Parcours et temporalités du faire famille : nouveaux imaginaires, nouvelles injonctions

Parcours et temporalités du faire famille : nouveaux imaginaires, nouvelles injonctions

Appel à contributions. Parcours et temporalités du faire famille : nouveaux imaginaires, nouvelles injonctions

Date limite de réception des propositions (résumés) : 13 octobre 2023
Remise des manuscrits complets : 5 avril 2024
Parution : Hiver 2025 

Sous la direction de :

Catherine Négroni, maîtresse de conférences, Université de Lille (France)

Pierrine Robin, maîtresse de conférences, HDR, Université Paris Est Créteil (France)

Stéphanie Gaudet, professeure titulaire, Université d’Ottawa (Canada)

 

La sociologie des parcours vise à « mieux comprendre et analyser le déroulement des existences au fil du temps » (Bessin, 2009 :12). Elle s’intéresse, d’un point de vue diachronique et synchronique, aux évènements, aux ruptures et bifurcations, au cours du cycle de vie, tout en interrogeant également les continuités dans les parcours. L’étude des parcours ne se limite pas à l’analyse de phénomènes individuels, mais à leurs interrelations avec d’autres parcours en contexte comme le suggère le concept de « linked lives » (Elder, 1974). Les parcours sont imbriqués dans des processus sociétaux plus larges et ancrés dans des contextes sociaux, juridiques et historiques (Gaudet, 2013). Ainsi, le parcours de vie devient un témoin de cette intersection entre mouvements globaux, contextes locaux et trajectoires individuelles (Négroni, 2022 ; Robin, 2022). En ce sens, on pourrait dire qu’il y a des générations de parcours qui partagent des histoires communes.

Ces parcours de vie sont marqués dans la seconde modernité par « une régulation sociale moins centrale » (Bessin, 1994 : 228) donnant une place plus forte aux individus dans les choix opérés (Kohli, 1986 ; Cavalli, 2007), notamment dans les choix familiaux. Dans la sphère familiale, un mariage n’est plus pour exemple nécessairement associé à une naissance, « les passages d’un état à un autre s’estompent et aboutissent à un statut incertain » (Charton, 2005 : 65). Le cadre familial ne structure plus le comportement des individus en imposant les croyances et la conformité des pratiques associées à un modèle de la famille ordinaire. Bien au contraire, la famille devient le lieu des revendications individuelles des acteurs et actrices aspirant à une liberté de choix dans la sphère privée de leurs liens familiaux, et à plus de souplesse dans les temporalités de construction de la famille (Commaille et al., 2002). Le cadre familial est plus ouvert à la reconnaissance de la légitimité d’une diversité de manières de faire famille, tout en ayant relevé les attentes à plusieurs égards, notamment en ce qui a trait au respect de droits des conjoints, conjointes et enfants, aux arrangements des ruptures de couples et des gardes d’enfant, au partage des responsabilités parentales dans la conciliation travail-famille et à l’implication des parents dans l’éducation scolaire de leurs enfants.

Le cycle ternaire des âges de la vie (jeunesse, âge adulte, vieillesse) qui structurait linéairement et majoritairement les existences collectives (Guillemard, 2008), avec une entrée dans la jeunesse, la mise en couple, puis la procréation à des âges resserrés et homogènes, tend à s’estomper dès lors que le faire famille se retrouve désynchronisé d’avec les autres sphères de la vie. La socialisation dans ce cadre plus ouvert suscite une multiplication des étudiants parents, des mises en couple avec des parents, de parentalités tardives (Bessin & Levilain, 2012 ; 2016), mais aussi d’infécondités volontaires ou involontaires (Charton & Parnaite, 2021).

En même temps que ses temporalités se pluralisent, les formes du « faire famille » se diversifient (Régnier-Loilier, 2023), avec de nouveaux modes de mise en couple (Neyrand, 2020 ; Khoury et Neyrand 2020 ; Saint-Jacques, 2023), l’apparition de plus en plus fréquente de familles choisies et de vie commune d’adultes, des cohabitations de familles polyamoureuses (Combessie, 2013), une diversification des modes d’accès à la procréation (Lavoie, 2023), des coparentalités avec l’existence de deux foyers prenant en charge l’enfant et permettant de définir des temps parentaux et des temps conjugaux sans enfant (Gross, 2011 ; Négroni, 2018).

Plus récemment, les parcours de vie ont été ponctués d’une accumulation de crises, à temporalités variables et incertaines, avec notamment les crises sanitaires, les guerres faisant peser des contraintes fortes sur les parcours familiaux avec des impacts sur les séparations, la circulation et le déplacement des individus générant l’éclatement des familles et le développement des familles transnationales (Merla 2016 ; Collet 2020). D’autres évènements comme les difficultés économiques, l’inflation, l’accès difficile au logement, aux services comme les modes de garde, aux médecins, génèrent un accroissement de la précarité et peuvent avoir des effets sur les parcours de vie. Dans l’expérience de la conciliation travail-famille, certaines situations professionnelles exigeant plus de mobilité géographique choisie ou contraintes marquent aussi les parcours de tous les membres de la famille dont les situations doivent se réarranger.

Face à ces mutations, les pouvoirs publics cherchent à répondre à ces nouveaux risques familiaux (séparation, divorce, précarité) qui n’ont pas les mêmes effets selon les milieux sociaux (Villac et al., 2002), en passant d’une politique des statuts à une politique des parcours (Séraphin, 2014). Ils tentent d’entériner les demandes fortes portées par des mouvements émanant de la société civile, de délimiter ou de clarifier des zones d’ombre ou de frottement, en légiférant par exemple sur le recouvrement des prestations familiales en cas de séparation, sur les nouvelles formes de procréation et les questions d’état civil qu’elles posent, sur la sécurisation des parcours des enfants confiés et adoptés (Gouttenoire, 2023). Les pouvoirs publics cherchent aussi à s’adapter à l’évolution des parcours familiaux, tout en proposant de nouvelles formes d’encadrement, avec le risque d’une disjonction entre les attentes sociales des individus et les normes institutionnelles (Zimmermann, 2014).

Dans ce numéro, nous nous intéresserons à l’évolution des normes temporelles et des modèles familiaux et aux évolutions des formes de régulation qu’elles suscitent. Un premier axe sera centré sur la diversification des modèles familiaux et des temporalités familiales. Un second axe montrera les tentatives des pouvoirs publics d’encadrer ces évolutions et les nouveaux risques familiaux qu’elles comportent. En toile de fond, nous considérerons la circulation du concept de parcours dans l’arène scientifique et politique.

Un premier axe s’intéressera aux temporalités diverses et éclatées des modalités du « faire famille » et aux imaginaires familiaux qui les portent.

Les trajectoires biographiques et familiales se diversifient et se pluralisent dans leurs formes et leurs temporalités. En effet, l’âge comme principe de tri, de hiérarchisation et de classement des personnes s’estompe tout en gardant sa force opératoire, de même que le genre. Plus labiles, les parcours familiaux s’individualisent avec de nouvelles formes de « faire famille » nourries par l’évolution des modes de procréation (Lavoie, 2023), par la dissociation des formes de parenté du sang, du nom et du quotidien (Weber, 2005 ; Charton, et al., 2015.), par l’importance de plus en plus grande accordée aux relations électives et d’amitiés dans les formes de faire famille (Singly, 2003).

Les transmissions intergénérationnelles dans les parcours familiaux s’estompent même si la grand-parentalité reste importante. La grande vieillesse n’est plus accueillie au sein des familles. Qu’ils s’agissent de 3ème âge ou du 4ème âge, le vécu de la vieillesse apparaît individuel dans une forme d’autonomie présupposée ou renvoyée à des prises en charge étatiques ou dans des maisons collectives, offrant un mode plus inclusif d’habitat (Courbebaisse et Pommier, 2020). Les parcours familiaux se structurent ainsi autour de constructions imaginées et inédites de la famille. Les articles, qui graviteront autour de cet axe, pourront porter sur l’évolution des normes sociales et parentales dans les transformations du « faire famille » et de ses temporalités avec une attention toute particulière aussi au rôle des « images-guides de la famille » ou imaginaires parentaux et familiaux dans ces transformations.

Ces évolutions introduisent une liberté de choix plus grande pour les individus et en même temps plus d’insécurité relationnelle, juridique, et économique que l’État cherche à encadrer (Gaudet et al., 2013).

Un second axe portera sur l’encadrement par l’État des parcours familiaux.

Face à ces nouveaux risques familiaux, l’État tente d’apporter de nouvelles sécurités juridiques et économiques pour encadrer des parcours familiaux plus labiles et complexes, en régulant les mises en couple et les séparations (Belleau, 2012), les congés parentaux (Gaudet, et al. 2011), les nouvelles formes de procréation et de parenté et les questions d’état civil qu’elles soulèvent, en apportant des sécurités juridiques aux enfants confiés et adoptés (Gouttenoire, 2014, Robin, 2020).

La notion de parcours devient un outil privilégié de l’État social (Astier & Duvoux, 2006) permettant d’organiser des procédures d’encadrement et d’accompagnement des parcours familiaux par les institutions. Ainsi, la notion de parcours mobilisée dans un contexte d’accroissement des incertitudes, où les trajectoires individuelles se font plus discontinues et les prises en charge plus complexes, vise à renouer avec le chemin de la continuité de l’expérience et des droits (Zimmermann, 2014).

Ce numéro thématique de la revue Enfances Familles Générations invite ainsi à questionner comment les pouvoirs publics intègrent ces nouveaux imaginaires et normes familiaux ? Proposent-ils par exemple de nouvelles structures d’encadrement ? Et en retour, comment les individus parviennent-ils à se conformer à ces impératifs ou à les détourner ?

Modalités de soumissions

Les propositions (résumés) doivent être soumises sur notre site pour le 13 octobre 2023. Veuillez sélectionner le titre du numéro thématique dans le formulaire de soumission. Les propositions d’article devront comprendre un titre provisoire, un résumé (1500 à 2000 caractères, espaces compris) et les coordonnées des autrice/teur·s. Les autrice/teur·s des propositions retenues devront remettre leur manuscrit au plus tard le 5 avril 2023Pour consulter les règles d’édition de la revue. Les manuscrits sont acceptés ou refusés sur la recommandation de la direction de la revue et des responsables du numéro après avoir été évalués à l’aveugle par deux ou trois lectrices/teurs externes.

Bibliographie

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Astier, I. et N. Duvoux. 2006. La société biographique : une injonction à vivre dignement, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales ».

Belleau, H. 2012. Quand l’amour et l’État rendent aveugle : le mythe du mariage automatique, Québec, Presses de l’Université du Québec.

Bessin, M. 1994, « La police des âges entre rigidité et flexibilité temporelles », Temporalités, no. 27/28, p. 8-15.

Bessin, M. 2009. « Parcours de vie et temporalités biographiques : quelques éléments de problématique », Informations sociales, no 156, p.12-21.

Bessin, M., et H. Levilain. 2012. Parents après 40 ans, Paris, Autrement.

Bessin, M. et H. Levilain. 2016. « Parents sur le tard », L’école des parents, no 618, p. 34-37.
DOI : 10.3917/epar.618.0034

Cavalli, S. 2007. « Modèle de parcours de vie et individualisation », Gérontologie et société, no 123, p. 55-69.

Charton, L. 2005. « Diversité des parcours familiaux et rapport au temps », Liens social et politiques, no 54, p. 65-73.

Charton, L., L. Duchesne, D. Lemieux et F.-R. Ouellette. 2015. « Un retour des patronymes au Québec, 2005- 2010 : Au-delà des chiffres, des discours complexes entre égalité, identité et filiation », Cahiers Québécois de démographie, vol. 44, no 1, p. 5-34.

Charton, L. et A. Panaite. 2021. « Quand l’enfant désiré ne vient pas : des deuils aux stratégies », dans Couples, enfants et projets familiaux : de l’imaginaire à la réalité, sous la dir. de L. Charton et C. Bayard, Montréal, Presses de l’Université du Québec, p. 99-121.

Collet, B. 2020. « La mixité conjugale à l’heure de la mondialisation : Réalités contrastées entre individualisation et tradition », dans Faire couple, une entreprise incertaine: Tensions et paradoxes du couple moderne, sous la dir. de G. Neyrand, Toulouse, Érès, p. 127-144.

Combessie, P. 2013. « Quand une femme aime plusieurs hommes : le taire ou le dire ? », Ethnologie française, vol. 43, p. 399-407.
DOI : 10.3917/ethn.133.0399

Elder, G. H. 1999 (1974). Children of the great depression (25th anniversary ed.), Chicago, University of Chicago Press.
DOI : 10.4324/9780429501739

Gaudet, S. 2013. « Comprendre les parcours de vie à la croisée du singulier et de la structure sociale », dans Repenser la famille et ses transitions repenser les politiques publiques, sous la dir. de S. Gaudet, N. Burlone et M. Lévesque, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 15-50.

Gaudet, S., Burlone, N., Lévesque, M. 2013. Repenser la famille et ses transitions repenser les politiques publiques, Québec, Presses de l’Université Laval.

Gouttenoire, A. 2023. « Évolutions de la famille et du droit de la famille », Recherches familiales, vol. 1, no 20, p. 105-113.

Gross, M. 2011. « Coparentalité : le coût de l’altérité sexuelle dans l’homoparentalité », Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, vol. 2, no 47, p. 95-110.

Guillemard A.-M., 2008. Où va la protection sociale ?, Paris, Presses universitaires de France.

Khoury, D. et G. Neyrand. 2020. « Introduction », dans Faire couple, une entreprise incertaine: Tensions et paradoxes du couple moderne, sous la dir. de G. Neyrand, Toulouse, Érès, p. 7-16.
DOI : 10.4000/syria.9633

Kohli, M. 1986. « The World we Forgot: a Historical Review to the Life Course », dans Later Life: the Social Psychology of Aging, sous la dir. de V. W. Marshal, Londres, Sage Publications, p. 271-303.

Lavoie, K. 2023. « Les maternités assistées par gestation pour autrui ou par don d’ovules : un modèle compréhensif », Recherches familiales, vol. 1, no 20, p. 41-53.

Merla, L. 2016. « Familles transnationales, familles solidaires », Informations sociales, vol. 3, no 194, p. 62-70.
DOI : 10.3917/inso.194.0062

Négroni, C. 2018. « Bifurcations conjugales, remises en couple et place de l’enfant : donner du temps au temps, pour inventer d’autres configurations familiales », Enfances, Familles, Générations, no 29.

Négroni, C. 2022. « Sociologie du parcours de vie. Analyser les logiques biographiques et les pratiques institutionnelles » (intro.), dans Parcours de vie, Logiques individuelles, collectives et institutionnelles, sous la dir. de C. Négroni et M. Bessin, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, p. 11-31.

Neyrand, G. 2020. « Le couple hypermoderne ou l’avenir d’une illusion », dans Faire couple, une entreprise incertaine: Tensions et paradoxes du couple moderne, sous la dir. de G. Neyrand, Toulouse, Érès, p. 17-36.
DOI : 10.3917/eres.neyra.2020.01.0017

Régnier-Loilier, A. 2023. « Un demi-siècle d’évolution du couple et de la famille en France. Panorama démographique », Recherches familiales, vol. 1, no 20, p. 83- 103.

Robin, P. 2020. L’enfant de personne, À l’épreuve du placement et de sa sortie, Nîmes, Champ social éditions, coll. « Questions de sociétés ».
DOI : 10.3917/chaso.robin.2021.01

Robin, P. 2022. « Saisir les parcours de vie en protection de l’enfance : entre tentative d’encadrement politique et recherche de compréhension scientifique », dans Parcours de vie, Logiques individuelles, collectives et institutionnelles, sous la dir. de C. Négroni et M. Bessin, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, p. 225-238.

Saint-Jacques, M-C. et C. Robitaille (dir.). 2023. La séparation parentale et la recomposition familiale dans la société québécoise : les premiers moment, Québec, Presses de l’Université Laval.

Séraphin, G. 2014. « Pour une autre politique de l’enfance et de la famille : Lecture de quatre rapports récents », Esprit, no 12, p. 91-106.

Singly de, F. 2003. Les uns avec les autres. Quand l’individualisme crée du lien, Paris, Armand Colin.

Villac, M., P. Strobel & J. Commaille. 2002. La politique de la famille, Paris, La Découverte.
DOI : 10.3917/dec.comma.2002.01

Weber, F. 2005. Le sang, le nom, le quotidien. Une sociologie de la parenté pratique, Montreuil, Aux Lieux d’être, coll. Mondes contemporains.

Zimmermann, B. 2014 (2011). Ce que travailler veut dire. Une sociologie des capacités et des parcours professionnels, Paris, Économica, coll. « Études sociologiques













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