RT30

Appel à communications du RT sociologie de la gestion (RT30)

Le Réseau thématique sociologie de la gestion (RT30) attend vos propositions de trois pages maximum (~ 8 000 signes) hors bibliographie d’ici le 15 février 2018.

 

Après les thèmes de la violence (Paris, 2009), de la domination (Nantes, 2013), de la Nature (Saint-Quentin en Yvelines, 2015) ou encore du pouvoir comme objet sociologique (Amiens, 2017), le prochain congrès de l’Association Française de Sociologie nous propose à nouveau de réfléchir ensemble à une question centrale dans la discipline, celle des classements. Depuis les travaux de Durkheim à consonance anthropologique la communauté des sociologues revient régulièrement sur cette question : les activités de classement constituent une des formalisations les plus claires de la notion de “construction sociale”. Construction sociale d’une part parce que l’on ne peut faire l’économie d’une approche historique de nos objets pour saisir les grandes catégories qu’utilisent nos enquêtés comme autant de boussoles pour se repérer et se représenter le monde. Construction sociale d’autre part parce que, plus ou moins tangibles, ces nomenclatures de classement charrient des jugements de valeur qui ne peuvent être appréhendés sans prendre la mesure des rapports de forces locaux ou plus généralisés qu’ils donnent à voir. La découpe du monde social est le produit des mécanismes de domination. Des formes élémentaires de la vie religieuse (Durkheim, 1912), aux benchmarks contemporains (Didier & Bruno, 2013) en passant par les comptes de la puissance (Fourquet, 1980), la vie sociale semble aller de pair avec son double : la nomenclature.

 

Les opérations de classement et de jugement au cœur de la gestion.

Soucieux de faire vivre une approche critique des pratiques, des discours et des outils de gestion, le RT 30 est heureux de proposer un appel à communication qui se confronte explicitement à la question de la production des classements dans les organisations productives, qu’il s’agisse de sociétés privées, d’associations ou d’administrations. Trop souvent renvoyées par les indigènes à une forme de nécessité ou de fatalité historique (“c’est le marché” ; “c’est la concurrence” ; “Ce sont les besoins des clients”), les pratiques de classement apparaissent au cœur des activités de gestion. Dans le laboratoire secret de la production, gérer repose toujours sur une division des tâches et une répartition du produit du travail qui suppose de classer et de hiérarchiser les activités. Les analyses fines et empiriquement fondées de la construction historique, sociale et politique d’outils et dispositifs ont permis de mettre au jour les systèmes de valeur incorporés par exemple dans les instruments métrologiques que sont les listes, grilles, mesures, classements et ratios (Vatin, 2013, p. 29). Les définitions (parfois de nature économique) de ce qui vaut et de ce qui compte contribuent à produire des évaluations et des catégories sous forme par exemple de scores, notations, benchmarks, palmarès et autres classements qui en retour produisent des effets organisationnels puissants dans les administrations publiques(Bruno et Didier, 2013) et les entreprises privées (Espeland & Sauder, 2016) au point d’influencer les représentations des acteurs impliqués et leurs comportements. Au point parfois de modifier ce qui vaut et ce qui compte pour eux et les institutions dont ils sont membres. Malgré la profusion des outils de gestions, des outils comptables ou encore des organigrammes, ces classements ne constituent pas toujours, tant s’en faut, une réalité tangible. Bien au contraire l’informel est le plus souvent de mise. La question du sale boulot est à ce titre typique : les travailleurs et les travailleuses n’ont pas besoin d’un organigramme pour savoir s’ils sont mis au placard ou non.

Dispositifs de gestion et structuration du monde social

Depuis sa constitution, le Réseau thématique sociologie de la gestion (RT30) accorde une attention spécifique aux technologies, aux dispositifs de gestion, en faisant l’hypothèse qu’ils sont, fondamentalement, déployés au service de la rentabilité des investissements y compris lorsqu’il s’agit de réformer l’État et les services publics. Les opérations de classement et de hiérarchisation - entre activités nobles et déclassées, activités productives et improductives, entre activités rentables et non rentables - constituent dans ce cadre l’an 1 de toute pratique visant à terme à la fabrique d’un ordre social (Douglas, 2004). Fondée sur des analogies ces opérations “tranchent”, c’est-à-dire qu’elles rassemblent ou excluent des éléments parmi la diversité des activités de travail, dans une logique de recherche de performance sans cesse renouvelée (productive, comptable et financière). Le RT 30 s’intéresse, tout particulièrement, au rôle du “salariat de confiance” (ingénieurs et managers, consultants, chercheurs et enseignants, journalistes spécialisés…) dans la conception et le perfectionnement de ces technologies pour classer, déclasser, reclasser et, in fine, mobiliser la force de travail.

La sociologie critique des outils, des pratiques et des représentations de gestion telle qu’elle s’est développée au sein de notre RT a contribué à apporter des résultats tout à fait solides quant aux nomenclatures qui font l’infrastructure de l’économie capitaliste contemporaine. Dans ses travaux et les discussions qu’il a hébergés, le RT 30 s’est toujours montré attentif à la production de valeur(s) – ce qui vaut, ce qui mérite d’être défendu, ce qui compte, ce qui est utile (socialement), etc. – et à l’encastrement de valeurs dans les outils et dispositifs conçus pour soutenir les activités productives. Que l’on pense aux dispositifs de formation, d’évaluation, de sécurité, de prévention ou de gestion du personnel, tous incorporent des éléments hétérogènes (règles, valeurs, discours, objets, etc.) qui ont pris une importance considérable dans les organisations contemporaines (Moisdon, 1997). Ces dispositifs de gestion sont conçus dans les organisations pour planifier les activités, les piloter et contrôler leur exécution au nom d’exigences de rationalisation des activités (Benedetto-Meyer M., Metzger J-L.,2008, Benedetto-Meyer M., Maugeri S., Metzger J-L, 2011, Bernard, 2006 ; Boussard et Maugeri, 2003 ; Boussard 2005, Maugeri, 2006, Buisson-Fenet H., Mercier D.,2013, Jacquot Lionel,2016).

Dans le cadre du prochain congrès de l’AFS, le RT sociologie de la gestion (RT 30) sollicite ainsi des contributions qui étudieraient ces dispositifs de leur élaboration à leur mise en œuvre (et parfois abandon) en mettant l’accent sur les finalités qui leur sont assignées (i.e. les intentions rationalisatrices qu’ils embarquent), qui montreraient comment les dispositifs transforment les pratiques et inversement, qui chercheraient à comprendre les rôles joués par les différents groupes professionnels ou acteurs impliqués, qui rendraient enfin compte des jeux (de pouvoir), qui montreraient les effets (effets voulus et non voulus, attendus et inattendus) tout en évoquant les efforts pour dépasser le cadre d’observation, d'analyse et d’action restreint que peuvent représenter les organisations et analyser des sphères sociétales plus larges.    

Le 8ème congrès de l’AFS, à travers les communications que nous sollicitons, nous offre ainsi l’opportunité d’interroger les procédures à travers lesquelles se réalise la valorisation du capital par le travail, médiatisée par les usages des dispositifs de gestion. Sans exclure toute idée originale que nous n’aurions pas imaginé, les propositions de communication pourraient privilégier 4 axes :  

Axe 1 : Une approche sociologique et socio-historique des catégorisations comptables et financières et de leurs effets

Dans la veine des études sociales de la comptabilité et de la finance (Hopwood 1983, Chambost, Lenglet, Tadjeddine, 2018), nous souhaiterions laisser une place à des travaux sur la catégorisation des activités productives. Comment les acteurs dans les entreprises, les administrations ou les associations s’y prennent-ils pour classer, déclasser et reclasser les tâches afin de parvenir à les mettre en gestion. Le modèle de la “fluidité industrielle” (Vatin, 1987) semble largement influencer le dessin du processus de production mais tous les produits ou activités ne paraissent pas compatibles dans les mêmes proportions avec ce modèle. Inversement la division internationale ou régionale du travail impulsée par les groupes et multinationales (processus de filialisation et de sous-traitance) mais également leur inscription sous l’égide de l’industrie de la finance peut, dans le cas de la mise en œuvre de chaînes de valeur globales et financières conduire à une catégorisation des entreprises et de leur rôle économique ainsi que des niveaux de performance attendus. Cet axe serait ainsi l’occasion d’en analyser les effets sur le travail, les relations professionnelles et plus largement sur les territoires d’implantation mais également d’étudier la manière dont les acteurs qui les subissent en appréhendent, ou non, les ressorts.

La réflexion sur les catégories de découpage des activités sous-pression des normes gestionnaires et financières peut ainsi se déployer à une multiplicité d’échelle. Au niveau macro, l’on peut se demander dans quelle mesure les indicateurs globaux d’analyse des secteurs productifs structurent les décisions prises dans les organisations. Une généalogie socio-historique de ces indicateurs pourrait également éclairer les effets pervers visés ou plus contingents de l’influence de ces indicateurs en montrant également comment peuvent s’opérer, au cours du temps, des processus d’instrumentalisation des catégories de classement selon les jeux de pouvoir, voire de domination, à l’œuvre. Cet axe aurait ainsi au cœur de sa réflexion les boucles de rétroaction s’opérant entre la conception et les multiples appropriations des catégorisations et classements à différents niveaux.

Axe 2 : La main-d’œuvre saisie par la gestion

Une approche sociologique des pratiques gestionnaires de classement invite également à une sociologie de l'emploi et du travail prenant pour objet les procédures d'évaluation des travailleurs dans un contexte gestionnaire. Dans quelle mesure les politiques de main d’œuvre consistent-elles à classer, déclasser, reclasser les travailleurs en fonction des objectifs de performances et des transformations stratégiques de l'entreprise. Cet axe pourrait être l’occasion de réinvestir la question de la division morale du travail - et celle du sale boulot qui lui est intimement attachée - avec les lunettes d’une sociologie de la gestion attentive aux rapports de force et aux réorganisations gestionnaires. On peut ainsi se demander par quels mécanismes la financiarisation des entreprises ou bien encore les dispositifs de néo-management parviennent à instituer de nouveaux classements de noblesse des tâches concurrentes à celle émanant du corps des travailleurs et des travailleuses.

Axe 3 : Comparaisons et monographies internationales

Le RT 30 sociologie de la gestion conserve une sensibilité comparatiste et accordera une place importante aux contributions qui se proposeraient de traiter les questions qui nous animent sur des terrains qui ne se situeraient pas en France métropolitaine.

Tout comme l’approche socio-historique, le déplacement géographique aurait alors l’intérêt de mener des réflexions sur les variations des phénomènes étudiés. Peut-on observer des différences dans l’appropriation de dispositifs similaires ? Des questions similaires donnent-elles lieu à des dispositifs différents ? Les questions qui se posent pour organiser, gérer et valoriser le capital et le travail se présentent-elles sous d’autres formes et pourquoi ?

De telles perspectives, même ancrées dans un seul pays et une seule époque, auraient l’intérêt de nous offrir une fenêtre de vue sur la façon dont d’autres communautés de chercheurs en sciences sociales se saisissent de ces questions et de ces objets. D’un point de vue méthodologique comme d’un point de vue théorique, de telles propositions enrichiraient grandement nos débats. Des communications issues de chercheurs de différentes nationalités et portant sur différents cas locaux, nationaux, voire internationaux sont donc particulièrement attendues.

Axe 4 : Les sociologues pris dans les classements

Une partie des communications qui nous parviendront pourraient enfin prendre pour objet la place des sociologues dans la mise en catégorie des activités de gestion. Que l’on pense très directement au double jeu de Michel Crozier ou bien aux effets indus des pratiques de conseil des sociologues, l’on peut s’interroger de manière réflexive sur notre rôle collectif en tant que producteurs de catégories de pensée. Une telle approche pourrait alors être l’occasion de réfléchir à notre rôle d’influence relative sur l’organisation de l’économie et de l’État. Les questions de souffrance au travail, de travail empêché, etc. sont autant de manifestation de la capacité des sociologues à proposer des catégories permettant de cadrer certaines lectures du monde du travail. En retour, une fois appropriées, ces catégories peuvent contraindre l’analyse du travail. Plusieurs questions se posent alors : est-il possible de faire circuler un regard sociologique parmi les commanditaires ? Dans un contexte de commande, les sociologues se retrouvent-ils toujours en position de légitimer les catégories des groupes dominants ? Comment intervenir tout en contrôlant l’effet de la parole sociologique sur les rapports de force ? Les communications de sociologues embarqués en entreprise, en Cifre ou associés à des cabinets de conseil sur ces questions seraient d’un très grand intérêt. Plus près de l’université, les participations aux journées d’évaluation organisées par l’HCERES pourraient, par exemple, constituer un très bon matériau d’analyse d’une observation participante susceptible d’être analysée sous l’angle des effets des nomenclatures sur l’organisation du travail, universitaire en l’occurrence. Dans quelle mesure les participants croient-ils à ces catégories ? Dans quelle mesure obligent-elles leurs sujets à changer leurs façons de travailler (à enseigner, à publier) ?     

Calendrier

Pour organiser ses sessions et discussions, le Réseau thématique sociologie de la gestion (RT30) attend vos propositions de trois pages maximum (environ 8 000 signes) hors bibliographie d’ici le 15 février 2018.

La sélection des textes et la notification aux chercheurs interviendront au début du mois d’avril 2018.

Nous attendons le texte final des communications avant le 15 Juin 2018 pour une mise en ligne sur le site du RT30 (site : https://sociogest.hypotheses.org/), afin que toute personne intéressée par nos travaux puisse en prendre connaissance avant la tenue des sessions.



 

Quelques références :

Benedetto-Meyer M., Metzger J-L. (2008) (dir.), Gestion et sociétés, Paris, L’Harmattan, 2008. ▪

Benedetto-Meyer M., Maugeri S., Metzger J-L. (2011) (dir.), L'emprise de la gestion, Paris, L’Harmattan, 2011.

Bernard B., Quand des gestionnaires se mesurent. Les indicateurs au centre de la gestion forestière, Paris, L’Harmattan, 2006. *

Boussard, V. et Maugeri, S. (2003) (dir.). Du politique dans les organisations. Sociologies des dispositifs de gestion, Paris : L'Harmattan.

Boussard V., (2005) (dir.), Au nom de la norme : les dispositifs de gestion entre normes organisationnelles et normes professionnelles, Paris, L'Harmattan, 2005.

Bruno, I. et Didier, E. (2013). Benchmarking. L’État sous pression statistique, Paris, La Découverte.

Buisson-Fenet H., Mercier D. (s/d), Débordements gestionnaires. Individualiser et normaliser le travail par les outils de gestion ?, Paris, L’Harmattan, 2013. ▪ Jacquot

Chambost I., Lenglet M., Tadjeddine Y. (2018) (dir.), The Making of Finance: Perspectives from the Social Sciences, Routledge.

Douglas, Mary. 2004. Comment pensent les institutions : suivi de La connaissance de soi et Il n’y a pas de don gratuit. La découverte.

Durkheim, Émile. 1912. « Les formes élémentaires de la vie religieuse ». Paris, Presses universitaires de France.

Espeland, W & Sauder, M. (2016). Engines of Anxiety. Academic Rankings, Reputation, and Accountability.

Fourquet, François. 1980. Les comptes de la puissance: histoire de la comptabilité nationale et du Plan. Encres 12. Paris: La découverte.

Hopwood, Anthony G. 1983. « On trying to study accounting in the contexts in which it operates ». Accounting, Organizations and Society 8 (2‑3) : 287‑305.

Jacquot, Lionel ; (2016), Travail, gouvernementalité managériale et néolibéralisme, Paris, L’Harmattan.

Maugeri S. (2006) (dir.). Au nom du client. Management néo-libéral et dispositifs de gestion. Approches sociologiques. Paris : L'Harmattan, 2006.

Moisdon, Jean-Claude, et A. Hatchuel. 1997. « Du mode d’existence des outils de gestion ». Actes du séminaire Contradictions et Dynamique des Organisations-CONDOR-IX, 6.

Vatin, François. 1987. La Fluidité industrielle. Essai sur la théorie de la production et le devenir du travail. Paris, Méridiens Klincksieck.

Vatin, François (2013). Introduction. Évaluer et valoriser In F. d. Vatin (Ed.), Evaluer et valoriser. Une sociologie économique de la mesure (pp. 17-37). Toulouse : Presses Universitaires du Mirail













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