Appel à communications du RT 25
« Travail, organisations, emploi »
Congrès AFS de Lyon
4-7 juillet 2023
Les transformations récentes du monde du travail s'accompagnent d'une circulation accrue des travailleurs et travailleuses qui peut prendre différentes formes, allant de la mobilité géographique à la mobilité professionnelle et statutaire en passant par diverses formes de mobilité sociale. Qu'elle soit souhaitée ou imposée, permise ou empêchée, ascendante ou descendante, il convient de l’appréhender à l’intersection des rapports sociaux de classe, de genre, de génération et de race. L’analyse de ces circulations des travailleurs et travailleuses invite aussi à étudier son pendant, l’immobilité, mais aussi à élargir la focale à celles et ceux qui sont chargé·es de les organiser ou de les réguler. Il ne s'agit pas uniquement d'appréhender la circulation des travailleurs et travailleuses, mais également ses effets : en quoi favorise-t-elle la diffusion de normes, de pratiques et d'idéologies qui dépassent les frontières entre espaces sociaux, professionnels et géographiques ? Pour ce faire, le RT25 propose d'articuler la réflexion autour de six axes, dont trois sessions croisées avec d'autres RT.
AXE 1 : Mobilités et immobilités professionnelles et sociales
Cet axe porte sur les mobilités professionnelles dans le cadre des marchés du travail interne et externe et questionne les circulations professionnelles et sociales des travailleurs et des travailleuses. Du côté des organisations employeuses, comment les politiques salariales et de gestion du personnel dans le cadre d’un marché du travail interne contribuent-elles à promouvoir des évolutions de carrière ou bien au contraire à structurer des phénomènes de turnover et de démissions ? En quoi la conjoncture économique et, de façon plus structurelle, l’accroissement de la flexibilité du travail contribuent-elles à de la mobilité ou de l’immobilité dans les carrières, au déclassement des travailleurs et des travailleuses, voire à des pertes d’emploi provoquant des périodes de chômage ?
Du côté des travailleurs et travailleuses, nous interrogerons les modalités comme les effets des trajectoires qui peuvent être socialement ascendantes ou descendantes. Nous pensons en particulier, mais de façon non exhaustive, aux évolutions dans les statuts d'emploi (passage de l’intérim, du CDD ou d’un contrat aidé à un CDI), dans les conditions de travail (en termes de rémunération, de sécurité et de santé, de pathologies physiques et psychiques), dans les carrières (mobilités horizontales ou verticales). Concernant les effets, nous nous intéresserons aux évolutions de carrière « éclair », aux plafonds de verre, aux stratégies de pantouflage, aux « placardisations », à la diffusion des pratiques managériales pour organiser les trajectoires organisationnelles (exemple des cadres « à haut potentiel »), au rôle croissant des gestionnaires et plus largement aux circulations entre secteurs privé et public qui hybrident de plus en plus le monde du travail.
AXE 2 : Hybridation des statuts
Cet axe porte sur les statuts d'emploi, leur reconnaissance (juridique, institutionnelle, politique, sociale et symbolique) et leurs mutations (par exemple, le remplacement des fonctionnaires par des contractuels sur les mêmes postes de travail). Les communications pourront étudier les frontières entre l'indépendance et le salariat, avec le développement du portage salarial, des coopératives d'activité et de l'entreprenariat, ainsi que toutes les zones grises qui en émergent. Les passages et transitions d'un statut d'emploi à un autre, dans ou hors emploi (par exemple, au chômage, au foyer, en formation, en arrêt-maladie, en retraite), pourraient également être interrogées dans cette session. La question du brouillage entre différents statuts semble particulièrement pertinente pour analyser les catégorisations faites des travailleurs et travailleuses (valides, non-valides, handicapé·es, malades, en bonne santé, etc.) ainsi qu’aux aménagements spécifiques du travail et de l'emploi auxquelles elles donnent lieu.
AXE 3 : Circulations géographiques
Il s'agit de questionner les mobilités dans l'espace géographique en lien avec le travail en considérant que cet angle permet d'éclairer autrement les mobilités dans l'espace social. Cet axe invite à analyser les circulations de travail, les conditions économiques, sociales, familiales des départs comme l'insertion dans les lieux d'étapes ou d'arrivée. Il propose de comparer ces conditions et les parcours professionnels et personnels selon que l'on s'intéresse aux cadres et techniciens, expatriés ou « nomades », ou aux employé.es subalternes « migrants ». Nous attendons aussi des analyses prenant en compte le genre et l'âge des personnes mobiles, puisque ces derniers conditionnent également le champ des possibles. Il s'agit enfin d'étudier ces circulations à différentes échelles (mondiales, nationales ou plus locales) et selon leurs temporalités (saisonnières, pendulaires, définitives ou temporaires...).
Les mobilités s'inscrivent aussi dans des catégories des politiques publiques locales ou internationales, qui les régulent, les encadrent, les encouragent ou les limitent. Être déplacé·e interne, réfugié·e, demandeur ou demandeuse d'asile, migrant·e irrégulier·e, travailleur·euse expatrié·e ne donne pas accès aux mêmes droits, aux mêmes opportunités professionnelles, aux mêmes conditions de travail et d’emploi. L'accueil récent des réfugié·es ukrainien·nes en Europe a rappelé qu'au-delà de ces catégories juridiques, l’origine géographique, les caractéristiques ethniques et les appartenances religieuses qui s'accompagnent de représentations politiques, culturelles et raciales, peuvent faciliter (pour les ukrainien·nes) ou freiner (pour les africain·nes ou les syrien·nes) la mobilité comme les modalités d'insertion.
Les mobilités liées au travail ou à d’autres raisons peuvent ainsi être tour à tour un privilège ou une contrainte. En complément de l'étude des parcours, des conditions de travail et d'insertion, il est intéressant d’analyser les effets de ces mobilités sur le travail lui-même. Comment le rapport à l'espace vient changer le rapport au travail quelles que soient les échelles considérées ? Qu'en est-il pour prendre un exemple différent des précédents pour celles et ceux qui ont choisi de déconnecter leur espace de travail de leur espace de vie, en quittant les grandes villes pour les campagnes après le Covid, en choisissant le ou s'accommodant du télétravail ? Comment se réorganisent (ou non) les collectifs professionnels à distance ?
AXE 4 : Les accords professionnels aux frontières (Session commune des RT 1 et 25)
En sociologie des groupes professionnels et du travail, la notion d’« intersection » peut spontanément évoquer des faits sociaux recouvrant des luttes, compétitions, divisions, tensions, conflits, etc. Sans ignorer l’existence de tels rapports de force, les frontières entre groupes professionnels, métiers et travailleuse·eurs peuvent aussi être conçues comme des espaces sociaux de négociation et d’échanges volontairement pacifiés ou plus feutrés, où chaque partie prenante défend stratégiquement ses intérêts bien compris. Après pourparlers, souvent orchestrés par des composantes de l’État, des accords sont conclus sur les possibles chevauchements ou cessions (de territoires professionnels), transferts et délégations (de compétences), partage (de savoirs), co-construction (de nouveaux métiers), réingénierie des formations (par « universitarisation »). La focale sera mise ici sur ces processus et dynamiques qui se manifestent, par exemple, dans le monde de la santé à travers un ensemble de dispositifs visant une redistribution négociée des tâches et actes entre professionnel·les (de catégories médicales et paramédicales) notamment au sein d’organisations « pluri » (centres de santé, maisons de santé, etc.). Des situations similaires pourront également être étudiées dans de nombreux autres mondes professionnels.
AXE 5 : Pour une sociologie des sociologues des mondes du travail (Session croisée des RT 16, 25 et 30)
Cette session croisée se veut réflexive : il s’agit de contribuer à une sociologie (du travail) des sociologues du travail. D’une part, elle invite à interroger la circulation, la réception et la récupération des savoirs sociologiques relatifs au travail et à son encadrement gestionnaire, et ses effets ; et d’autre part, elle interroge les conditions sociales de production d’une enquête sociologique, au regard des trajectoires, des caractéristiques sociales et des positions occupées par les enquêteur·trices et enquêté·es dans les rapports de production et l’espace social en général.
Premièrement, nous interrogerons la circulation des productions sociologiques portant sur le travail et les organisations productives dans les mondes sociaux qu’elles décrivent. Comment les actionnaires, l’État, les dirigeants, les gestionnaires, les cadres de proximité, les ouvriers et ouvrières, les employé.es, les syndicats et les associations professionnelles connaissent-ils, lisent-ils et s’approprient-ils ces recherches sociologiques ? Par quels circuits et par quelle circulation les appréhendent-ils ? Quel sens donnent-ils à ces écrits ? Comment les utilisent-ils en tant que sujets en quête de sens et acteurs sociaux soucieux de défendre des places, des intérêts ou une carrière ? Pourquoi des articles et des ouvrages scientifiques ont-ils moins d’écho dans la société française et auprès des pouvoirs publics que des enquêtes de journalistes d’investigation (par exemple l’ouvrage de Victor Castanet sur l’entreprise Orpéa) ou que des rapports de consultant.es (par exemple ceux du cabinet McKinsey) sur les mêmes sujets d’étude ? Dans quelle mesure la description, l’analyse et parfois la critique sociologiques sont-elles moins porteuses de changements sociaux ? Quelles sont les enquêtes interdites de publication, et qu’en penser sociologiquement ? Cet axe s’inscrit donc à l’intersection de plusieurs mondes (économique, politique, scientifique, gestionnaire, société civile) où nous interrogerons les rapports sociaux de classes, de genre…
Deuxièmement, nous questionnerons les pratiques professionnelles (notamment les aspects méthodologique et épistémologique) des sociologues des mondes du travail (de conception et d’exécution). Nous interrogerons les conditions sociales et psychiques d’un accès au terrain éloigné de la culture des chercheur·es (des élites économico-financières, gestionnaires et politiques, ou du monde ouvrier, des syndicats…) mais aussi du traitement de la (mé)connaissance de l’objet étudié (management, finance, comptabilité...). Quelle(s) sociologie(s) des sociologues des rapports sociaux au travail peut-on faire ? Comment les demandes des commanditaires sont-elles entendues et traitées dans et par la recherche ? Nous mettrons aussi en lumière les inventions et les ficelles de notre métier déployées pour mesurer, voir et entendre ce que le pouvoir politico-gestionnaire (actionnaires, régulateurs internationaux publics et privés, lobbyistes, sous-traitants délocalisés…) s’efforce de cacher ou d’enjoliver, en posant un voile d’ignorance (notamment par un jargon spécifique – la novlangue managériale) sur leurs activités.
AXE 6 : Circulation des jeunes entre institutions (Session commune aux RT 25, 4 et 15)
Du fait de situations spécifiques (ruptures scolaires, situations de handicap, maltraitances au sein de la famille, carences éducatives, difficultés d’insertion, problèmes de santé, exil…) et/ou de l’organisation des systèmes scolaire, social, sanitaire ou même judiciaire, une partie de la jeunesse est amenée à côtoyer, de manière répétée, successivement et parfois de manière simultanée, différentes institutions. Au fil de leurs parcours scolaires puis d’étude ou d’insertion, de leurs parcours résidentiels, de leurs suivis de santé, les jeunes se déplacent d’un rendez-vous institutionnel à l’autre, changent de catégorie administrative ou de statut, se trouvent dans des situations d’incertitude, voire de prise en étau institutionnelle : encore scolarisé·es (parfois dans des filières ségréguées) mais par ailleurs suivi·es en psychiatrie pour des troubles mentaux, fréquentant une mission locale mais passant un temps par les institutions judiciaires, étudiant·es-jeunes parents et suivi·es de près par la protection maternelle et infantile, suivi·es par l’aide sociale à l’enfance en tant que mineur·es non accompagné·es puis écarté·es du système de prise en charge… Parfois renvoyé·es d’une institution à une autre par des seuils d’âge, des évènements divers ou par des effets d’offre institutionnelle, leurs identités se trouvent ainsi à l’intersection de diverses formes d’identification institutionnelle. Ainsi, les formes de catégorisation ou d’étiquetage qui s’appliquent à la population jeune, alternent, se juxtaposent voire s’entrechoquent. Il y a notamment lieu d’étudier les termes et catégories, partagées ou non, utilisées pour désigner et penser ces jeunes dans ces différentes institutions, leurs circulations, leurs origines. Si ces circulations entre institutions, ces juxtapositions de catégorisations ou d’assignations à des dispositifs spécifiques, sont le plus souvent analysées concernant une jeunesse reléguée, aux marges des parcours scolaires puis d’insertion les plus légitimes, elles peuvent également permettre de penser certains parcours de jeunes d’autres milieux sociaux pris dans des contextes spécifiques à leur classe sociale, leur genre, leur origine ethnique, leur religion ou leur couleur de peau.
Nous proposons dès lors de nous pencher sur les circulations, (dé)placements et/ou (ré)orientations des jeunes pris·es en charge, ou encore sur les ruptures dans leurs parcours. Nous proposons d’aborder cet objet autour de deux axes :
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Les propositions de communication (3000 à 4000 signes, espaces et bibliographie compris) sont à envoyer d’ici le 20 janvier 2023 aux adresses suivantes :
Elles devront porter centralement sur la question des circulations au travail, présenter clairement la nature des matériaux sur lesquels s’étaye la démonstration et indiquer explicitement l’axe de l’appel dans lequel elles s’inscrivent. Un projet de publication est envisagé à l’issue de ce colloque dans le cadre d’un ouvrage collectif.
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