RT30

AAC RT30 Lille 2021

Le Réseau thématique « sociologie de la gestion » (RT30) attend vos propositions de trois pages maximum (environ 8 000 signes hors bibliographie) d’ici le 15 janvier 2021 sur le site de l’AFS (voir en bas de cette page)
 
Après les thèmes de la violence (Paris, 2009), de la domination (Nantes, 2013), de la Nature (Saint-Quentin en Yvelines, 2015), du pouvoir comme objet sociologique (Amiens, 2017), ou encore celui des classements (Aix-en-Provence, 2019), le prochain congrès de l’Association Française de Sociologie qui se tiendra à Lille à l’été 2021 nous propose de réfléchir ensemble à une question classique de notre discipline : celle du changement. 
L’approche sociologique postule en effet que les phénomènes que nous étudions varient dans le temps et dans l’espace, sont contingents. La sociologie de la gestion s'intéresse justement aux transformations des rapports de pouvoir qui structurent les organisations et les marchés, puisqu’elle cherche à analyser et rendre compte de processus de mise en gestion de différentes sphères sociales, mais aussi aux discours managériaux autour des injonctions au changement permanent (Metzger, 2000). Nous qualifions ces processus à l’aide du barbarisme de “gestionnarisation” (Boussard et Maugeri, 2003 ; Metzger et Benedetto-Meyer, 2008) pour montrer également la place de plus en plus prégnante que la gestion, le management, les représentations comptables ainsi que la finance tiennent dans nos sociétés capitalistes (dans et hors les entreprises). Toutefois, la notion de changement peut conduire à plusieurs écueils. Le terme de « changement social », par exemple, peut s’avérer flou, dépolitisé et supposer que toute « la société » changerait d’elle-même et de façon homogène, au risque d’oublier de s'intéresser à la transformation historique et les temporalités de tel ou tel rapport social. À l’inverse, l’étude du changement peut, comme toute analyse sociologique, s’enfermer dans la monographie d’un espace spécifique, en oubliant de chercher à en identifier les causes proches et lointaines, de s’intéresser à des configurations plus vastes et offrent des pistes de montée en généralité (par exemple, en examinant les transformations du droit du travail au niveau européen ou l‘imposition progressive du référentiel des comptables internationales au niveau mondial. 
Notre réseau, consacré à l’étude du fait gestionnaire, tâche d’éviter de tels écueils en inscrivant l’étude des pratiques de gestion dans les rapports de forces plus généraux qui parcourent le monde, tout en proposant une analyse de ce qui se passe concrètement, au quotidien, sur des scènes sociales bien circonscrites. 
 
Sans exclure toute idée originale à laquelle nous n’aurions pas songé, les propositions de communication pourraient privilégier 4 axes : 

Axe 1 : Pour une étude de la diversité empirique des processus de gestionnarisation

On peut parler de processus de gestionnarisation chaque fois que l’organisation d’une activité sociale, qu’il s’agisse de celle de travailleu·ses de terrain ou de celle de clients et d’usager·es, que le contexte soit français ou étranger, se voit imposer des normes, des dispositifs ou des savoirs formalisés, conçus par des spécialistes (technocrates, experts, managers, etc.) qui, eux, n’exercent pas directement d'activité productive, mais conçoivent et régulent, directement ou non, le travail exécuté par d’autres. Tous occupent la position de cadres organisateurs à distance (Dujarier, 2015) opérant depuis les bureaux, mais leur action n’a d’effet que si elle est relayée par un deuxième niveau de travail d’organisation, celui réalisé directement auprès des équipes par les cadres intermédiaires ou de proximité (Barrier et.al 2015, Benedetto, Hugot, Ughetto [à paraître 2021]). Un phénomène gestionnaire est toujours situé, il concerne des aspects précis de l’organisation du travail. Il se diffuse au travers de pratiques concrètes, dont ni les formes ni la finalité ne sont totalement connues a priori, car celles-ci procèdent en partie de la compétition entre différents groupes professionnels portant des modèles concurrents de mise en gestion. 
Tout élément de l’organisation du travail au sens large peut théoriquement être la cible de pratiques gestionnaires : les différentes catégories de droit (des affaires, du travail, social…) ; la division du travail et la fixation des objectifs stratégiques au sein des multinationales comme au sein des institutions internationales ; l’agencement des opérations de production dans l’atelier ou le service local, avec le taylorisme classique, le lean management, les procédures « qualité » ou le recours à un logiciel de type workflow ; le jugement sur l’efficacité collective et l’évaluation du travail, lorsque des contrôleurs de gestion mettent en chiffres, en indicateurs les « performances » d’un établissement et répondent aux injonctions de la construction de représentations comptables au plus près des représentations financières d’un service voire d’un individu, tout particulièrement dans le cas des multinationales ; l’organisation proprement sociale du recrutement, de l’évaluation, de la formation, de la promotion, de la répartition des salaires ou des licenciements avec la gestion des ressources humaines ; l’infrastructure "machinique" et le système d’information avec les modèles de choix des investissements ou les progiciels de gestion ; la conception des biens et services publics ou privés et la détermination de leurs usages légitimes avec le marketing ou, dans l’État, la conception et l’évaluation des politiques publiques.
Tous les secteurs d’activité sont potentiellement concernés. Dans chaque entreprise, chaque administration, chaque association, chaque organisme supranational, à tel moment de son histoire, la forme et l’intensité d’un processus de gestionnarisation est susceptible de varier selon les coalitions d’acteurs qui les portent et les rapports de force locaux, eux-mêmes insérés dans les macrostructures sociales qu’ils façonnent autant qu’elles les déterminent. De plus, la prétention de spécialistes au monopole du travail d’organisation n’est jamais infaillible : elle doit toujours composer avec des encadrants, des professionnel·les ou des exécutant·es rétifs à la formalisation de leur activité, elle doit toujours composer avec des maîtres d’œuvre de l’infrastructure (informaticiens, contrôleurs de gestion, comptables), dont les contraintes et les principes peuvent déroger aux intentions du donneur d’ordre. De ce fait, la gestionnarisation ne s’impose que rarement de façon intégrale, sauf quand elle parvient à vaincre, à enrôler ou à contourner les résistances des dominés (et jamais sans effets pervers).
Les sessions que nous animerons l’été prochain, si les transformations du monde le permettent, seront ainsi tout à fait accueillantes à l’égard des enquêtes de terrain qui, en France et à l’étranger, visent à :
- comprendre les effets projetés et réels d’une réforme, d’une fusion-restructuration ou de l'introduction d’une technique de gestion sur les rapports sociaux internes à une entreprise, une administration ou une association, mais aussi sur les rapports sociaux avec les autres parties prenantes, clients, usagers, financiers, employés des sous-traitants, etc. ;
- mettre en évidence comment certains acteurs collectifs utilisent un dispositif de gestion pour redistribuer les rôles, les capacités d’action et les pouvoirs entre groupes professionnels ;
- montrer la manière dont des tâches, auparavant réalisées de manière informelle, sont progressivement mises en gestion ;
- ou encore rendre visibles les conflits dont l'enjeu porte sur tel ou tel aspect de l'organisation du travail.

Axe 2 : Analyser l’évolution des dispositifs de gestion sur le temps long

Le phénomène le plus visible est celui de la succession ininterrompue des réformes (privatisations, restructurations, fusions/absorptions, etc.) et des modes managériales, sous l'action, notamment, de grands cabinets de conseil internationaux, occupés à vendre des « outils de gestion » aux cadres dirigeants des organismes internationaux, des entreprises, et des administrations publiques ; action soutenue indirectement par des agences de notation. Pourtant, ces cycles rapides ne font souvent que renforcer, adapter ou reconfigurer des dispositifs plus globaux et plus stables en leur ajoutant certains éléments : la nouvelle trouvaille du directeur de la qualité rejoint le déjà vaste arsenal des normes préexistantes, la DRH ajoute un nouveau progiciel de gestion du recrutement à un lourd dispositif de sélection individualisée des salariés, etc. À se limiter au temps « court » d’une réforme ou d’une ethnographie, l’analyste prend parfois le risque de naturaliser une partie des rapports sociaux ou un passé idéalisé. De nombreux travaux cherchent à analyser les processus de gestionnarisation sur le temps long de la construction/reconstruction des organisations publiques et privées, qui se jouent souvent sur plusieurs décennies. Nous pensons, par exemple, aux travaux publiés par les gestionnaires critiques de la revue Accounting, Organizations and Society (AOS), ainsi qu’à ceux en histoire économique et en histoire de la comptabilité, réalisés par des historiens ou des gestionnaires, comme ceux deBéatrice Touchelay qui a étudié la progressive normalisation comptable des entreprises, ou de Laurence Morgana qui a exposé la préhistoire de la managérialisation des PTT depuis les années 1930. Il peut être également intéressant d’analyser comment les modes actuelles de management s’inscrivent, avec un certain degré de dévoiement, dans des concepts historiquement développés comme l’autogestion par exemple (Isabelle Chambost, Olivier Cléach, Simon Le Roulley, Frédéric Moatty et Gu
illaume Tiffon (dir.), 2020). C’est pourquoi nous trouverions un grand intérêt, lors du prochain congrès, à donner la parole à des chercheurs pratiquant une sociohistoire des entreprises et des administrations, qu’il s’agisse de contextes français, étrangers, nationaux ou internationaux.

Axe 3 : Analyser les transformations du champ de la gestion ?

La poursuite des dynamiques gestionnaires et la consolidation des monopoles organisationnels passent souvent par la « professionnalisation » des spécialistes chargés de concevoir, de maintenir, d'appliquer et de transformer des dispositifs. On peut, par exemple, se demander selon quels mécanismes sociaux les contrôleurs de gestion ou les DRH en sont venus à constituer une expertise autonome, liée à des savoirs formalisés, sanctionnée par des diplômes spécifiques, défendus par des organisations professionnelles, disposant de leur propre segment sur le marché du travail. Comment de tels processus de professionnalisation prennent-ils forme en France et au-delà.  En ce qui concerne le secteur de la formation, qui lui aussi devient un marché s’internationalisant, l’institutionnalisation et la montée en puissance des écoles de commerces (Chessel et Pavis, 2001 ; Blanchard, 2015) ou encore les réformes des Instituts régionaux d'administration (IRA) (Quéré, 2020) comme celle de l’EHESP à Rennes ont participé à une professionnalisation des savoirs gestionnaires et à une légitimation de ceux qui les portent. Comment rendre compte de la place des savoirs gestionnaires (contenu cognitif, travail d’élaboration des savoirs, modalités de leur légitimation) et analyser le degré d’autonomie de ces savoirs par rapport aux dynamiques sociales et rapports de force plus généraux. Quant aux grands cabinets de conseil, ils ont participé à l'émergence d’une véritable industrie des dispositifs standardisés, agissant à l’échelle globale.
Dans cette veine, nous serions tout à fait ravis de voir exposés des travaux qui analysent les reconfigurations de différents segments de l’espace de la gestion, sous l’angle des luttes de juridiction, de la production des savoirs ou des trajectoires collectives et individuelles. Les reconfigurations à une échelle transnationale seront particulièrement bienvenues, de même que les travaux portant sur la constitution ou les reconfigurations de champs d’expertise gestionnaire à l’échelle de secteurs comme la santé ou l’enseignement supérieur.

Axe 4 : Penser les stratégies de « conduite du changement »

Parmi ces différentes spécialités gestionnaires, celle de la « conduite du changement » tend, depuis au moins les années 1960, à s'institutionnaliser. Lorsqu'il fonde la sociologie française des organisations, Michel Crozier défend déjà la posture d’un sociologue-expert chargé d'aider les entreprises et les administrations publiques à « s’adapter » au nouvel « environnement économique » constitué par ce que l’on n’appelait pas encore la mondialisation. Universités et grandes écoles de commerce proposent aujourd'hui de nombreux Master ou MBA spécialisés dans la « conduite du changement », à destination des futurs consultants. Cette professionnalisation de la conduite du changement est allée de pair avec la naturalisation des oppositions qu’elle n’a pas manqué de susciter à travers la rhétorique des « résistances au changement ». Rangeant du côté de la sclérose et de l’immobilisme toute contestation des politiques et des stratégies déployées, cette rhétorique a contribué à légitimer la place des savoirs sociologiques dans les espaces gestionnaires, chargés de mesurer et d’assurer “l’acceptabilité” des programmes mis en œuvre. 
Dans une perspective critique, le RT 30 donnerait toute leur place à des contributions qui permettraient de déconstruire et d’investir sociologiquement les activités de travail qui mettent “la conduite du changement” au cœur de leur préoccupation, mais aussi les processus de lutte ou de construction d’une alternative qu’ils suscitent. Ainsi, il conviendrait également, après Renaud Sainsaulieu et d’autres, de poser la question : comment les acteurs s’y prennent-ils pour conduire le changement, particulièrement en s’appuyant sur des dispositifs de pilotage issus de la gestion ?
Calendrier
Les propositions de communication de trois pages maximum (environ 8 000 signes hors bibliographie) sont à déposer sur le site de l’AFS (voir en bas de cette page)
La sélection des textes et la notification aux chercheurs interviendront au mois de février 2021.
Nous attendons le texte final des communications avant le 9 mai 2021 pour une mise en ligne sur le site du RT30 (site : https://sociogest.hypotheses.org/), afin que toute personne intéressée par nos travaux puisse en prendre connaissance avant la tenue des sessions (ils seront supprimés à la fin du Congrès pour ne pas gêner d’éventuels projets de publication) et puisse participer aux débats qui auront lieu lors de nos sessions.
Contact en cas de problème : rt30@free.fr 
 Quelques références :
Blanchard Marianne (2015), Les écoles supérieures de commerce, Paris, Classiques Garnier.
Boussard Valérie et Maugeri Salvatore (dirs.) (2003), Du politique dans les organisations, Paris, L’Harmattan.
Chambost Isabelle, Cleach Olivier, Le Roulley Simon, Moatty Frédéric et Tiffon Guillaume, L’autogestion à l’épreuve du travail : Quelle émancipation ?, Presses Universitaires du Septentrion, 2020.
Chessel Marie-Emmanuelle et Pavis Fabienne (2001), Le technocrate, le patron et le professeur. Une histoire de l’enseignement supérieur de gestion, Paris, Belin.
Dujarier Marie-Anne (2015), Le management désincarné : enquête sur les nouveaux cadres du travail, Paris, Découverte.
Hopwood, Anthony G., et Miller, Peter (Dirs.) (1994), Accounting As Social And Institutional Practice, Cambridge, CUP.
Metzger Jean-Luc (2000), Entre utopie et résignation, la réforme permanente d’un service public, Paris, L’Harmattan.
Metzger, Jean-Luc, et Benedetto-Meyer, Marie (Dirs.) (2008), Gestion & Sociétés, Paris, L’Harmattan.
Morgana Laurence (2008), L’invention du contrôle de gestion à La Poste (1923-2003), Paris, L’Harmattan.
Quéré Olivier (2020), L’atelier de l’État, Rennes, PUR.
Touchelay Béatrice (2011), L’État et l’entreprise : une histoire de la normalisation comptable et fiscale à la française, Rennes, PUR.












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