La thématique du RT-45 du Congrès 2021 de l’AFS, en résonnance de celle du congrès intitulé « Changer ? », portera sur le thème suivant : « Conflit, crise, guerre et changement(s) : apports et limites de la sociologie des conflits à une théorie/science du changement ». Il s’agira notamment d’interroger le rôle du conflit dans le changement social, soit comme accélérateur de tendance ou créateur de nouvelles configurations sociales.
Le conflit amène-t-il ou empêche-t-il le changement ?
La nécessité du changement suppose celle d’une résistance et d’un désir contraire, qui ouvre l’espace de la crise puis du conflit social et d’une opposition entre volontés divergentes des acteurs sociaux. Comme l’a démontré Simmel dans son essai fondateur,
Le Conflit, cet espace social est non pas un simple dissolvant du lien social, ou encore un défaut de socialisation qu’il s’agirait de corriger, mais bel et bien une force structurante des sociétés humaines. Celle-ci n’est donc pas simplement générée par l’envie ou la nécessité de faire société et d’échanger, mais aussi par les résistances, les inimitiés et les refus de collaborer. Ces reluctances à adopter certaines formes sociales, à s’associer avec tel groupe ou telle strate de la société, conduisent à adapter les comportements et doivent dès lors être considérées comme une force façonnant les interactions entre individus faisant société. C’est le cas, par exemple, de l’articulation entre dissension et démocratie analysée par Busino ou encore de la distinction opérée entre conflit et violence par Wievorka, Collins et Hochschild. C’est aussi le cas de l’analyse des significations sociales (imaginaires) à partir des tensions entre instituant et institué, importante pour Castoriadis, Mendel ou Lapassade, des stratégies et des motivations pour Lewin, Schütz, Coser, Crozier, et bien d’autres, notamment dans le domaine des mouvements sociaux.
Bref, cette double structuration par l’attirance et l’aversion, par le commerce et l’évitement, par la collaboration et le déni d’association sont le fondement de toute sociologie du conflit. Ce domaine de la sociologie générale étudie par conséquent de manière privilégiée les phénomènes où l’inimitié et l’opposition, la transformation des rapports de force, sont des motifs d’explication des phénomènes sociaux, que l’on retrouve, par exemple, dans le domaine des CAR (
Conflict Analysis and Resolution), à travers l’étude des méthodes alternatives de résolution des conflits, des processus de peace building & keeping, etc. Qu’il s’agisse de désaccords familiaux, de rivalité amicale, de compétition entre pairs, de concurrence entre entreprises, d’antagonismes politiques ou régionaux, de contestation pacifique ou violente, de débats ou de controverses scientifiques, de dissensions internes, de différends, de querelles, de disputes, de conflits ouverts ou de luttes sourdes, d’escarmouches ou de guerre totale, le conflit articule et modèle l’ensemble des interactions sociales. Il est donc pertinent d’appliquer les concepts et méthodes de la sociologie du conflit aux grands problèmes sociaux et politiques de notre époque. Le prisme de la conflictualité, volontaire ou inconsciente, entre entités et acteurs sociaux nous fournit une explication alternative, centrée sur la divergence et, comme l’a formulé Clausewitz, sur « l’opposition des volontés ».
Ceci posé, il est évident que toute tentative de sociologie du conflit peut ou doit prendre en considération la sociologie du changement, aussi bien de ses causes que de ses effets. Non pas que tout changement soit le fait du conflit. L’évolution naturelle, les dérèglements inévitables de tout ensemble humain et le devenir des choses matérielles induisent des transformations qui ne sont le fait de personne et donc d’aucune intentionnalité. Le changement peut également être le fait de volontés d’évolutions en vue d’une hausse du bien-être et de l’entente au sein d’une communauté ou entre communautés. Néanmoins, tout changement opposera presque nécessairement résistances et contre-projets alternatifs qui entrent en compétition pour savoir quel est le
mode de changement voulu par les membres de la communauté.
Résultats de changements soudains de l’ordre social, les crises sont un moment de confrontation entre ces visions. La crise est une manifestation du conflit, au même titre que la guerre, qui est le conflit le plus extrême, ou de toute autre rivalité interindividuelle qui sont également des variations du conflit. A la différence des autres formes de conflit, les crises sont des moments de tension manifestes où l’ordre hésite entre sa conservation ou sa transformation. Elles permettent d’appréhender les processus de changement ou de résistance à l’œuvre au niveau structurel. Les travaux des différentes sessions de notre Réseau Thématique permettront de mettre en évidence les liens qui existent, ainsi que leurs limites, entre sociologie du conflit et sociologie des crises.
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Le RT-45 « sociologie du conflit » vous invite à participer aux trois sessions. Merci de nous faire parvenir vos propositions de communications.
La RT s’organisera autour de 4 sessions qui se dérouleront successivement de manière à ce que chacun puisse suivre les travaux présentés lors de chaque séance :
Programme prévisionnel
Introduction et présentation des sessions : Thomas Meszaros, Antony Dabila et Catherine Lutard.
Session 1 : De la possibilité d’une sociologie du changement et du conflit (1 keynote speaker et discussion avec les membres du RT)
Conférence de Jean Baechler : la staséologie une contribution à la sociologie des conflits. (La perfection, Paris, Hermann, 2011).
Session 2 : Conflits et changements : approches théoriques (3 papiers/intervenants par session avec 1 animateur)
Il s’agira dans cette session d’aborder les axes suivants :
- La logique du changement et les conflits : état des lieux t actualité de la sociologie du conflit
- Quelles méthodologies pour appréhender le changement ? Quels types de confits pour quels types de changements ? Apports actuels de la sociologie des conflits
- Rupture, (dés)équilibre, (in)stabilité, crise, révolution, réforme et utopie : les mots du changement dans la sociologie du conflit
Session 3 : Études de cas autour des concepts de mobilisation, révolution, crise et changement social (3 papiers/intervenants par session avec 1 animateur)
Il s’agira dans cette seconde session atelier d’aborder, au travers de cas pratiques et de travaux de terrain, les concepts de rupture, d’équilibre, de crise, de révolution, de réforme, d’utopie, de résilience, et de changement social au travers du prisme théorique de la sociologie du conflit et de la théorie des crises en abordant notamment les cas d’études suivants :
- La crise sanitaire du Sras-Cov 2 (2019-2020) et la résilience des sociétés : enjeux sociaux individuels et collectifs
- Les crises contestataires, aussi bien politiques, économiques que financières, telles que Nuit débout, les Bonnets Rouges ou les Gilets Jaunes
- L’instabilité politique et le changement social produits par des actes de terrorisme depuis 2015.
La session 3 est ouverte à d’autres cas d’étude/terrains qui pourraient être pertinents.
Session 4 : Études de cas autour des concepts de crises, guerres et conflits internationaux (3 papiers/intervenants par session avec 1 animateur)
Enfin, dans cette troisième session, nous chercherons, au travers de cas pratiques et de travaux de terrain, à interroger les concepts de la conflictualité dans le champ des relations internationales (crise, guerre, conflits), ainsi que les dynamiques de changements dans l’ordre international au travers de cas d’étude tels que :
- Les attentats du 11 septembre 2001 et ses conséquences sur l’ordre international
- La crise financière de 2008 et ses conséquences sur le système financier mondial
- Les printemps arabes et leurs effets systémiques sur l’ordre régional et international
- Les conséquences de la crise planétaire du Sras-Cov 2 de 2020.
La session 3 est ouverte à d’autres cas d’étude/terrains qui pourraient être pertinents.
Une
publication collective sera issue des travaux du RT 45.
Les propositions de communication (de chercheurs, jeunes chercheurs/doctorants comportant un titre, un résumé de 300 mots max et quelques lignes de biographie) sont à déposer avant le 15 janvier 2021 sur le site de l’AFS (voir en bas de cette page)
Le RT 45 invite bien évidemment les candidats à soumettre des cas d’études pouvant être abordés grâce à la sociologie du conflit ou la théorie des crises. La sélection des propositions se déroulera entre la fin janvier et la mi-mars.