RT48

Le pouvoir classant de la “conciliation“: les pratiques d'articulation des temps sociaux comme marqueur du positionnement social des individus

 

La question de l’articulation des temps sociaux est principalement étudiée sous deux formes. En premier lieu, cette question est posée à travers l’étude des contextes de production du « problème » de la conciliation. De nombreux travaux ont ainsi déconstruit les référentiels qui structurent aujourd’hui l’articulation des temps sociaux, dont ceux dédiés à des activités touchant à l’emploi et ceux dédiés à des activités hors-emploi. Centrés sur les politiques familiales ou les politiques de l’emploi, ces travaux permettent de comprendre l’origine des tensions dans l’articulation des temps sociaux, principalement dans les sociétés occidentales contemporaines (mais aussi ailleurs). En second lieu, l’étude de l’articulation des temps sociaux analyse les expériences concrètes des individus en la matière. Au-delà de la seule description des arrangements opérés par les individus, ces travaux ont particulièrement mis en lumière les inégalités de genre qui y président ou encore la manière dont les cultures professionnelles travaillent ou sont travaillées par cet enjeu quotidien pour l’immense majorité des individus : comment articuler au mieux engagements et contraintes professionnels avec les engagements et contraintes liés à d’autres engagements sociaux tout au long de la vie (notamment parentaux, civiques, associatifs ou encore communautaires)?

Malgré la richesse de ces travaux, un angle mort subsiste : sous la question du « comment », largement investie, demeure en effet la question du « pour quoi et au nom de quoi ». Nous souhaitons donc faire apparaître un impensé qui sera discuté dans les communications attendues : comment les individus se représentent-ils l’articulation et comment articulent-ils leurs pratiques? On sait finalement peu ce qu’entendent les individus par conciliation : de quelle manière définissent-ils une « bonne » articulation des temps sociaux ? Qu’est-ce qu’un équilibre idéal pour eux ? A quoi renvoie au contraire une situation « déséquilibrée » ? Y a-t-il des conceptions variables de cet équilibre et déséquilibre selon les caractéristiques des individus ? Quelles sont les propriétés sociales qui les étayent ? Comment comprendre la variété de ce qui peut être présenté comme une « bonne » articulation ? Autrement dit, nous proposons d’étudier non pas « la » conciliation mais « les » conciliations.

Réfléchir en ce sens revient à s’interroger à la fois sur les conceptions et les déclinaisons sociales de la conciliation. Engager une telle réflexion permet de saisir dans toutes leurs complexités et contradictions les pratiques et valeurs liées à conciliation. Et de poser les jalons d’une analyse renouvelée de la portée des phénomènes sociaux en amont et en aval de la problématique de la conciliation.

Cette manière de réfléchir sur l’articulation travail famille (une réflexion sur les conceptions socialement situées de la conciliation) est un des objectifs centraux des activités collectives déployées au sein du réseau ARTS. Pour la période à venir, nous souhaitons accéder à une compréhension affinée des enjeux de conciliation afin de réfléchir par la suite à leurs conséquences non plus seulement sous l’angle des inégalités de genre mais aussi sous celui des inégalités sociales  (inégalités professionnelles, inégalités de santé, inégalités scolaires, etc.).

Axes de questionnement

Axe 1 : Des conceptions socialement situées de la conciliation?

Dans la continuité de notre réflexion générale, nous faisons l’hypothèse qu’il existe des conceptions socialement situées de l’équilibre entre emploi et hors-emploi. Il est fréquemment question des « difficultés » de conciliation ou au contraire des réussites liées à une « bonne conciliation ». Mais ces appréciations ne se déclinent-elles pas variablement selon les situations de vie des individus (appartenance de classes, de genre, de race, etc.) ? Quelles sont ces conceptions variables de la conciliation ? Que disent les individus de ce qu’est un « bon » équilibre des temps sociaux ? Comment le définissent-t-ils ? Selon quelles représentations, quels modèles ? Il s’agit de comprendre la manière dont les individus peuvent variablement hiérarchiser leurs engagements et accorder des importances différentes à certaines sphères de leur existence (selon leurs propriétés sociales, les évènements qui ponctuent leur parcours de vie). Il s’agit également de comprendre les processus qui se déroulent à l’intérieur de la famille, des groupes professionnels ou des espaces d’interconnaissance (associations, espace local) et qui contribuent à structurer la manière dont les individus classent et hiérarchisent leurs investissements.

 Axe 2 : Quand la conciliation s’articule aux trajectoires sociales

Cet axe propose aux communicants de réfléchir aux effets classants de ces normes. Nous faisons l’hypothèse que les propriétés sociales des individus jouent sur leur possibilité d’articulation et que, symétriquement, la position sociale des individus et son actualisation tout au long de leur parcours est travaillée par les formes prises par l’articulation des temps sociaux. Par exemple, c’est notamment parce qu’elles sont principalement assignées à la gestion des activités hors emploi, contraintes au temps partiel ou encore discriminées dans le déploiement dans leur carrière professionnelle, que les femmes sont progressivement « déclassées » professionnellement. Mais dans le même temps, certains travaux ont pu montrer les effets de distinction sociale qui existent dans des pratiques parentales intensives qui reposent notamment sur une forte disponibilité présentielle. Ainsi, une position insatisfaisante dans la sphère professionnelle peut être vécue comme en partie compensée par une position familiale vécue ou perçue comme avantageuse, du fait des formes de reconnaissance auxquelles elle donne accès dans les sociabilités locales ou familiales (l’investissement dans une sphère permettant à l’individu de se reclasser). En outre, une situation professionnelle jugée avantageuse peut apparaître compensatrice d’une situation familiale vécue comme insatisfaisante. Nous proposons donc aux communicant.e.s de réfléchir à la manière dont s’articulent les engagements des individus dans leurs activités professionnelle, familiale, associative, etc. et comment cette articulation participe à la production de l’expérience de formes de reconnaissances sociales ou au contraire d’infériorisation sociale.

Axe 3 (en commun avec le RT33) :  la pluralité des normes de parentalité légitimes à l’épreuve des difficultés de conciliation des engagements sociaux (familiaux, professionnels et civiques)

Si la sphère professionnelle – et les cultures professionnelles propres à certains groupes – ont jusque-là principalement nourri les travaux relatifs à l’articulation des temps sociaux, la sphère familiale et la parentalité constitue également un domaine particulièrement structurant du rapport à la conciliation chez les individus. Notamment, il est attendu qu’ils s’y investissent avec vigueur et selon une orientation bien spécifique. Or, bien souvent, la conciliation suppose l’usage de mode de garde. Ces modes de garde peuvent valoriser des conceptions variées de la conciliation, assises sur des normes de parentalité spécifiques. On sait notamment qu’à travers leur travail de prise en charge des enfants, les professionnel.le.s de la petite enfance portent des normes professionnelles de traitement des enfants et cherchent parfois à agir sur la manière dont les parents élèvent leurs enfants. Autrement dit, à travers les modes de garde, les parents sont directement mis en relation avec des normes de parentalité, dont celles définissant la « bonne parentalité » prescrites par les professionnel.le.s de la petite enfance en position de pouvoir dans ce champ. Or, des travaux récents ont montré que la disponibilité parentale – et tout particulièrement maternelle – constitue l’une des normes contemporaines de la « bonne parentalité ». Elle s’inscrit dans un corpus, largement psychologisé, de pratiques construites comme légitimes sur le développement des relations parents-enfants. Comment se décline ce corpus de normes ? Comment ces normes de parentalité et d’engagement professionnel s’imposent-elles selon les milieux sociaux ? Quelles sont les réceptions par les individus de ces normes ? Comment sont-elles perçues ? Quel rôle jouent les médiations professionnelles à ce sujet (collectif de travail, syndicat, etc.) ? Des travaux récents révèlent la présence de principes éducatifs et des modes de justification de ces principes différents d’un groupe professionnel à un autre (telles que : la norme de la « sécurité affective », ou la norme éducative d’un éducatif non scolaire portée par les éducatrices de jeunes enfants).

Les travaux attendus sont donc ceux qui s’intéressent aux conséquences des injonctions contradictoires de normes sur les contraintes issues du cumul d’engagement familial et professionnel.

Vos propositions de communication

Les propositions de communication peuvent être envoyées jusqu’au 15 février 2019. Elles compteront un titre et un bref argumentaire sur la méthode, les objectifs et les résultats de recherche (max. 1 page)  Les propositions doivent être envoyées par courrier électronique simultanément à Julie Landour (julielandour@msn.com) et Pascal Barbier (pascal.barbier@univ-paris1.fr).

Les réponses seront transmises début mars et les interventions sélectionnées seront inscrites dans le programme que nous vous communiquerons fin mars. 

Pour le bureau du réseau ARTS, membres du comité d'organisation des sessions ARTS du congrès AFS 2019 :

Pascal Barbier (Pascal.Barbier@univ-paris1.fr) Fabienne Berton (fabienne.berton@lecnam.net) Myriam Chatot (myriam.chatot@ehess.fr) Bernard Fusulier (bernard.fusulier@uclouvain.be)  Morgan Kitzmann (morgan.kitzmann@ined.fr)  Julie Landour (julielandour@msn.com) Maxime Lescurieux (maxime.lescurieux@ined.fr) Severine Mayol (severine.mayol@parisdescartes.fr) Chantal Nicole-Drancourt (drancourtchantal@gmail.com) Alexandra Piesen (alexandra.piesen@gmail.com) Sebastian Pizarro (sebastian.pizarroe@gmail.com) Zineb Rachedi (zinebrachedi@gmail.com) Bertrand Réau (bertrand.reau@lecnam.net) Abdia Touahria-Gaillard (Abdia.Gaillard@ens.fr) Diane Gabrielle Tremblay (diane-gabrielle.tremblay@teluq.ca) Valerya Viera Giraldo  (valeryavierag@gmail.com)

 












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