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« Intersections, circulations » en histoire de la sociologie

La thématique générale du Congrès, « Intersections, circulations », est une invitation à un (ré)examen, tant historique qu’épistémologique, de notre discipline. Longtemps cantonnée à une vision largement nationale et strictement disciplinaire, l’histoire de la sociologie s’est progressivement ouverte, depuis au moins trois décennies, à des approches plus attentives à la circulation des concepts, à la réception-appropriation des auteurs et des théories, au rôle des traductions et des traducteur.rice.s dans la diffusion comme dans la transformation des idées sociologiques. Par ailleurs, les concepts même ayant permis de rendre compte de ces « voyages », de ces mouvements et, plus généralement, de frontières – entre États, entre catégories ou entre disciplines – plus poreuses qu’on ne l’avait considéré jusqu’alors, ont eux-mêmes une historicité propre qu’il est possible et souhaitable de retracer. Circulation, réception, traduction, intersectionnalité, pour ne choisir que ceux-là, sont non seulement des catégories d’analyse mais aussi le produit d’émergences, de circulations et de traductions spécifiques. Enfin, les contacts, les oppositions, les intersections (en mettant malgré tout l’accent sur ces dernières) entre la sociologie et d’autres disciplines (anthropologie, économie, philosophie, science politique, histoire, psychologie), en France comme dans d’autres pays, renvoient à d’autres formes de circulation, celle des idées, des méthodes, des concepts… Nous proposons ainsi 4 axes de réflexion possibles :  
  1. « Intersection, circulation » : histoire des concepts
Les concepts et les notions que les sociologues du monde entier mobilisent dans le cadre de leurs travaux n’ont bien souvent pas été forgé.e.s dans leur pays. Ces termes ont une histoire migratoire particulière qu’il est fondamental d’interroger et de déployer. Même le mot sociologie a connu des formes de diffusion qui n’ont encore été que peu étudiées. Nous invitons ici à des communications qui viendraient proposer une analyse particulière sur les circulations de certains concepts, dans le temps et dans l’espace. Par ailleurs, la thématique du congrès, « Intersection, circulation », nous incite également à nous interroger sur l’histoire de ces notions particulières et leur valeur heuristique. Quelles sont l’origine et les emplois de ces notions ? Rencontre, échange, circulation, réception, croisement…, ces notions sont-elles synonymes ? Comment l’histoire de la sociologie les mobilise-t-elle ? Il sera tout à fait pertinent d’explorer le prolongement ou la proximité conceptuelle qu’elles renferment ou non avec d’un côté la notion très médiatisée d’« intersectionnalité » et de l’autre celle plus classique de « réception » d’un.e. auteur.e ou d’une œuvre. Comment se forment et migrent des catégorisations d’études : études de genre, études postcoloniales, études décoloniales etc. ?  
  1. Circulation des sociologues et des concepts
Cet axe sera l’occasion de revenir sur des biographies de sociologues, d’évoquer le rôle des mobilités académiques dans la circulation des idées et des concepts, comme dans les traductions d’œuvres. En effet, le parcours d’un.e sociologue est fréquemment jalonné de voyages et de séjours universitaires, de rencontres avec d’autres sociologues ou scientifiques étrangers, d’appartenance à des réseaux sociaux… Si ces séjours sont le plus souvent voulus, ils peuvent parfois être contraints par l’exil, à l’instar de ceux et celles qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, ont trouvé refuge aux États-Unis. Il sera alors intéressant de mesurer l’impact de ces différents éléments et épisodes dans la circulation des concepts et des œuvres. Les trajectoires Nord-Sud, Sud-Sud ou Sud-Nord, souvent ignorées, gagneraient à être incluses. On pourra également s’intéresser au rôle des associations nationales et internationales de sociologie, notamment aux colloques et congrès qu’elles organisent pour favoriser la circulation des concepts et les échanges entre sociologues de pays et traditions différentes. Quelles stratégies sont mises en place pour internationaliser la sociologie, ou au contraire en protéger certaines caractéristiques nationales ? On peut aussi penser au rôle de l’enseignement de la sociologie – et des sciences sociales en général – dans la circulation et la réappropriation de certains concepts. On pourra enfin, dans le cadre de cet axe, se pencher sur le rôle des médias qui contribuent à populariser un certain savoir sociologique, dont les critères de sélection mériteraient d’être étudiés.  
  1. Éditions et traductions des œuvres
Les traductions sont la manifestation plus évidente de la circulation des œuvres dans d’autres traditions nationales. À ce titre, elles méritent qu’on leur consacre une session. Quels ouvrages de sciences humaines et sociales sont le plus traduits ? Les plus classiques ou les plus récents ? Ou encore les livres d’auteur.e.s les plus célèbres ? Et dans quelles langues ? Quand furent traduit.e.s certain.e.s auteur.rice.s et pour quelle réception ? Alors que l’anglais demeure la langue de communication privilégiée et domine aussi le monde de la traduction, le nombre de traductions d’ouvrages en anglais a-t-il pour autant diminué ? Par ailleurs, quels sont les facteurs qui conduisent à traduire un ouvrage de sociologie de langue anglaise dans une autre langue, en français par exemple ? Et selon quels délais ? Y a-t-il une spécificité dans la traduction d’œuvres sociologiques ? Inversement, la traduction d’un ouvrage, notamment en langue anglaise, signifie bien souvent une sorte de consécration pour son auteur.e. Au commerce des langues, on peut également associer la question des « registres » de discours : la circulation des savoirs sociologiques est aussi celle qui les fait se diriger, en dehors de l’espace académique, vers le grand public, les décideurs politiques ou les entreprises. L’exercice de « vulgarisation » qui doit alors s’opérer est effectivement souvent considéré (peut-être de manière superficiellement métaphorique ?) comme un travail de traduction. Ces mouvements renferment des aspects matériels que le travail des éditeur.rice.s par exemple permettrait de considérer : collection, tirage, format, prix, marketing… Dans l’ombre des chercheurs et chercheuses, les éditeur.rice.s assurent, avec les traducteur.rice.s ou encore les administrateur.rice.s de la recherche (qu’on pense, par exemple, à la figure de Clemens Heller), le bon fonctionnement d’une espèce d’« ingénierie des savoirs » qu’il sera intéressant d’aborder.  
  1. Histoire des interdisciplinarités avec la sociologie
Ici, il s’agira d’examiner l’espace sociologique en tant que discipline constituée à travers les divers emprunts et échanges disciplinaires qu’elle a incorporés. Si la sociologie a réussi à s’autonomiser, en particulier par rapport à la philosophie, le dialogue interdisciplinaire n’est pas pour autant rompu. Qu’emprunte la sociologie aux autres disciplines ? Des idées, des concepts, des méthodes, des stratégies disciplinaires ? Et que lui empruntent les autres disciplines ? Quels croisements ou quelles « intersections » peut-on repérer entre la sociologie et d’autres disciplines, en France comme dans d’autres pays ou d’autres aires ? Quelles furent les alliances ou les conflits ? Les rapprochements avec l’anthropologie, l’économie, l’histoire, ou plus récemment avec les sciences du numérique, ont-ils conduit à de nouvelles pistes de recherche, à de nouveaux concepts ? L’enseignement interdisciplinaire a-t-il progressé en France comme dans d’autres pays ? Ou bien la lutte disciplinaire pour dominer les sciences humaines et sociales persiste-t-elle ?   Enfin, comme à l’accoutumée, nous réserverons une session pour les travaux en cours relevant de l’histoire de la sociologie qui ne rentreraient pas dans les axes développés à partir de la thématique du congrès. L’objectif sera aussi de découvrir des thématiques nouvelles et des terrains émergents de l’histoire de la sociologie.  
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