Le réseau thématique « Sociologie du droit et de la justice » (RT13) de l’Association Française de Sociologie a pour vocation de réunir les chercheur·es et doctorant·es travaillant sur le droit ou la justice avec les méthodes et les questionnements des sciences sociales. Le RT13 met en relation des travaux fondés sur des bases empiriques solides, sans exclusive de méthode ni de courant d’analyse. Au-delà des chercheur·es prenant directement pour objets les institutions, normes, acteur·ices et dispositifs juridiques et judiciaires, le réseau est ouvert à celles et ceux qui sont amené.es à travailler sur le droit et/ou la justice à travers d’autres objets (organisations, action publique, mobilisations ou professions, pour ne citer que quelques exemples). Il est également attentif à travailler ses objets privilégiés à partir des outils analytiques transversaux aux sciences sociales.
Le thème général du Congrès 2019 de l’AFS – « Classer, déclasser, reclasser »– se prête particulièrement bien aux analyses portant sur le droit et/ou la justice. Six sessions seront organisées autour des quatre grands axes de questionnement de ce congrès.
1) Catégorisations et classements juridiques : la production de l’ordre social ?
La production de catégories est au cœur de l’activité juridique. La force du droit résulte de son pouvoir de qualification, de sa capacité à mettre en forme le social (voire à le performer) en constituant des catégories légitimes, qui participent à la structuration des statuts sociaux et des identités. Cette raison classificatoire porte évidemment sur les individus et les groupes sociaux, mais elle s’étend à toutes les entités et jusqu’à nos catégories fondamentales de perception, de signification et d’action : le temps, l’espace, la causalité, l’intentionnalité ou encore la frontière entre humain·es et non-humain·es sont façonnés par le droit.
Les communications inscrites dans cet axe discuteront du travail juridique de production des catégories, dans les différentes activités créatrices de juridicité (décisions juridictionnelles, travail législatif, actes administratifs, expertise juridique, etc.). Elles prêteront attention aux représentations qui irriguent ces processus de catégorisation et de classement, à leur circulation au sein de l’espace social, aux interactions et luttes entre acteur·ices et entre institutions dont les catégories sont les produits, à leur inscription dans des dispositifs, ainsi qu’aux effets de cette production normative sur les entités ainsi qualifiées, classées, habilitées ou hiérarchisées.
2) Catégorisations et classements sociaux : avec ou sans le droit ?
Abordée, dans le premier axe, à partir des professionnel·les et des institutions officiellement habilitées à créer des catégories juridiques et à prendre des décisions à partir de celles-ci, la question de l’interdépendance entre ordre social et catégorisation juridique sera, dans ce deuxième axe, surtout traitée du point de vue des non-professionnel·les du droit. Qu’ils et elles soient qualifié.es de « profanes » ou d’« intermédiaires du droit »,dans quelle mesure s’appuient-ils et elles sur des catégories juridiques pour définir leur identité, pour nourrir ou régler leurs conflits ou encore pour qualifier et évoluer dans leur environnement ? Comment ces catégories juridiques entrent-elles en interaction et s’agencent-elles avec d’autres formes de qualification et d’autres types de normativité ? Comment interagissent qualifications profanes et juridiques et dans quelle mesure l’appropriation des catégories juridiques par des non-professionnel·les peut-elle participer en retour à leur stabilisation ou leur reconfiguration ? Comment ces catégories sont-elles inscrites dans notre environnement quotidien ou professionnel et avec quels effets sur les pratiques ?
Dans cette perspective, une partie des communications de cet axe pourront s’inscrire dans une session commune que le RT13 organise avec leRT29 « sciences et techniques en sociétés » (voir encadré).
Classer, catégoriser, qualifier : quand le droit rencontre la science
Session croisée du RT 13 et du RT 29
Une version plus longue de ce texte est disponible sur le carnet du RT13
Les situations de rencontre de la science et du droit semblent se multiplier dans tous les domaines. Dans les procédures judiciaires, où règne l’exigence de la « preuve », elles sont depuis longtemps le cadre d’une articulation entre savoirs scientifiques et modes d’objectivation juridique. Le secteur de la réglementation des risques, où les acteurs s’appuient habituellement sur des savoirs scientifiques relatifs au fonctionnement des dispositifs techniques, doit désormais composer avec la présence croissante de règles juridiques formelles. À l’inverse, les fonctionnaires et juristes qui encadrent des activités considérées comme éloignées de la sphère technique et scientifique intègrent à leur travail de régulation des modèles, des algorithmes et des dispositifs de mesure statistique. Cette session croisée du RT 13 et du RT 29 propose de réunir les travaux sur ces situations de rencontre entre la science et le droit et de les articuler autour des trois problèmes suivants. Le premier interroge le rôle du droit dans les controverses socio-techniques : Dans quelle mesure le « passage du droit » peut-il être considéré comme une nouvelle source d’incertitude susceptible de repolitiser les controverses scientifiques, techniques et environnementales ? Quelles ressources procure cette juridicisation à celles et ceux qui remettent en cause les discours tenus par les experts techniques et scientifiques ? Le deuxième porte sur l'expertise judiciaire et sur son rôle dans la construction de la preuve. Si d'ordinaire les preuves scientifiques visent à établir des faits relevant de rationalités objectivées, non normatives et apolitiques, la scène judiciaire confronte ce mode d’objectivation scientifique à une logique qui est davantage guidée par l’arbitrage des intérêts et des conflits. Qui sont les acteur·ices de cette confrontation et quels types de ressources matérielles, institutionnelles et discursives mobilisent-ils et elles ? Enfin, le troisième domaine s'intéresse à l'entrée des dispositifs de mesure au croisement de la science et du droit dans les organisations. Un nombre important de textes juridiques encadrent des phénomènes organisationnels tels que le recrutement, la promotion ou l'exposition aux risques des salariés. Dans un contexte où les entreprises sont capables de « managérialiser » ce droit, la mobilisation de celui-ci par les mouvements sociaux ou les tribunaux suppose des « méthodologies de preuve » spécifiques qui, dans certains cas s'appuient sur des discours et des outils (modèles statistiques, algorithmes) issus de la science.
3) Les classements comme mode de gouvernement de la justice.
Le troisième axe s’intéressera à la manière dont les activités et les acteur·ices juridiques font eux-mêmes l’objet de classements. L’activité juridictionnelle n’échappe pas à la montée en puissance du gouvernement par objectifs et des pratiques évaluatives. Le benchmarking entre les tribunaux, voire entre les systèmes juridiques, reconfigure les hiérarchies entre les composantes du champ juridique, voire réoriente ses valeurs fondamentales (telles que la norme d’indépendance). Les professions libérales du droit – en particulier les spécialités les plus orientées vers le marché, tel que le droit des affaires – sont évidemment enrôlées dans cette dynamique. Comment sont produits les classements entre avocat·es (de type Best Lawyers), entre formations juridiques, entre cabinets, entre tribunaux, etc. ? Comment interagissent-ils avec les classements usuels dans le monde du droit (selon les spécialités juridiques, les cultures juridiques, etc.) ? Comment ces classements sont-ils appropriés par les justiciables ? Quels sont leurs effets sur la pratique, la réputation et la rémunération des professionnel·les et intermédiaires du droit et sur le fonctionnement de leurs organisations ? Voilà quelques-unes des questions que pourront traiter les communications inscrites dans cet axe, qui s’intéresse à ce que ces classements nous apprennent quant aux mutations de l’action publique et du capitalisme, notamment dans une perspective comparative.
4) Travailler les catégories juridiques en sociologues.
Enfin, le RT13 propose une entrée plus méthodologique, qui interrogera le travail des sociologues sur et à partir des catégories juridiques. Les modalités pratiques de ces recherches présentent autant de configurations heuristiques pour une analyse croisée des formes sociologiques et juridiques de classification. Comment analyser, en sociologues, les catégorisations produites par et pour des juristes, telles que les matériaux juridiques (des codes juridiques aux dossiers judiciaires en passant par les contrats, les traités internationaux, etc.) les donnent à voir ? Que révèlent les travaux menés en commun, entre chercheur·es en droit et chercheur·es en sciences sociales, sur nos manières, divergentes ou convergentes, de penser les opérations de qualification, de catégorisation et de classement ? Lorsque les sociologues ont à jouer un rôle d’expert·es auprès des tribunaux ou des forums de réforme juridique, comment sont retenues les classifications sociologiques (des nomenclatures aux typologies) qu’ils et elles proposent, et comment interagissent-elles avec les classifications juridiques ? Nous espérons que cet axe saura susciter tant la réflexivité des sociologues que l’appétence des juristes pour l’interdisciplinarité.
Les propositions (pour le RT13 comme pour la session croisée) ne devront pas excéder 5 000 signes. Elles comporteront un titre, la question de recherche, les principaux arguments ou la thèse démontrée, les principaux résultats, les méthodes mobilisées, sources et terrains étudiés, le cadre théorique dans lequel elles s’inscrivent, une bibliographie sommaire.
Elles devront obligatoirement être mises en ligne sur le site de l’AFS (https://afs-socio.fr/) avant le 15 février 2019.
Calendrier
• 15 février 2019 : réception des propositions de communication
• Mi-mars 2019 : réponse du RT13
• 25 juillet 2019 : envoi aux discutant·es et aux responsables du RT13du support de la communication, d’une longueur de 10 à 15 pages
• 27-30 août 2019 : congrès de l’AFS, avec plusieurs activités organisés par le RT 13
· Une session semi-plénière, organisée avec le RT27 : « Des catégories juridiques aux classements sociaux : quels pouvoirs pour les expert-e-s ? »
· 6 sessions du réseau, dont une avec le RT29
· Assemblée générale du réseau
Composition du bureau du RT13 :
Responsables : Kathia Barbier, Émilie Biland et Vincent-Arnaud Chappe
Membres du bureau : Benoit Bastard ; Barbara Bauduin ; Sébastian Billows ; Yasmine Bouagga ;Marine Delaunay ; Thierry Delpeuch ; Corentin Durand ; Virginie Gautron ; Romain Juston ; Martine Kaluszynski ; Claire Lemercier ; Annalisa Lendaro ; Isabelle Sayn ; Romane Sabrié ; Rachel Vanneuville ; Helena Yazdanpanah.