RT46

AAC RT46 Lille 2021 : L’injonction au changement dans la formation et la certification : entre permanence et nouveaux paradigmes ?

L’appel au changement en matière de formation, certification et qualification est consubstantiel à l’idée même de formation : il s’agit toujours d’amener un individu en formation à une transformation de quelque chose, qu’il s’agisse de ses savoirs, de ses pratiques, et au fond de lui-même, quelles qu’en soient les formes d’attestation visant à l’objectiver (certification, qualification). C’est vrai pour la formation initiale comme pour la formation continue. Dans les années 1960, les formateurs se sont d’ailleurs définis comme des « agents de changement » et l’essor de la formation continue a été légitimé par l’existence d’une « accélération du changement » (Fritsch, 2011), idée qui constitue une de ses « composantes doctrinales » (Forquin, 2002). Lorsqu’il est question de formation, le changement s’adresse aussi bien aux individus qu’aux entreprises, au travail et à l’emploi, à l’économie, voire à l’organisation sociale en général, il s’agit alors de « former pour réformer » (Brucy et alii, 2007). Désormais, l’accent est mis sur l’individu, doté de la liberté de choisir son avenir professionnel selon la loi de 2018... mais invité à le redéfinir régulièrement en se montrant flexible, adaptable, spontanément enclin à entretenir et renouveler ses compétences et ainsi à maintenir son employabilité. Toute une terminologie a ainsi pris place dans les politiques publiques et dans les discours des organisations patronales, au service d’une rhétorique mettant en valeur la nécessité et les bienfaits du changement. Dans la mesure où celui-ci est devenu un impératif, au risque de l’exclusion sociale, la permanence des liens entre formation et changement a pris un tour nouveau. Ainsi, dans une économie où les diplômes sont de plus en plus nécessaires et de moins en moins suffisants, où les formations explosent et se diversifient, il s’agirait non seulement d’outiller l’individu pour qu’il devienne indéfiniment reconvertible (Bernstein, 2007), autant que « proactif » et responsable de son parcours professionnel, mais également de mettre en avant l’idée que les cursus et les curricula doivent eux-mêmes constamment se transformer et faire la preuve de leur efficacité, principalement traduite par des taux d’accès à l’emploi. Ce qui impose de nouvelles exigences aux agents d’enseignement et de formation, en termes d’adaptation et de réactivité, d’application de consignes parfois très normatives comme de reddition de comptes. Liées à l’imprévisibilité de l’avenir, ces transformations sont justifiées par les besoins changeants de l’économie, par des technologies d’information et de communication constamment renouvelées et omniprésentes dans toutes les sphères d’activité, et par les réquisits de nouvelles manières d’être au monde, comme entrepreneur et maître de son parcours (termes figurant dans les textes accompagnant les réformes de la formation professionnelle continue depuis une vingtaine d’années). Si le discours et l’injonction au changement semblent appeler à des bouleversements massifs, constants et tous azimuts, on peut aussi faire l’hypothèse d’une certaine permanence dans les attentes envers les formations, qu’il s’agisse des discours, des pratiques, des techniques : les attentes de reconversion, d’autonomisation, de responsabilisation, d’entrepreneuriat semblent être transversales et s’adresser largement autant aux formés qu’aux formateurs d’ailleurs. Les communications attendues visent à questionner les discours et pratiques en matière d’attente de changement dans les domaines de la formation, certification et qualification à partir de divers acteurs, objets, pratiques, dimensions et échelles. Elles peuvent s’intégrer dans l’un des axes suivants :

1. Individualiser !

« 50 % des métiers sont amenés à changer dans les 10 prochaines années » selon une présentation de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Si cette perspective peut être lue comme un défi pour la formation professionnelle, elle l’est surtout pour les individus qui se retrouvent ainsi face à une incertitude vertigineuse concernant leur futur. Comment la formation professionnelle est-elle mobilisée par les entreprises pour accompagner ces changements et soutenir le développement de métiers dans des domaines en tension ? Du point de vue des trajectoires individuelles marquées par des changements comme des reconversions ou bifurcations professionnelles, comment est abordé le recours à la formation professionnelle, à des dispositifs tels que la VAE ou le bilan de compétences, ou à des modules dits de remobilisation dans l’emploi ? Dans l’accompagnement des changements, l’injonction à prendre son destin en main est grande chez les salariés et les demandeurs d’emploi. La perspective de se former pour se reconvertir, se mobiliser ou s’activer est-elle accueillie de manière identique ou bien voit-on des différences notamment entre hommes et femmes ? Entre les plus diplômés et les moins diplômés, les jeunes et les plus âgés ? On peut également voir dans la numérisation du domaine de la formation une injonction à l’individualisation. À titre d’exemple, la récente réforme de l’accès au compte personnel de formation (CPF) via une application proposant les formations éligibles permet de s’inscrire avec un simple clic depuis son téléphone. S’il peut a priori sembler anecdotique, cet exemple montre néanmoins une tendance à l’individualisation du recours à la formation. Comme si l’adaptation au changement ne relevait que de l’individu. En abordant la problématique du changement dans la formation sous l’angle de sa numérisation, nous pourrons ainsi questionner de nombreux enjeux qui vont bien au-delà de la dimension technique.

2. Professionnaliser !

Depuis une cinquantaine d’années, le glissement souligné par Lucie Tanguy (2005) de l’éducation vers la formation s’est accompagné de la diffusion du recours aux compétences et d’un nouveau mot d’ordre : professionnaliser ! Derrière l’essor de ces termes se dessine l’insertion comme priorité et critère d’évaluation constamment convoquée tant pour les « jeunes » que les « adultes », dans la formation initiale comme dans la formation continue. Désormais, les dispositifs pédagogiques, les diplômes et plus globalement la majorité des projets de ces domaines s’en réclament sans toutefois s’appuyer sur des définitions précises de ces notions tout en (ré)activant des clivages parfois anciens entre « théorie » et « pratique » ou entre institution scolaire et entreprise. Pourtant, cette perspective ou injonction s’accélère avec la succession de crises économiques, la montée du chômage, la vulnérabilité de certaines fractions de la population ou les transformations du marché du travail. L’enseignement professionnel illustre parfaitement cette dynamique. Historiquement dominé par les savoirs académiques, sa place dans le paysage scolaire évolue en fonction des segments. Si dans le secondaire, cet enseignement reste dominé par l’enseignement général, dans le supérieur les mouvements sont plus complexes. Les formations professionnalisantes bénéficient de l’engouement des étudiants, notamment au niveau des masters, qui les associent à des perspectives d’insertion plus claires. En revanche, la licence professionnelle, malgré des taux d’insertion favorables, peine à s’imposer et ne représente que 6,85 % des effectifs de licence. Dans la formation des adultes, la professionnalisation et l’insertion agissent comme des balises pour les stagiaires comme pour les financeurs. Or, ce mouvement de fond suppose de construire des formations en fonction d’emplois identifiés voire à venir ou d’organiser les savoirs mobilisés selon leur utilité dans l’emploi visé. Malgré les impossibilités d’anticiper les évolutions du travail, les tentations adéquationnistes demeurent plus que jamais d’actualité et relayées par les instances nationales ou internationales. Ces formations soumises à des validations externes (RNCP, HCERES) doivent respecter un ensemble de normes et donner un certain nombre de garanties d’efficacité. Elles se doivent de trouver le soutien d’acteurs économiques dans la conception du diplôme, dans l’enseignement, dans l’accueil en stages, elles doivent prouver leur capacité à insérer (résultats d’enquête) comme les réserves d’emploi qu’elles visent. Sur cet axe sont attendues des propositions visant à saisir, par exemple, la façon dont les différents protagonistes s’emparent de ces notions mais aussi les contournent voire les ignorent ou les critiquent. Il s’agira également d’interroger les effets de ces mots d’ordre sur l’activité des enseignants et des formateurs mais aussi sur l’offre de diplômes et de formation.

3. Rationaliser !

Que fait la rationalisation par les instruments de gestion à la formation ? La rationalisation par les instruments de gestion concerne la plupart des organisations depuis une vingtaine d’années. Relativement protégés dans un premier temps de ce mouvement d’ensemble, les institutions et les acteurs intervenant dans le champ de la formation initiale, de l’apprentissage et de la formation continue paraissent aujourd’hui au premier plan de ce changement et des réformes qui le caractérisent. La gestion par les résultats assortie de projets et de programmes contractualisés (contrats quinquennaux des universités, contrats d’objectif et de performance pour les opérateurs de l’État), d’indicateurs de diverses natures (taux de réussite au diplôme, de poursuite d’études, d’insertion professionnelle des diplômés et des formés, etc.) ou de diverses certifications qualité (Qualiopi pour les prestataires de formation) semble décider des moyens alloués pour former les divers publics de l’enseignement initial et supérieur et de la formation professionnelle des adultes. Les propositions de communication s’intéressant à cet aspect du changement dans la formation pourront s’interroger sur la fabrication de ces politiques de rationalisation, sur la construction des outils de mesure et d’évaluation, sur les catégories d’acteurs qui se mobilisent pour les propager (les agents du changement), sur ceux qui les mettent en œuvre, sur leurs pratiques de transposition et d’interprétation, et sur leurs effets en matière de formation des élèves, des apprentis et des adultes. Alors que l’objectif affiché par ces politiques de rationalisation est de « sécuriser » les parcours de formation d’individus rendus responsables de leur condition d’accès ou de maintien dans le salariat, qu’en est-il dans la réalité, quels sont les impacts de ces changements sur les pratiques, comment modifient-ils les chaînes d’interdépendance entre acteurs, contribuent-ils à produire de nouvelles normes de formation et une nouvelle régulation sociale destinée à perdurer ?

4. Renouveler les pratiques et techniques d’enseignement universitaire

La crise sanitaire liée à la Covid-19 a radicalisé le passage au « distanciel » pour tous, les usages du numérique et fait passer les services universitaires de pédagogie au premier plan des ressources locales pour tenter de réduire la « discontinuité pédagogique » (Bonnéry & Douat, 2020) instaurée. Il serait cependant faux de croire que les discours, les pratiques et les techniques mis en avant ont relevé d’une précipitation et finalement d’une créativité née de l’urgence. Bien au contraire, l’injonction à se transformer en tant qu’enseignant, comme le sens des changements attendus en matière de pratiques d’enseignement dans le supérieur fait l’objet en France d’une montée et institutionnalisation progressive datant d’une vingtaine d’années. Les conséquences actuelles en sont l’installation au sein du paysage universitaire français de tout un ensemble de services, d’acteurs, de discours et de pratiques qui, sous couvert de fournir des « ressources », des « aides », des « outils », des « bonnes pratiques » contribuent largement à organiser et orienter des manières très spécifiques de penser les pratiques d’enseignement et leurs transformations. Les travaux qui questionnent les transformations à l’œuvre convergent vers l’absence de prise en compte des histoires, pratiques et contextes en matière d’enseignement, et notamment de la très grande diversité disciplinaire (Bodin, Millet & Saunier E., 2018 ; Tralongo, Court et Kakpo, 2019). Les contributions attendues dans cet axe pourraient s’appuyer sur les transformations actuelles pour interroger les modalités et les effets des discours, pratiques et formations à la « pédagogie du supérieur » sur les programmes, les savoirs, les étudiants, les enseignants et enseignants-chercheurs.   Références Bernstein B., 2007, Pédagogie, contrôle symbolique et identité. Théorie, recherche, critique, Laval, Presses de l’Université de Laval. Bodin R., Millet M., Saunier E., 2018, « Entre triple contrainte et ancrage disciplinaire. Pratiques et conditions d’enseignement à l’Université », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n° 17, p. 143-167. Brucy G. et al., 2007, Former pour réformer. Retour sur la formation permanente (1945-2004), Paris, La Découverte. Forquin J.-C., 2002, Les composantes doctrinales de l’idée d’éducation permanente. Analyse thématique d’un corpus international (Unesco), Paris, L’Harmattan. Fritsch P., 2011, « Les sciences humaines et sociales dans l’import-export de l’éducation permanente », Regards sociologiques, n° 41-42, p. 15-34. Tanguy L., 2005, « De l’éducation à la formation : quelles réformes ? », Éducation et sociétés, n° 16, p. 99-122. Tralongo S., Court M. & Kakpo S., 2019, « Introduction. Dire plutôt que laisser dire. Analyser en sociologue ses pratiques d’enseignement », Socio-logos, n°14, En ligne : https://journals.openedition.org/socio-logos/3286.   Les propositions de communication devront indiquer les éléments suivants : – Nom et Prénom du (des) auteur(s) et autrice(s) – leur(s) statut(s) – leur(s) établissement(s) et laboratoire(s) de rattachement – Adresse(s) électronique(s) – Titre de la communication – Résumé de la proposition (environ 2500 signes maximum, espaces et bibliographie compris) avec : le thème choisi, la problématique traitée, le type de technique d’enquête et le terrain ou les sources qui caractérisent la recherche et ses principaux résultats – Références bibliographiques   Les propositions de communication sont à déposer avant le 15 février 2021 sur le site de l’AFS (voir en bas de cette page) Les réponses aux propositions seront communiquées à la mi-mars. Les textes des communications devront être envoyés avant le 30 mai.












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