À l’heure où les algorithmes orientent des dimensions sans cesse plus nombreuses de nos existences - éducation, médecine, police, justice, surveillance, médias… -, cette session thématique met en dialogue une pluralité de propositions théoriques et méthodologiques émergentes qui placent ces dispositifs au cœur de leurs réflexions. La session réunira des chercheur·e·s autour d’une interrogation principale : à quelles conditions les algorithmes peuvent-ils constituer un objet pour la sociologie ?
La première ambition consiste à réinscrire les dispositifs algorithmiques parmi les objets classiques des sciences sociales afin d’en restituer l’épaisseur, par delà la nouveauté. Ce geste invite à les repositionner dans des chaînes de production et dans leurs infrastructures matérielles (Bowker et Star, 2000), mais aussi à analyser leurs ancrages dans des luttes et des rapports sociaux, ainsi que les grands récits qu'ils embarquent (Beltrame et Peerbaye, 2018). La trajectoire des algorithmes et leurs effets sont façonnés par les contextes de production et d’utilisation. Si leur déploiement s'accompagne d'une rhétorique de la "rupture", différents travaux donnent à voir comment ces dispositifs reconduisent, voire durcissent, les normes sociales préexistantes (Romele, 2023). Les algorithmes peuvent en effet consolider des rapports de domination, renforcer la division du travail et légitimer les frontières entre travail prestigieux et « sale boulot » (Christin 2020). Mais les cas de résistances ou de détournements de ces outils sont tout aussi pertinents à analyser, comme les utilisations volontairement sporadiques des outils prédictifs, le data activisme, la perturbation des recueils des données ou leur reclassage manuel (Brayne et Christine, 2021 ; Kang et Hudson, 2024). Leur utilisation peut aussi conduire à questionner des catégorisations ou des pratiques existantes, en les visibilisant (D’Ignazio & Klein 2020). Le recours à des perspectives théoriques diverses, ancrées dans les infrastructure studies, les STS, l’analyse des rapports sociaux (de genre, de classe et de race, etc), la sociologie du travail, permettra également d’enrichir l’espace théorique de discussion sur le cadrage de l’analyse des algorithmes.
La seconde ambition de cette session thématique consiste à tester la validité des méthodes traditionnelles des sciences sociales de recueil de données et d’analyse pour l’étude des algorithmes. Dans la filiation des ethnographies pionnières (Forsythe, 1993 ; 1999) et de recherches plus récentes (Beaudouin & Velkovska, 2023 ; Christin 2017 ; 2020 ; Jaton 2020 ; 2021, Vayre, 2018), cette session cherchera à analyser les enjeux que la présence des chercheuses et chercheurs sur le terrain pose à l’étude des algorithmes. Nous traiterons de stratégies parfois opposées, entre des appels à la nécessité de construire des outils “sur mesure” (Benbouzid, 2017), le recours à des méthodes elles-mêmes algorithmiques (Richard et al., 2022) et l’exploration des possibilités qu’offrent déjà l’ethnographie, les entretiens, l’analyse d’archives, la cartographie, la quantification, etc.
La session offrira ainsi un espace de discussion des points convergents ou invariants entre différents positionnements théoriques, méthodologiques et terrains d’enquête. Nous encourageons les communications à engager la réflexion autour de deux questionnements :
1. De quelle façon ces algorithmes sont-ils saisis par l’enquête : quelle forme prend l’objet de recherche et par quels biais est-il abordé ? Qu’évoque-t-on lorsque l’on traite des algorithmes ? S’agit-il de discours et imaginaires, de pratiques, d’infrastructures techniques, de réseaux professionnels, de rapports sociaux, de cartographies ? Comment articuler dans les enquêtes les éléments hétérogènes qui composent ces dispositifs ?
2. Quels (sous)domaines de la sociologie ces enquêtes sur les algorithmes mobilisent-elles, et que disent-elles des thématiques centrales de ces champs de recherche ? Par exemple, qu’est-ce que ces objets éclairent (ou pas !) en matière de sociologie politique, de la santé, etc.
Les interventions proposées dans cette session pourront s’appuyer sur une variété de contextes liés aux algorithmes et donc concerner des travaux portant par exemple sur le développement de ces outils, leurs usages, leurs réceptions. Elles pourront ainsi traiter des groupes sociaux et professionnels impliqués, des infrastructures et des outils mobilisés, des cadrages, écritures et les imaginaires relatifs aux algorithmes, de leurs ancrages matériels et géographiques, des pratiques qui y ont trait, etc. Les communications pourront en particulier s’organiser autour des trois axes suivants :
- Le développement des outils d’IA et les cadrages nécessaires au fonctionnement des algorithmes. Quelles logiques sociales concourent à produire ces outils sociotechniques ? Quelles infrastructures les sous-tendent ? Dans quels imaginaires, marchés, contextes organisationnels, s’insèrent les pratiques de conception ? À partir de quelles données sont-ils effectivement développés ? Comment et par qui sont-ils entraînés ? - Les (non-)usages et les appropriations des technologies d’IA et les implications de l’automatisation à la fois en termes organisationnels et épistémiques. Quels (non)effets observe-t-on sur les rapports sociaux et les milieux professionnels dans lesquels les outils d’IA sont introduits ? Les enquêtes témoignent-elles de déplacements de l’expertise et des mandats professionnels ? Quelles marges de manœuvre pour celles et ceux qui s'en servent et quelles capacités critiques pour les personnes visées par les résultats ? Comment les usages de ces outils s'inscrivent-ils dans des luttes et rapports sociaux existants ? - La circulation des algorithmes, les agents et les infrastructures socio-techniques qui la rendent possible. Ces travaux peuvent concerner les objets et les collectifs impliqués dans la standardisation des outils (formats, nomenclatures, ontologies, consortiums) et les pratiques qui en assurent la diffusion. Quels sont les trajectoires - temporelles, géographiques, sociales, - des outils et les mécanismes mis en œuvre pour les adapter à des objectifs spécifiques ? Et à l’inverse comment des algorithmes produits localement sont uniformisés ou traduits pour qu’ils soient opérants dans plusieurs domaines et sites ? Qui, finalement, se charge de ces circulations ?Bibliographie sélective
Beaudouin V, Velkovska J., 2023, Enquêter sur l’« éthique de l’IA », Réseaux, 240, 9-27.
Benbouzid B., 2017, « Des crimes et des séismes. La police prédictive entre science, technique et divination », Réseaux, 6, 206, 95-123.
Bowker G.C., Star S.L., 2000, Sorting Things Out, Cambridge, Massachusetts, MIT Press. Christin A., 2017, « Algorithms in practice: Comparing web journalism and criminal justice », Big Data & Society, 4, 2. Christin A., 2020, « Algorithmic ethnography, during and after COVID-19 », Communication and the Public, 5, 3-4.
D’Ignazio C., Klein, F. 2020, Data Feminism, Cambridge: The MIT Press.
Forsythe D.E., 1993, « The Construction of Work in Artificial Intelligence », Science, Technology, & Human Values, 18, 4, 460‑479.
Forsythe D.E., 1999, « “It’s Just a Matter of Common Sense”: Ethnography as Invisible Work », Computer Supported Cooperative Work, 8, 1‑2, 127‑145.
Jaton F., 2020, The constitution of algorithms: ground-truthing, programming, formulating, Cambridge, Massachusetts, MIT Press.
Jaton F., 2021, « Assessing biases, relaxing moralism: On ground-truthing practices in machine learning design and application », Big Data & Society, 8, 1.
Richard A., Bastin G., Portet F., 2022, « Gendered News: Une approche computationnelle des écarts de représentation des genres dans la presse française », ⟨halshs-03604628⟩
Romele A., 2023, Digital Habitus. A Critique of the Imaginaries of Artificial Intelligence, New York: Routledge.
Seaver N., 2017, « Algorithms as culture: Some tactics for the ethnography of algorithmic systems », Big Data & Society, 4, 2.
Beltrame T., Peerbaye A., 2018. « Prendre soin des infrastructures. Introduction à la traduction de ‘L’ethnographie des infrastructures’ de Susan Leigh Star », Tracés, 35, 179-186.
Vayre J., 2018, « Les machines apprenantes et la (re)production de la société : les enjeux communicationnels de la socialisation algorithmique », Les Enjeux de l'information et de la communication, 19(2), p. 93-111.
Organisation
Giulia Anichini, Post Doctorante ISNS Cermes3 ;
Camille Girard Chanudet, Post Doctorante CNAM - CEET
Marie Le Clainche-Piel, Chargée de recherche CNRS, Cermes3 ;
Avec le collectif ETNA (Ethnographie des Algorithmes).
Composé de Giulia Anichini (Cermes3), Camille Girard-Chanudet (CNAM-CEET), Marie Ghis Malfilatre (Pacte), Marie Le Clainche-Piel (Cermes3) et Myrtille Picaud (CRESSPA-CSU), le collectif ETNA promeut des approches sociologiques et anthropologiques des algorithmes ancrées dans des enquêtes de terrain, attentives aux acteurs et actrices multiples engagé·e·s dans les chaînes menant de la conception aux usages de ces outils.
Envoi des propositions et des communications
Les propositions doivent mentionner les éléments suivants :
• Nom et prénom de la/des auteur·ice·s, adresse email
• Fonction et institution(s) de rattachement
• Titre de la communication
• Les propositions de communications (1 à 2 pages maximum) devront être déposées avant le 17 janvier 2025
Participation au congrès
Pour participer au Congrès, il faudra adhérer à l’AFS et s’acquitter de droits d’inscription. Lors du précédent Congrès de 2023, l’adhésion s’élevait à 41€ pour les non-titulaires et 103€ pour les titulaires ; l’inscription au Congrès à 61€ pour les non-titulaires et 152€ pour les titulaires. Les tarifs pour le Congrès de Toulouse seront légèrement plus élevés (inflation). Les collègues non-titulaires qui ne peuvent être financé·es par leur laboratoire pourront, sur présentation de dossier, être exonéré·es des droits d’inscription et bénéficier d’une aide pour le transport et le logement. La procédure pour la demande d’exonération des droits d’inscription sera précisée plus tard. L’accès au Congrès se veut le plus inclusif possible :
* Des dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles seront mis en place.
* Si vous avez besoin de services d’accompagnement en raison d’une situation de handicap, vous pourrez le signaler dans le cas où votre communication est retenue. Le comité d’organisation mettra tout en œuvre pour essayer de répondre à vos demandes.
* Si vous avez besoin de services de crèche pendant le Congrès vous pourrez le signaler au moment de l’inscription. Le comité local essayera de proposer un mode de garde.