L’actualité médiatique donne encore à voir les conflits sociaux dans les départements ultramarins, sous le prisme du trouble à l’ordre public et de l’insécurité. Jamais celles-ci ne sont abordées sous l’angle des enjeux environnementaux. Mayotte est abordée pour parler de questions migratoires, mais la crise de l’eau potable qui y fait rage ne fait pas l’actualité nationale. Les mobilisations en Martinique contre la vie chère se soldent en interpellations. Pourtant ces territoires sont régulièrement utilisés pour parler des questions environnementales. Ils concentrent la majorité de la biodiversité française et rendent possible le pouvoir de la France sur les zones économiques exclusives. De façon globale, ces territoires reçoivent une double injonction paradoxale : celle de la rentabilité de territoires désignés comme coûteux et celle d’une exemplarité sur les questions environnementales. Décrites sous le prisme du retard environnemental ou de la surconsommation, favorisant des discours stigmatisants sur la prétendue saleté des populations locales (ou leur incapacité à protéger un territoire), ces “possessions” françaises font l’objet des politiques de conservation en miroir des politiques extractivistes, qui invisibilisent les responsabilités (en termes d’impact de l’environnement et de contribution à sa protection) et les rapports de pouvoir. Les inégalités environnementales s’inscrivent dans le sillon des conséquences des modèles extractifs autant que dans la mise en œuvre de politiques environnementales prises dans les rapports de force de la colonialité de l'écologie.
Elles sont aussi des sites de tests ou laboratoires pour des expérimentations environnementales. Elles sont par ailleurs particulièrement exposées au changement climatique. La gestion des déchets y est complexe (notamment dans les contextes d’insularité), alors même qu’elle génère un marché fructueux dont les flux de marchandises ne sont pas remis en question sauf pour pointer la surconsommation des plus pauvres. Cette session transversale propose de traiter de la question des politiques environnementales Outre-mers comme une reconfiguration du rapport asymétrique “métropole-Outre-mers”.
Nous proposons d’aborder cette problématique sous les trois axes suivants (qui ne sont pas exclusifs).
AXE 1 : Extractivismes
Les territoires ultramarins sont profondément structurés par l’extractivisme, en tant que système d’exploitation des territoires et des personnes (plantations, activités minières, tourisme de masse…). Ils sont marqués par les conséquences de la concentration des déchets du système productif extractif et militaire (conséquences de l’extraction du Nickel en Nouvelle Calédonie, de l’or en Guyane, des plantations en Martinique et en Guadeloupe, pollutions plastiques concentrées dans des décharges sur des territoires insulaires…), dont nous invitons les travaux à documenter les inégalités environnementales induites. Cet héritage se superpose à de fortes pressions à l’écologisation des structures, prenant la forme d’une “mise aux normes” selon un discours de “retard à rattraper”. La France expose la place prépondérante des Outre-mers dans la richesse de la diversité biologique de ses territoires, et n’hésite pas à couvrir les espaces maritimes ultramarins d’aires protégées dans sa politique de quotas. Comment ces injonctions se traduisent-elles, dans un contexte d’exclusion historique des territoires ultramarins des politiques publiques de santé environnementale (surveillance des pollutions, utilisation des pesticides, essais nucléaires, potabilisation et accès à l’eau…) ? Comment les administrations de conservation et de gestion de l’environnement fonctionnent-elles? Comment travaillent-elles les asymétries de pouvoir générées par le “circuits Outre-mers” favorable à l’emploi des travailleurs de l’Hexagone ? En quoi les politiques environnementales portées dans les Outre-mers – mais aussi les initiatives privées, qu’elles soient technoscientifiques ou associatives – reproduisent-elles diverses formes de colonialité du savoir et du pouvoir ? Comment cette écologie est-elle dénoncée, par quels collectifs, quelles alliances et pour proposer quels contre-modèles, quelles résistances ? Dans des territoires historiquement structurés vers l'importation de biens, la lutte contre la vie chère et la valorisation du manger local sont conjointement réactivées – les travaux qui s’intéressent aux initiatives d’autonomie alimentaire et aux diverses formes de mobilisations sont ici les bienvenues.
Nous invitons également les communications à s’intéresser aux diverses formes d’extractivismes scientifiques à l'œuvre dans les Outre-mers, en analysant par exemple les pratiques de collecte de données et les infrastructures de recherche – notamment environnementales. En quoi la recherche environnementale conforte ou travaille-t-elle la place des Outre-mers comme lieux d’extractions de données par des Hexagonaux de passage, qui les analysent et en font des produits de savoirs valorisables à l’extérieur ? Les travaux qui questionnent la place des Outre-mers dans la production des savoirs, leur institutionnalisation en territoires “test” (de la gestion des risques, des innovations, de l’observation scientifique…) sont ici les bienvenus.
AXE 2 : Reconfigurations de l’État
Les territoires d’outre-mer français représentent une ligne de fracture politique où convergent les luttes pour la justice sociale, écologique et territoriale. Face à des crises environnementales de plus en plus fréquentes – qu’il s’agisse du scandale du Chlordécone, des dommages massifs causés par les ouragans d’Irma et Maria en 2017, l’invasion des algues sargasses ou des démoustications massives en contexte de transmission accrue des maladies vectorielles – l’action régalienne de l’État se présente comme indispensable.
Cependant, cette intervention de l’État central à sa marge s’inscrit également dans un contexte où les gouvernements successifs affichent depuis vingt ans une volonté de renforcer les dynamiques partenariales avec les acteurs ultramarins. L’autonomisation progressive des collectivités territoriales avec des statuts nouveaux et la décentralisation des services publics traduisent également cette aspiration à des relations plus équilibrées.
Les mobilisations récentes, qu’elles concernent la vie chère ou les revendications politiques d’autonomie et d’indépendance, rappellent que la conception d’un État outre-mer partenarial se heurte à ces attentes multiples et parfois ambivalentes.
Dans cette perspective, les crises environnementales deviennent une occasion d’interroger la place des territoires d’outre-mer dans l’organisation de l’État français : laboratoires d’innovation politique et écologique, périphéries éloignées ou zones de tension récurrentes ?
La réponse aux crises environnementales est-elle également intégrée dans le cadre d’une stabilisation de ces territoires ? Quelles catégories d’intervention l’État peut-il mobiliser pour anticiper et répondre aux risques environnementaux dans ces territoires ?
Ces questions soulignent la nécessité d’une réflexion approfondie sur le rôle de l’État dans la formulation des problèmes publics environnementaux en outre-mer. Les crises environnementales redéfinissent-elles les rapports entre l’État et les collectivités locales ? À quel point les mobilisations environnementales remettent-elles en cause la légitimité de l’État dans ces territoires ? Plus largement, les réponses apportées aux défis écologiques dans les outre-mer cherchent-elles à préfigurer de nouvelles formes de gouvernance pour la gestion des crises environnementales à l’échelle nationale ?Ces questions invitent à repenser les cadres d’intervention de l’État, non seulement pour mieux répondre aux risques environnementaux, mais aussi pour redéfinir les relations entre centre et périphérie, dans un contexte où l’urgence climatique transforme radicalement les priorités politiques et sociales.
AXE 3 : Inégalités environnementales, travail et emploi
Pensées par la “métropole”, les politiques environnementales transforment le travail dans les départements ultramarins. Elles vont même parfois à contre-courant des pratiques locales ou des savoirs environnementaux possédés par les habitant·es des départements ultramarins, la plupart du temps elles les ignorent. Les zones de conservation, réserves marines et autres parcs naturels dédiés à la protection de l’environnement et de la biodiversité dépendent généralement de projets pensés depuis Paris ou à partir des normes de France hexagonale. Sur place, les travailleurs et travailleuses doivent appliquer des projets qui ne correspondent pas toujours aux processus en vigueur. Comment ces normes transforment-elles les processus de travail localement ? De fait, les questions environnementales reconfigurent à la fois le travail et l’emploi en rendant possibles de nouvelles dérogations (ou régimes d’exceptions). Elles se mettent également parfois au service d’inégalités salariales ou statutaires ou font des Outre-mers un laboratoire de statuts dérogatoires au droit du travail. Comment les inégalités de savoirs sur l’environnement (réelles ou supposées) reconfigurent-elles les marchés de l’emploi local ? Favorisent-elles plutôt des travailleur·ses importé·es de France hexagonale ou au contraire des salarié·es (ou non-salarié·es) locaux ? L’utilité environnementale du travail devient-elle parfois une justification du statut ou du salaire, tantôt privilégiés tantôt dégradés ?
Parfois source de dévalorisation des travailleur·ses ultramarin·es, les enjeux environnementaux transforment également les rapports sociaux entre populations.
Les mutations du marché liées aux questions environnementales génèrent-elles des mobilisations sociales ou des luttes au sein des collectifs de travail soit pour l’adoption (ou le rejet) de nouvelles normes, soit en lien avec les statuts de l’emploi ?
Les populations immigré·es (Haïtien·nes ici, Comorien·nes ailleurs) peuvent être assignées au “sale boulot” environnemental ou au contraire vanté·es (parfois cyniquement) pour des pratiques “propres” parfois décrites comme traditionnelles. Qui réalise le travail de conservation de l’environnement et de la biodiversité ? En particulier, qui se charge du “sale boulot” et du travail à haut-risque sanitaire (déchets mais aussi rejets de l’agriculture, produits chimiques, algues toxiques etc.) ? Comment se créent les hiérarchies du travail environnemental ? Des travaux sur la gestion des déchets sur ces territoires seraient particulièrement appréciés.
Qu’en est-il de la mise en commun du travail environnemental ? Existe-t-il une forme de service public de l’environnement et qui en sont les travailleur·ses ? Au contraire, les travailleur·ses bénévoles ou volontaires pallient parfois l’absence de ces services publics, en s’organisant collectivement pour protéger une zone ou réagir à une catastrophe naturelle. Comment sont prises en charge collectivement les dangers environnementaux?
Enfin, les questions environnementales transforment également des pans de l’économie, telles que les agricultures de plantation (de la banane ou de la canne à sucre par exemple). Comment ces agricultures recruteuses adaptent-elles leurs discours voire leur production aux nouvelles attentes écologiques ? Comment l’insertion des nouveaux arrivant·es sur le marché de l’emploi intègrent-elles ces mutations ? Quelles formes de green ou social washing sont-elles mises au service du recrutement ?
Modalité de dépôt des propositions:
Les propositions de communication, d’une longueur approximative de 3 000 signes, devront être déposées sur le site de l’AFS avant le 17 janvier 2025. Les communications pourront traiter de politiques publiques ou d’études de cas. Elles pourront s’intéresser à des enjeux communs ou spécifiques à certaines zones ou territoires.
Equipe de coordination
Justine Berthod (CREDA, USN/CNRS), Stéphanie Guyon (CURAPP-ESS), Florence Ihaddadene (CURAPP-ESS), Marie Thiann-Bo Morel (Espace-Dev), Jan Verlin (Triangle).
Participation au congrès
Pour participer au Congrès, il faudra adhérer à l’AFS et s’acquitter de droits d’inscription. Lors du précédent Congrès de 2023, l’adhésion s’élevait à 41€ pour les non-titulaires et 103€ pour les titulaires ; l’inscription au Congrès à 61€ pour les non-titulaires et 152€ pour les titulaires. Les tarifs pour le Congrès de Toulouse seront légèrement plus élevés (inflation). Les collègues non-titulaires qui ne peuvent être financé·es par leur laboratoire pourront, sur présentation de dossier, être exonéré·es des droits d’inscription et bénéficier d’une aide pour le transport et le logement. La procédure pour la demande d’exonération des droits d’inscription sera précisée plus tard. L’accès au Congrès se veut le plus inclusif possible :
* Des dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles seront mis en place.
* Si vous avez besoin de services d’accompagnement en raison d’une situation de handicap, vous pourrez le signaler dans le cas où votre communication est retenue. Le comité d’organisation mettra tout en œuvre pour essayer de répondre à vos demandes.
* Si vous avez besoin de services de crèche pendant le Congrès vous pourrez le signaler au moment de l’inscription. Le comité local essayera de proposer un mode de garde.