; elles appellent l’évaluation de leur effectivité en termes de changement dans une économie des places, des positions et des statuts. Enfin, dans cet axe, seraient particulièrement bienvenues des contributions mettant en évidence ce que la pensée académique du changement peut avoir d’occidentalo-centrée.

Axe 2 - Produire le changement dans le « social » : idées, discours, expertise, négociation, ingénierie, utopie concrète

« Impulser », « Conduire », « Piloter »…, le changement dans le social désigne des processus et logiques de fabrique politique ainsi que des pratiques d’ingénierie qui ont pour but d’activer, faire advenir et, in fine, opérationnaliser le changement. On peut dans ce contexte s’interroger sur les discours du changement dans les politiques sociales. Derrière les mots d’ordre et les mots clés des « nouvelles » politiques sociales, quelles sont les pensées, les valeurs, et la nouvelle intelligence du social qui se dessinent (clivages, finalités, enjeux collectifs…) ? Parmi ces inspirations du changement, quelle est la place du benchmark entre pays et de leurs performances dans la justification des changements promus ? Comment le temps long des modèles nationaux vient-il informer, mais souvent percuter, le temps plus court des coalitions politiques, des débats, des réformes ?

Les expérimentations préalables à la généralisation des réformes s’imposent de plus en plus fréquemment. Elles sont une tentative déployée par les acteurs publics d’articuler des temps sociaux, publics, mais aussi du rapport à la connaissance et à l’expertise. Comment interpréter cette ingénierie des temporalités, non seulement dans une perspective centrée sur les politiques sociales, mais aussi, du point de vue des sciences sociales ? Quelles places peut-on y observer faites notamment à l’information, aux incitations, aux obligations ?

Toujours du côté de la prise en compte des temporalités de la mise en œuvre, on peut se poser la question de savoir dans quelle mesure et comment « la transition numérique » transforme les productions des acteurs du système de protection sociale dans leurs relations avec leurs « usagers » en même temps que la dématérialisation des services publics et de l’accès aux droits soulève celle de son caractère « inclusif ».

Une perspective constructiviste sur la production du changement appelle également l’interrogation classique sur les façons dont le dit changement est négocié, dont ses perspectives se modifient en fonction des espaces sociaux à travers lequel les réformes, discours, instruments circulent, auprès d’acteurs différents. Quels sont de ce point de vue les décalages entre les positions revendiquées et le pouvoir d’agir des « partenaires sociaux », des associations et organisations de la société civile dans la maîtrise des dynamiques en cours ?

Enfin, quelles formes d’utopies concrètes sont repérables portées par l’aspiration à des protections rapprochées, autogérées, et plus généralement à un « faire société autrement » ?

Axe 3- Expériences du changement dans les politiques sociales et les solidarités : expertises profanes, vulnérabilités et interdépendances

Lorsque les temporalités institutionnelles et médiatiques du danger et de l’urgence dominent, il est important de s’interroger sur leurs expériences ou leurs pendants chez les professionnels, les bénévoles et les destinataires ou bénéficiaires de la protection sociale et de l’intervention sociale et médico-sociale. L’articulation des temps et temporalités adopte en effet des formes concrètes à l’échelle des individus, et pas seulement des systèmes d’action publique. Les deux catégories de professionnels et de destinataires des politiques sociales, ont partie liée dans le déploiement des mesures, et procèdent à un travail d’articulation des temporalités. Alors que les premiers sont aux prises avec leurs charges de travail et responsabilités, leurs carrières et statuts, leurs budgets et les fonctionnements interinstitutionnels, les seconds le sont avec leurs propres parcours de vie, ceux de leurs proches et familles, leurs parcours professionnels, leurs éventuels parcours migratoires, etc.

Quelles inflexions traversent ces articulations de temporalités dans les expériences de la pauvreté, de la précarité, du déracinement migratoire, du chômage, du vieillissement, de la maladie ou du handicap, de l’aide à domicile et de la prise en charge institutionnelle, au regard des réseaux d’acteurs et d’interdépendances qu’elles mobilisent ? Des tendances lourdes avaient pu donner lieu à nombre concepts : gestionnarisation, sanitarisation, psychologisation, marchandisation, territorialisationtechnicisation, bureaucratisation, déshumanisation, etc. du social. Quelles sont leurs dynamiques actuelles ?

Axe 4 – Actualité de la question de la demande sociale adressée à la sociologie et aux sociologues

La sociologie est sollicitée par des acteurs publics et privés pour contribuer à leur réflexivité, évaluer les effets de leurs politiques et de leurs programmes, documenter les changements qui les affectent ou qu’ils visent à provoquer.  La sociologie est ainsi aux prises avec la demande sociale, celle des administrations, associations, organisations politiques et syndicales. Par ces travaux d’expertise et d’évaluation, quels rôles joue la sociologie dans l’impulsion, voire la justification de changements ?

Ces commanditaires privés et publics appellent de plus en plus une dimension participative, collaborative, interventionnelle, promouvant l’association des professionnels et parfois des destinataires aux recherches qu’ils souhaitent soutenir. Plus largement, les recherches collaboratives ou citoyennes suscitent un regain d’intérêt dans la recherche sur le social, et pénètrent aussi le milieu académique. Or, pourquoi et comment associer les acteurs (croisement des expertises, participation, concertation), et lesquels (publics de l’intervention sociale, professionnels, décideurs politiques…) ? Recherche-action, collaborative ou participative, quelles sont les méthodes et protocoles de recherche mis en place pour être en prise avec le changement dans les politiques sociales, les accompagner, les analyser, voire les orienter par le recul que permet la recherche, et l’association des acteurs directement concernés ? Pour les fondateurs de la recherche-action, la participation s’articule étroitement à la visée de production de changement dans les représentations et les conduites. Mais les paradigmes et les objectifs de changement des recherches participatives peuvent être multiples : du changement des pratiques professionnelles à l’accès aux droits, de l’évaluation participative des politiques pour améliorer leurs effets à l’émancipation de groupes dominés.

Consignes d’envoi et calendrier

Les propositions de communication sont à déposer avant le 30 janvier 2021 sur le site de l’AFS (voir en bas de cette page) et à envoyer à oligiraud@ymail.com et marielle.poussou@u-bourgogne.fr 

Elles devront impérativement comprendre les éléments suivants :

Nom, prénom du(des) auteur.e(s)

Rattachements institutionnels

Courriel de contact

Axe(s) souhaité(s)

Titre de la communication

Résumé de la communication : 3 500 signes maximum (hors bibliographie)

•  Réponse d’acceptation des propositions par le bureau du RT 6 : fin mars 2021

• Envoi des communications écrites sous la forme de textes complets (10 pages minimum, 15 pages maximum hors références bibliographiques) : mi juin 2021. Ils seront mis en ligne sur le site du RT6 pour permettre des discussions ouvertes lors des sessions.

Correspondants :

 Olivier Giraud : oligiraud@ymail.com

Marielle Poussou-Plesse : marielle.poussou@u-bourgogne.fr 













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