Session thématique : « L’ethnographe au travail : enjeux épistémologiques, méthodologiques et éthiques »
La pratique de l’ethnographie est largement partagée et valorisée dans notre discipline : dans nombre de nos formations en sciences sociales, les étudiants sont amenés à s’éprouver dans la réalisation d’enquêtes et la plupart des mémoires ou des travaux de recherche engagés dans la production et l’analyse de données qualitatives ont aujourd’hui recours à un « temps » ethnographique plus ou moins poussé, articulé ou non à d’autres méthodes de collectes de données, que celles-ci soient de facture quantitative, qualitative ou encore archivistique.
L’ethnographie est une méthode d’enquête en sciences sociales qui enjoint les chercheurs à avoir partie liée avec les activités, les discussions et les relations se déployant dans un univers donné. Ainsi, les ethnographes se caractérisent par le fait qu’ils partagent, autant que faire se peut, les activités quotidiennes des personnes qui peuplent les institutions, les lieux ou les organisations qui constituent leur(s) terrain(s) d’enquête. Contrairement à d’autres méthodes d’enquêtes qui saisissent le monde social à travers les déclarations des enquêté.es (enquête par questionnaire ou entretiens qualitatifs), l’ethnographie valorise ainsi l’observation directe, faisant ainsi le pari que l’implication du chercheur au plus près des enquêté.es et des milieux étudiés favorise la production de données denses, riches et sensibles, susceptibles d’autoriser des analyses nuancées des phénomènes étudiés.
La nécessaire proximité entretenue par le chercheur avec les personnes enquêtées a nourri une solide tradition réflexive dont les publications en sciences sociales se font le plus souvent l’écho. La prise en compte de la place de l’enquêteur.trice, de son rapport à l’objet, de la qualité des liens entretenus avec les enquêté.es et des position.s qu’il a pu occuper sur le « terrain », la mise en question des caractéristiques socio-genrées et ethnoraciales de l’enquêteur.trice et l’étude de la façon dont ces dernières peuvent travailler la collecte et l’analyse des données ethnographiques font aujourd’hui l’objet de questionnements réguliers en séminaires, soutenances et comité de thèse contribuant à questionner ce que faire de l’ethnographie veut dire : le temps de présence sur le « terrain », les modalités d’implication des chercheurs et la définition même de ce que l’on peut entendre par « terrain » alimentent des échanges nourris sur ce qui peut être attendu dans une « vraie » ethnographie.
Pour alimenter ces réflexions sur « ce que faire de l’ethnographie veut dire », la session thématique L’ethnographe au travail : enjeux épistémologiques, méthodologiques et éthiques se propose d’offrir un espace d’échange, de discussion et de confrontation sur le travail de l’ethnographe aujourd’hui, depuis la « fabrique » des données ethnographiques jusqu’aux enjeux de leur écriture, de leur diffusion et de leur valorisation dans le champs scientifique et éditorial. Nous aimerions focaliser cette session thématique sur la figure de l’ethnographe au travail dans les différentes phases de production, de traitement et de diffusion des données que cette méthode permet de collecter. Par travail, il s’agit tout à la fois d’échanger sur les pratiques de terrain et les stratégies adoptées concrètement pour y collecter et construire des données, mais aussi sur les opérations proprement intellectuelles,sociologiques et éthiques qui autorisent la construction de l’objet et les opérations analytiques associées.
Dans cette optique, la session thématique valorisera les propositions portées par une pratique de l’ethnographie adossée à une réflexivité multi-niveau : méthodologique, épistémologique,théorique et éthique.
Le premier niveau est celui d’une réflexivité méthodologique attentive à la mise au jour de la nature du travail qui se déploie lors des temps ethnographiques de l’enquête (prise de position sur le terrain et gestion des relations aux enquêté.es, collecte et constitution de matériel et de données qualitatives et/ou quantitatives, pratiques et choix d’écriture sur le terrain, stratégies de publications).
Le deuxième niveau de réflexivité engage quant à lui un registre plus épistémologique attentif à adosser la pratique de l’enquête aux outils conceptuels mobilisés dans l’analyse. Il s’agit ici de systématiser les réflexions sur l’ajustement des méthodes et positionnements de terrain aux enjeux conceptuels associés aux notions plus largement mobilisées dans l’analyse. Par exemple, en quoi le fait de s’inscrire dans une sociologie des rapports de domination, ou en sociologie du genre, travaille-t-il les prises de parti méthodologiques sur le terrain ? En quoi le recours à certains concepts (champ, épreuve, habitus, etc.) commande-t-il une pratique d’enquête et une mise au travail spécifique sur le terrain ?
Un dernier niveau d’analyse, que l’on qualifiera ici de théorique, invite quant à lui à réfléchir à la façon dont on peut inscrire les observations et les pratiques saisies au niveau micro dans un espace social, historique et institutionnel plus large. Quelles sont les conditions de possibilité de la montée en généralité ? Qu’est-ce que penser par cas ? Il s’agit ici de plus systématiquement veiller à interroger la façon dont on réintroduit la question de l’espace social (dans sa dimension relationnelle, structurale et historique) et ce dès la collecte et la construction des données ethnographiques.
L’ambition de cette session thématique est bien de plonger dans la dimension tout à la fois pratique et intellectuelle du travail de l’ethnographe et de favoriser la formulation et la clarification des enjeux épistémologiques associés aux choix et aux arbitrages opérés sur le terrain en sensibilisant les ethnographes à la réflexion épistémologique et à la maitrise des enjeux scientifiques associés à telle ou telle posture d’enquête, à tel ou tel type de rapport à l’objet, aux enquêtés et aux problématiques auxquels ils font face, au choix de tel ou tel type d’espace ou d’institution investiguée, aux choix des temporalités d’enquête, etc. Les propositions doivent ainsi mettre l’accent sur ces aspects de la recherche en train de se faire et ne pas se centrer sur les seuls résultats obtenus.
Deux axes pourront être suivis dans les propositions :
Session 1 : L’ethnographe au travail : épistémologie et pratique de l’enquête ethnographique.
Cette session est spécifiquement consacrée travail de l’ethnographe sur le terrain (collecte et/ou production de données, conquête d’une position sur le terrain, réflexivité au service de l’analyse). Les propositions doivent s’inscrire dans une approche réflexive du travail réalisé sur le terrain d’enquête et plus particulièrement sur la façon dont est envisagée l’articulation entre terrain et montée en généralité.
Session 2 : L’ethnographie, enjeux éthiques et juridiques.
Cette session portera sur les enjeux éthiques et institutionnels associés à la pratique de l’ethnographie : y seront abordées notamment les questions associées à la RGPD des données qualitatives et aux questions d’intégrité scientifique. Les communications retenues mettront donc l’accent sur les aspects éthiques, déontologiques, voire juridiques de la pratique ethnographique.
***
Cette session thématique s’inscrit dans la volonté de fédérer un pôle d’ethnographes en SHS en France pour offrir un cadre institutionnel au sein de l’AFS en plus des nombreux échanges nationaux et internationaux de divers ordres (séminaires, colloques, doctoriales, publications, etc.) qui se sont multipliés ces dernières années autour de la pratique, de la diffusion et de la légitimation de l’ethnographie en sciences sociales, notamment en sociologie et science politique. Parce que l’enquête ethnographique est humainement exigeante et couteuse en temps, celle-ci induit, plus que d’autres méthodes d’enquête en sciences sociales, des formes de disponibilité biographique importantes qui amènent concrètement les plus jeunes chercheures et chercheuses de la profession à assurer le déploiement de ces types d’enquête, le plus souvent dans des contextes de précarité ou d’instabilité professionnelles et économiques. Nous encourageons ainsi vivement les doctorant.es, docteur.es et post-doctorant.es ayant une expérience récente de la réalisation d’une enquête de facture ethnographique à nous adresser leurs propositions.
Cette session thématique fera suite aux travaux collectifs menés au sein d’une École thématique CNRS « Ethnographie » qui se déroulera en juin 2025.
Comité d’organisation : Christel Coton (MCF Paris 1), Amélie Beaumont (CR CMH), Ana Portilla (PostDoc ERC), Romain Pudal (DR Cerlis)
Pour répondre à cet appel à communication, merci de vous connecter :