Dans le cadre du congrès 2023, le RT 27 « sociologie des intellectuel·les et de l'expertise : savoirs et pouvoirs » prévoit d’organiser deux sessions blanches. Celles-ci accueilleront des communications s’inscrivant dans un ou plusieurs axes du réseau :
- l’étude
des professions intellectuelles
- l’analyse des
formes d’engagement de leurs membres (critique sociale, expertise, prophétisme etc.)
- la sociologie de l’
expertise et de ses usages
- la
sociologie historique des idées politiques et des savoirs
- les études de
circulation et de
réception
- la réflexion sur les
modèles et techniques d’enquête propres à la sociologie des intellectuels.
(pour plus de détails sur ces axes, cliquez
ici)
Quatre autres sessions porteront sur des thématiques spécifiques, pour certaines en lien avec le thème général du congrès. Des sessions particulières seront ainsi consacrées à la circulation des biens symboliques (1), aux circulations des sciences humaines et sociales en dehors du champ académique (2) aux phénomènes de censure de l’activité intellectuelle (3) et aux effets de la numérisation sur la structuration des champs intellectuels (4).
1) Circulations de biens symboliques
La circulation des biens symboliques (que ce soit en littérature, philosophie, science ou qu’il s’agisse d’essais politiques, de programmes d’action publique, d’indicateurs ou encore d’instruments de gouvernement) a été au cœur des recherches en sociologie des intellectuel·les et des idées depuis la fin des années 1990. Participant du « tournant transnational » des sciences sociales, ces travaux se sont largement inscrits dans le prolongement de la conférence qu’avait prononcée Pierre Bourdieu en 1989 sur les « conditions sociales de la circulation internationale des idées » et qui proposait un programme pour une étude des « relations internationales en matière de culture ». La mise en œuvre empirique de ce programme a fait émerger des questions qui permettent, selon les cas, de le prolonger, de le complexifier ou d’en réviser certains postulats. Il s’est aussi nourri du dialogue et de la confrontation avec d’autres programmes (étude des transferts culturels, histoire connectée et histoire globale, études postcoloniales, par exemple) et avec d’autres approches théoriques, depuis la théorie des systèmes-mondes jusqu’à celle de l’acteur-réseau. Ce sont ces chantiers que le réseau thématique 27 souhaiterait présenter et poursuivre à l’occasion du prochain congrès de l’AFS.
L’étude de la circulation des biens symboliques pose tout d’abord la question des indices empiriques permettant de l’attester. Ceux-ci peuvent prendre différentes formes : citations, traductions, ventes d’un ouvrage, invitations à l’étranger et sélections dans les festivals internationaux et étrangers, appropriations de thématiques ou de traits stylistiques identifiables, etc. On attendra des communications qu’elles prêtent attention à ces traces, qui peuvent varier selon le type de biens symboliques considéré et selon les espaces traversés.
D’autres circulations pourront être envisagées que les seules circulations transnationales, notamment les circulations entre les différents sous-champs intellectuels ou culturels (par exemple, celles qui peuvent intervenir entre différentes disciplines académiques, entre littérature et cinéma ou entre les sciences humaines et le champ artistique), ou les circulations entre le champ intellectuel et des espaces connexes comme les champs politique, économique et religieux. Les communications pourront explorer les modalités propres à ces différents types de circulations, et pourront par exemple se demander si elles se caractérisent par des phénomènes de décontextualisation et de recontextualisation similaires à ceux décrits par Bourdieu à propos des circulations transnationales. Les communications pourront également étudier comment ces différents types de circulation s’articulent entre elles.
L’attention pourra porter sur les acteurs et actrices individuel·les et institutionnels par l’intermédiaire desquels ces biens symboliques transitent. Entre autres exemples, on pourra dans ce cadre s’intéresser à des problèmes aussi divers que le rôle des traducteur.rices et des agents littéraires sur le marché international du livre, des
think-tank dans les circulations entre les sciences humaines et sociales et les partis politiques, des organisations internationales dans les transferts d’expertise et plus largement de politique publique ou du travail de prescription que peuvent opérer enseignant·es, journalistes, bibliothécaires etc. À quels obstacles spécifiques sont confrontés ces agents ? Quelles ressources mobilisent-iels pour les surmonter ? De quelles rétributions (matérielles ou symboliques) bénéficient-iels ?
Les communications pourront enfin interroger la généralité du modèle bourdieusien en explorant d’autres configurations en matière de circulation. Elles pourront pour cela s’intéresser au degré variable de segmentation des espaces considérés, au caractère plus ou moins symétrique des échanges entre ces espaces, ou à l’existence de réseaux transnationaux. Elles pourront également questionner comment la perspective postcoloniale permet de repenser les circulations entre le « centre » et « les périphéries », sans réduire ces dernières à de simples espaces de réception et d’imposition des idées et savoirs venus d’ailleurs.
2) Circulations des sciences humaines et sociales hors de l’espace académique
Les sciences humaines et sociales (SHS), comme toutes autres sciences, sont élaborées et discutées par les pairs. Toutefois, à l’extérieur du champ scientifique, les productions qui en sont issues sont réappropriées dans des espaces et autour d’enjeux très variés, et sont parfois politisées, attaquées, euphémisées. Cette section thématique s’intéresse aux diverses séquences de la circulation et de la transformation de ces savoirs en dehors de l’espace académique.
Les communications pourront tout d’abord porter sur les producteur·rices intellectuel·les, notamment les chercheur.es soucieux·ses de s’adresser aux « profanes ». On pourra s’intéresser à leurs trajectoires, ainsi qu’aux formes d’engagement intellectuel qui sous-tendent leurs investissements à destination d’un public extérieur, sans pour autant négliger le contenu de leurs interventions protéiformes, susceptibles de se muer en discours vulgarisés, en expertises ou en engagements politiques.
Pourront également être abordés les rôles que jouent les médiateurs et médiatrices dans ce travail de diffusion, en mettant en relation les différents champs disciplinaires des SHS avec d’autres espaces sociaux. L’attention pourra porter sur leurs appartenances professionnelles, leurs statuts socio-économiques, et les positions qu’iels occupent dans leurs propres champs, ainsi que sur le travail qu’iels opèrent et les manières dont iels impriment leur marque aux idées et productions relayées.
Les communications pourront également interroger la diversité des supports permettant ces circulations (livres, bandes dessinées, interventions audiovisuelles etc.). On mettra l’accent sur la diversité de ces formes de « vulgarisation », des éditions et collections spécialisées dans les ouvrages de synthèse (« Que sais‑je ? », « Repères ») aux producteurs et productrices de podcasts relatifs aux sciences humaines et sociales.
Enfin, la focale pourra être située sur les appropriations des SHS quand elles sont le fait d’agents extérieurs au champ académique. En ce sens, les contributions pourront se concentrer sur la réception des sciences sociales dans les champs artistique et littéraire. Elles pourront aussi examiner sur les usages collectifs et politiques des sciences sociales, en s’interrogeant plus particulièrement sur la diffusion d’études, de termes et de modèles en SHS vers des espaces militants, administratifs et politiques. Dans cette optique, les communications pourront étudier les usages sociaux qui sont faits des sciences sociales et leurs fins, en examinant la manière dont des références scientifiques peuvent devenir des références d’État, politiques et militantes.
Dans le cadre de cette section, sont notamment encouragées les communications qui étudieraient ces différentes thématiques dans des conjonctures autoritaires, où l’autonomie relative des SHS demeure fragile et incertaine en raison de diverses contraintes politiques pesant sur la production et la diffusion des savoirs.
3) Les intellectuel·les et la « censure »
Envisagée par les uns, selon une définition étroite, comme des formes étatiques de contrôle de l’imprimé, la censure renvoie pour d’autres à toute limitation de la « liberté d’expression », qu’elle relève de l’emprise politique ou de la logique du marché. L’objectif est ici de faire un pas de côté dans ce débat pour envisager la censure dans le cadre d’une réflexion plus générale sur les circulations d’idées entravées. Les contributions pourront porter sur des situations, du passé ou du présent, diverses voire opposées – des régimes autoritaires, démocratiques ou libéraux, des conjonctures extraordinaires (comme la guerre) ou ordinaires, pour interroger ce que signifie socialement la « censure » et les luttes qu’elle sous-tend. Cette confrontation de cas, loin d’aboutir à écraser les spécificités et les différences, vise à interroger le fonctionnement des espaces intellectuels et culturels, leur autonomie relative et, plus précisément, les instances régulant et contraignant la mise en circulation des biens symboliques.
Pour cela, diverses approches peuvent être envisagées. Les communications pourront s’attacher à ouvrir la « boite noire » de la censure pour examiner les modalités concrètes du travail de sélection, de réécriture et de contrôle, ainsi que les différents profils d’intellectuel·les qui s’y trouvent associé·es (par exemple en réfléchissant aux savoirs juridiques, techniques et économiques mobilisés par la censure d’État). À l’inverse, elles pourront analyser les stratégies d’adaptation, de contournement, de résistance ou d’exil (intérieur) opposées à ces formes de contrôle. Dans cette double perspective, il semblerait aussi pertinent d’accorder une attention privilégiée aux positions et aux trajectoires sociales des acteurs et actrices, afin d’y rapporter les pratiques de censure et d’évitement de la censure. Une telle démarche permettrait également de repenser les oppositions courantes entre « censeur·es » et « auteur·rices ». Dans le cas des régimes autoritaires, elle serait une façon de complexifier les catégories de « loyauté », « contestation » ou « dissidence » souvent utilisées pour cartographier les positionnements intellectuels possibles.
La question de la censure peut également être abordée à partir d’approches sociologiques par les idées et les savoirs. On pourra ainsi examiner ce que ces formes de contraintes font au marché des idées, en particulier les restrictions qu’elles lui imposent, en limitant la concurrence (entre types de littérature, de savoirs ou d’expertise, par exemple) ou en redéfinissant les frontières entre ce qui est public et ce qui ne l’est pas. Les conjonctures extraordinaires telles que la guerre pourront être envisagées sous cet angle, en montrant, par exemple, comment les savoirs pratiques des experts militaires peuvent alors contester ou empêcher l’expression et la diffusion d’autres savoirs sur le réel. Ce sont aussi les effets de la censure sur les circulations transnationales des idées qui pourront être examinés, ou sur la formation d’espaces intellectuels parallèles, comme ceux de la dissidence en régime communiste avec les samizdats ou, plus récemment, les réseaux constitués à l’aide d’outils numériques régulièrement valorisés, popularisés et critiqués en tant qu’instruments de contournement de la censure d’État ou, à l’inverse, de surveillance.
Enfin, les communications pourront être consacrées aux luttes de définition de la censure et à leurs effets, notamment à travers l’étude des controverses. Elles permettraient d’étudier comment le combat contre la « censure » a pu être instrumentalisé dans des luttes politico-intellectuelles (par exemple, par les penseurs conservateurs ou d’extrême droite), en vue de lever les obstacles à la diffusion d’idées socialement condamnées et devenues indicibles ou, au contraire, de façon à inhiber l'expression des positions politiques ou idéologiques adverses. Seront ici bienvenues les analyses portant sur les controverses scientifiques et sur le rôle de la « censure » dans l’émergence, l'imposition ou le rejet de nouveaux objets, théories, paradigmes.
4) Numérisation de la vie intellectuelle
Peu de travaux ont traité des effets des réseaux sociaux et des plateformes numériques sur les répertoires d’intervention des intellectuel·les, leurs trajectoires socioprofessionnelles et les biens symboliques qu’ils produisent et mettent en circulation. Pourtant, la numérisation constitue un facteur central de reconfiguration de la vie intellectuelle contemporaine. Afin d’en interroger les ressorts et les effets, deux grands ensembles de questions pourront être considérés.
Le premier axe de réflexion porte sur le numérique en tant que facteur de reconfiguration des champs intellectuels. Comment internet transforme-t-il les pratiques, positions et formes d’engagement des intellectuel·les, en valorisant de nouveaux capitaux, ressources et compétences (comme la maîtrise de l’usage des réseaux sociaux et plateformes, la production de vidéos, la gestion de communautés numériques) ? Ces transformations pourront être étudiées sous différents angles : émergence d’acteur·rices nouveaux·lles, accélération des circulations, numérisation des archives, effets de la mise en ligne des publications scientifiques, etc. Elles pourront aussi être étudiées sous l’angle de l’adhésion ou de la répulsion qu’elles suscitent (par exemple, la technophobie revendiquée d’un Alain Finkielkraut ou les avertissements d'Umberto Eco concernant l'incommunicabilité à laquelle l'usage d'internet expose).
À une échelle plus large, quels sont les effets d’internet – et plus précisément des différents dispositifs techniques et sociaux qui le constituent, depuis les moteurs de recherche jusqu’aux intermédiaires qualifiés de réseaux sociaux ou de plateformes (Google Scholar, Academia, Research Gate, Cairn, Twitter, etc.) – sur la structuration des champs intellectuels ? Comment ces réseaux et dispositifs réagencent-ils des rapports de pouvoir entre différents espaces et acteur·rices intellectuels (académiques et non-académiques, nationaux, étrangers et transnationaux, intellectuel·les critiques ou organiques, de différentes disciplines, etc.) ? Dans quelle mesure et comment transforment-ils les conditions de la circulation internationale des idées ? Contribuent-ils à la dévaluation des savoirs légitimes ? Enfin, seront encouragées les communications qui, en abordant internet comme un objet non-réifié et historique, interrogent les effets de ses transformations, depuis l’émergence des blogs d’intellectuel·les à celle des plateformes numériques, des métriques et des algorithmes spécialisés dans l’évaluation et la valorisation du travail scientifique.
Le deuxième axe de réflexion prend pour objet internet en tant qu’outil de coercition politique et de marchandisation des discours intellectuels. Les communications pourront ici porter sur l’adaptation à internet des politiques étatiques de censure et le rôle joué par des acteurs non gouvernementaux comme les GAFAM et les fournisseurs d’accès à internet (régulièrement mis en cause pour leurs contributions à la répression et à l’invisibilisation de populations et de mouvements sociaux). Les contributions pourront également porter sur les politiques de propagande en ligne, ou sur le développement de normes et de technologies de contrôle et de répression des interventions des intellectuel·les sur internet (lois antiterroristes et de lutte contre la désinformation, activités des agences de régulation des télécommunications, etc.). Les communications pourront enfin interroger la marchandisation et la diffusion gratuite des biens symboliques sur internet, qui s’accompagnent de révisions du droit d’auteur, de nouvelles stratégies éditoriales et de changements des conditions d’accès aux savoirs. Ce faisant, on interrogera les effets d’internet sur la structuration de l’offre intellectuelle et la reconfiguration des rapports de force idéologiques.
Les propositions de communications comprendront un titre et ne dépasseront pas 1500 signes (espaces compris). Elles doivent préciser clairement le travail d'enquête ou les sources sur lesquels s'appuiera la présentation.