Le
RT1 invite à proposer des communications abordant la façon dont les enjeux environnementaux interrogent ou transforment les savoirs et les identités des groupes professionnels, selon les trois axes suivants :
Axe 1 : Crise environnementale et critique des savoirs professionnels
Axe 2 : Les professionnels et leur environnement de travail
Axe 3 : Problématiques environnementales et valeur sociale des groupes professionnels
Axe 4 : Les concurrences autour des définitions de l’excellence professionnelle
1- Crise environnementale et critique des savoirs professionnels
Les groupes professionnels, en particulier ceux que l’on désigne comme « professions scientifiques et techniques », mais plus largement l’ensemble des professionnel·les en charge de l’aménagement de l’espace et des territoires, sont par excellence les porteurs des savoirs et des techniques par lesquels les sociétés se construisent elles-mêmes en agissant sur leur environnement. Ces savoirs, historiquement monopolisés par les hommes, leur ont donné accès à des positions de pouvoir en tant que partie prenante de bureaucraties, de technocraties ou de biopouvoirs.
Les catastrophes écologiques et la dégradation générale de l’environnement jettent le doute sur leur maîtrise réelle de la nature, et alimentent une critique qui rejoint d’autres mises en cause de leur pouvoir. Le premier axe d’interrogation concerne donc les modalités et les acteurs de la critique du pouvoir des professionnels.
Il s’agit d’abord d’identifier les professions ou les segments visés par les contestations et les critiques mais aussi de savoir s’ils sont visés comme professionnels, mis en cause dans leurs savoirs, leur éthique, leur utilité sociale, ou dénoncés de façon plus diffuse comme exécutants de décisions prises en dehors d’eux. Les acteur·ices, de leur côté, se mobilisent-ils en tant que profanes (citoyen·nes, usager·es, militant·es...) ou en tant que membres d’autres groupes professionnels ? Cette critique est aussi interne, interrogeant le bien fondé des pratiques et des normes déontologiques : dans quelle mesure la conscience environnementale des professions scientifiques et techniques et de l’aménagement conduit-elle à des débats, des remaniements du mandat revendiqué et des normes professionnelles ? Ces prises de conscience se traduisent-elles par l’émergence de nouvelles figures professionnelles, de nouveaux segments porteurs d’autres savoirs et revendiquant d’autres mandats ?
Dans la mesure où la critique écologique est concomitante d’avancées importantes en matière de féminisation et de mixité, il y a lieu de se demander si la féminisation s’accompagne de pratiques différentes en matière d’environnement : peut-on observer un lien entre le genre et le rapport des professionnel·les à l’environnement ? se traduit-il par des écarts perceptibles en termes d’émissions de carbone ou d’empreinte écologique ?
La portée des changements induits par la prise de conscience écologique doit être étendue aussi aux modalités de formation et de socialisation professionnelle : dans quelle mesure les problématiques environnementales sont-elles intégrées aux contenus de formation, à la figure du ou de la professionnel·le véhiculée par les instances de formation ? donne-t-elle lieu à des spécialisations et certifications spécifiques ou se diffuse-t-elle de manière générale dans les situations de formation ? De quelle manière est-elle reçue par les étudiant·es et professionnel·les en formation ?
Ces interrogations relatives aux professions scientifiques et techniques et aux professionnel·les en charge de l’aménagement des territoires peuvent être élargies à l’ensemble des groupes professionnels : quelle forme de conscience environnementale développent-ils, quelle est son incidence sur leurs pratiques et leurs normes, de quelle façon est-elle exprimée par leurs organisations et leurs porte-paroles ? quelles résistances et oppositions rencontre-t-elle ? quels enjeux et tensions fait-elle naître ?
2- Les professionnel·les et leur environnement de travail
Exercer un métier, ce n’est pas seulement appliquer des savoirs formels, appris en formation, mais c’est aussi cultiver son intuition, écouter son expérience, entrer en relation à la fois cognitive et sensorielle avec son environnement de travail. Ce deuxième axe propose de s’intéresser plus spécifiquement aux rapports concrètement entretenus par différents groupes professionnels à leur environnement de travail, entendu ici dans un sens qui ne se réduit pas à un cadre « naturel » mais comprend un ensemble d’éléments sociaux et naturels indissolublement imbriqués.
Les partenaires du travail, professionnel·les ou profanes, font partie de cet environnement de travail, autant que les outils, les matériaux, le paysage ou les bâtiments au sein desquels il se déroule. Chaque groupe professionnel est ainsi producteur d’une forme d’habitacle spatial et temporel accessible à ses membres, au sein duquel ils construisent leur rapport personnel à l’environnement, dimension constitutive de l’identité et du « drame social » du travail, avec ses lieux, ses sons, son décor, ses personnages familiers, mais aussi ses normes, ses rites et routines. Ces composantes de l’ethos professionnel s’inscrivent sous forme d’atteintes ou de gestes protecteurs dans la relation quotidienne des professionnel·les à leur environnement naturel, et permettent de construire une sorte de portrait écologique de chaque professionnel·le, différent de ce révèlent des outils de mesure tels que le bilan carbone, car il est fait de l’imbrication de pratiques et de représentations.
Certains groupes professionnels ou certaines situations d’exercice se caractérisent par le contact direct avec « la nature », et il sera intéressant d’en expliciter les formes et les significations, mais, de manière plus large, il s’agit d’ouvrir la perspective à l’ensemble des rapports avec la nature, l’air, les plantes, les animaux, ou simplement le cadre urbain, établis dans le cadre de l’exercice de leur métier : quelle place, quel sens prennent ces dimensions de l’environnement de travail dans la vocation, le bien-être ou mal-être au travail, l’identité professionnelle ?
Un autre angle d’approche concernera les luttes pour l’accès aux espaces naturels dans lesquels ils déploient leurs activités. Il s’agit cette fois de considérer les « territoires professionnels » de façon littérale, en s’intéressant à la coexistence pacifique ou conflictuelle d’activités similaires ou concurrentes dans un même espace ou à ses frontières physiques ou symboliques.
3- Problématiques environnementales et valeur sociale des groupes professionnels
L’impact écologique des activités humaines dans différents métiers tend à devenir un nouveau critère d’évaluation de la valeur sociale des professions. L’association à des activités destructrices de biodiversité, à des consommations générant des déchets, à des pratiques de déplacement engendrant des émissions de gaz à effets de serre suscitent des interrogations, voire contribuent à la désignation et à la stigmatisation de certains groupes professionnels. On pourra s’interroger sur les conséquences de cette stigmatisation, mais aussi sur les effets concrets, en termes de santé au travail, d’emploi, de perspectives d’avenir de ces activités sur les professionnel·les concernés et sur la manière dont ils tentent de se protéger et de réduire les risques et nuisances. Au-delà des cas de conflit entre professions stigmatisées et institutions ou organisation de défense de l’environnement, il s’agit également d’analyser les situations de concertation, les modalités de négociation et de coopération associant ces acteurs au sein de projets à visée écologique.
A l’inverse, revendiquer une expertise en matière de réduction des nuisances des activités humaines sur l’environnement ou un engagement en faveur de la responsabilité sociale des entreprises peut être le levier d’une valorisation de groupes ou segments professionnels, aussi bien en termes symboliques qu’en termes matériels et économiques d’accès à de nouveaux marchés et territoires professionnels, tant au niveau local qu’international.
Dans la mesure où la prise en charge des questions environnementales exige souvent l’appel à des expertises spécifiques, on s’interrogera sur les coopérations interprofessionnelles mises en place à l’occasion de projets revendiquant une dimension écologique : ces situations sont-elles porteuses d’hybridations des savoirs, d’alliances entre groupes professionnels ou entre segments ? Font-elles émerger de nouvelles configurations des « écologies liées » au sein du système des professions ?
De manière générale, on pourra s’intéresser également aux reconfigurations du système des professions issues des perturbations dues aux problèmes environnementaux, notamment avec la multiplication de normes, règles et certifications environnementales : quel·les professionnel·les s’en trouvent affaibli·es, quelles opportunités offrent-elles à d’autres ? De quelle façon les « écologies liées », avec leur système d’alliances et d’oppositions, s’en trouvent-elles modifiées ?
Une question analogue peut se poser au plan des carrières : quels freins, quelles opportunités nouvelles se présentent aux professionnel·les, quels dilemmes, quels tournants de leur vie professionnelle font-ils naître ? Dans le cas particulier des métiers en charge des questions d’environnement, quelles tensions apparaissent entre les intérêts et logiques de l’organisation et les enjeux écologiques ? De quelle manière sont-elles vécues et formulées ?
4- Les concurrences autour des définitions de l’excellence professionnelle
Cet axe se propose de partir de la question : qu’est-ce qu’un bon professionnel ? pour tenter d’articuler la sociologie des groupes professionnels aux approches bourdieusiennes de la notion de champ. Cette perspective, qui conduit à penser les différentes luttes de définition, à la fois internes et externes, les pratiques ou encore les savoirs-faire et les savoirs-être qui participent des revendications de professionnalisme, comme inséparables de systèmes structurés de positions et des dispositions des acteurs qui les occupent (Bonelli, Lemaire et Proteau, 2021), constitue aussi une approche intéressante des inégalités écologiques qui sont au cœur de ce congrès.
Parfois, c’est la connaissance par le corps de l’environnement qui fonde l’autorité. Les pompiers en charge des feux de forêt transposent dans leur métier les compétences physiques et pratiques qu'ils tirent de leur enfance rurale. De la même manière, les policiers se définissant comme des « chasseurs » mettent en avant une habileté à maitriser la topographie de l'espace urbain (notamment la nuit), qui fonde leur efficacité. A l’opposé, ce sont parfois des savoirs plus formalisés qui permettent d’articuler la maîtrise de l’environnement physique et l’activité professionnelle. L’écriture de notes, l’élaboration de cartes ou de statistiques sont autant de manière de construire et d’organiser la réalité sociale afin d’agir sur celle-ci. Dans d'autres cas encore, c'est la détention d’une expertise garantie par des titres scolaires qui assure une position professionnelle dominante, même si celle-ci est en permanence retravaillée par une adaptation à l’environnement local, à laquelle les agents sont plus ou moins disposés en fonction de leur trajectoire.
En faisant dialoguer des contributions portant sur des terrains différents, il s’agira dans cet axe de revenir à nouveaux frais sur des notions comme capital, ethos ou habitus professionnel, pour, en montrant la manière dont ils se composent et se recomposent, étudier comment ils se transfèrent (ou pas) et comment ils se déploient dans des configurations qui contribuent à expliquer les inégalités de position au sein d’espaces professionnels traversés par les enjeux environnementaux.
Bibliographie indicative
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The system of professions: An essay on the division of expert labor. The University of Chicago Press.
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Arborio Anne-Marie (2013) « Histoires de vie, archives et observation du travail au service d'une étude sur les carrières professionnelles », dans Perrenoud Marc (dir.),
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Arpin Isabelle, Bouleau Gabrielle, Candau Jacqueline, Richard-Ferroudji Audrey (2015)
Activités professionnelles à l'épreuve de l'environnement, Toulouse, Octarès Editions.
Bercot Régine, Divay Sophie et Gadea Charles (dir.) (2012),
Les Groupes professionnels en tension. Frontières, tournants, régulations, Toulouse, Éditions Octarès.
Bonelli Laurent, Lemaire Élodie et Proteau Laurence (2021) « Pour une sociologie du champ policier »,
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Cukier Alexie, Gaboreau David, Gay Vincent (dir.) (2023) « Travail et écologie »,
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Darmon Muriel (2008) « La notion de carrière : un instrument interactionniste d’objectivation »,
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Demaziere Didier, Gadea Charles (dir.) (2009)
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Desmond Matthew (2006)
On the Fireline. Living and Dying with Wildland Firefighters. Chicago, The University of Chicago Press.
Desrosières Alain (1993)
La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte.
Freidson Eliot (2001)
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Laufer Jacqueline, Fouquet Annie (2001), « À l’épreuve de la féminisation », dans Bouffartigue Paul (dir.),
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Sitnikoff Françoise, Assegond Christèle, Chazal Hélène (2023)
Vignes et vignerons. Évolution des métiers, des pratiques et des territoires, Tours, Presses Universitaires François Rabelais.
Modalités pratiques de soumission
Les propositions de communication ne doivent pas dépasser
4 000 signes, titre et bibliographie inclus.
Elles devront porter sur un ou plusieurs groupes professionnels identifiés – quel que soit leur degré de structuration – et mobiliser les concepts associés à cette sociologie. Elles doivent faire état de la méthodologie utilisée et des données empiriques sur lesquelles elles s’appuient.
Les propositions de communication doivent être
déposées sur le site internet de l'AFS :
https://afs-socio.fr/rt/savoirs-travail-professions/
Date limite de soumission des propositions :
17 janvier 2025
Réponse aux autrice.eur.s : fin février 2025
Évaluation : Chaque proposition est lue par deux membres du RT1 qui émettent un avis ; la sélection finale se fait sur la base d'une décision collective arrêtée dans le cadre du bureau du RT1.
Contact en cas de besoin :
rt1afs@protonmail.com
Participation au congrès
Pour participer au Congrès, il faudra adhérer à l’AFS et s’acquitter de droits d’inscription. Lors du précédent Congrès de 2023, l’adhésion s’élevait à 41€ pour les non-titulaires et 103€ pour les titulaires ; l’inscription au Congrès à 61€ pour les non-titulaires et 152€ pour les titulaires. Les tarifs pour le Congrès de Toulouse seront légèrement plus élevés (inflation). Les collègues non-titulaires qui ne peuvent être
financé.es par leur laboratoire pourront, sur présentation de dossier, être
exonéré.es des droits d’inscription et bénéficier d’une aide pour le transport et le logement. La procédure pour la demande d’exonération des droits d’inscription sera précisée plus tard.
L’accès au Congrès se veut le plus inclusif possible :
* Des dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles seront mis en place.
* Si vous avez besoin de services d’accompagnement en raison d’une situation de handicap, vous pourrez le signaler dans le cas où votre communication est retenue. Le comité d’organisation mettra tout en œuvre pour essayer de répondre à vos demandes.
* Si vous avez besoin de services de crèche pendant le Congrès vous pourrez le signaler au moment de l’inscription. Le comité local essayera de proposer un mode de garde.